Il y a des hommes qui chantent pour divertir, et il y a ceux qui chantent pour survivre. Serge Lama appartient à cette seconde catégorie, celle des écorchés vifs dont la voix porte le poids d’une existence marquée par le fer rouge du destin. À l’aube de ses 80 ans, alors qu’il tire sa révérence avec pudeur, l’interprète de “Je suis malade” a ouvert la boîte de Pandore de ses souvenirs, révélant des cicatrices que le temps n’a jamais su effacer. Derrière les projecteurs et les bravos, se cachent des douleurs muettes et des rancœurs tenaces envers ceux qui ont marqué sa vie au fer blanc.

1. La blessure originelle : “Ma mère était un monstre”

 

C’est une phrase qui claque comme un coup de fouet, prononcée lors d’une interview à cœur ouvert qui a glacé le sang de ses admirateurs : “Ma mère était un monstre.” Ces mots, terribles, ne sont pas lâchés au hasard. Ils racontent l’histoire d’un petit garçon né à Bordeaux en 1943, dans une famille modeste où l’amour maternel était une denrée introuvable.

Serge Lama, de son vrai nom Serge Chauvier, a grandi dans l’ombre d’un père, chanteur d’opérette raté, et sous le regard dur d’une mère qui ne lui a jamais offert la tendresse qu’un enfant est en droit d’attendre. Il confie avoir été méprisé, rejeté, grandissant dans un climat émotionnel d’une froideur polaire. Cette absence d’amour fondateur a creusé en lui un gouffre béant, une soif de reconnaissance qui allait devenir le moteur de sa carrière, mais aussi sa plus grande faiblesse. Même au sommet de la gloire, le regard de cette mère n’a jamais changé, laissant l’artiste orphelin d’une validation qu’il a cherchée toute sa vie dans les yeux de son public.

2. Le fantôme de 1965 : L’adieu à l’innocence

 

Si l’enfance fut un désert affectif, la jeunesse fut fauchée brutalement sur une route humide, le 12 août 1965. Ce jour-là, le destin de Serge Lama bascule dans l’horreur. À bord d’une voiture conduite par le frère d’Enrico Macias, avec à ses côtés son grand amour de l’époque, la pianiste Liliane Benelli, la vie s’arrête. Le choc est d’une violence inouïe.

Le conducteur meurt sur le coup. Liliane s’éteint quelques heures plus tard. Serge, lui, est un miraculé en miettes. Éjecté du véhicule, il survit, mais à quel prix ? Plus de dix fractures, des mois d’immobilisation, et une culpabilité du survivant qui ne le quittera jamais. “J’étais condamné à souffrir à vie”, dira-t-il. Ce n’est pas seulement son corps qui est brisé, c’est son âme. Liliane n’était pas seulement sa compagne, elle était sa muse, celle qui croyait en lui. Sa disparition est une plaie ouverte qui suintera dans chaque note de ses futures chansons. C’est sur ce deuil impossible qu’il bâtira sa légende, transformant sa douleur en hymnes pour toute une génération.

3. Dalida et Gilbert Bécaud : Les désillusions artistiques

 

La douleur de Serge Lama ne se limite pas à sa vie privée ; elle a aussi infiltré ses relations professionnelles, laissant des traces d’amertume indélébiles. L’histoire de “Je suis malade” est l’exemple parfait d’un rendez-vous manqué. Écrite initialement pour Dalida, qu’il admirait profondément, la chanson ne reçoit pas l’accueil espéré. La diva hésite, le courant ne passe pas comme prévu, et des différends autour de la production viennent ternir leur collaboration. Finalement, Lama reprendra le titre pour en faire le chef-d’œuvre que l’on connaît, mais le lien avec Dalida restera marqué par cette incompréhension originelle.

Plus douloureux encore fut le rapport avec son idole, Gilbert Bécaud. Lama a écrit pour lui, espérant sans doute une forme de parrainage spirituel. Mais “Monsieur 100 000 volts”, figure tutélaire de la chanson, se montre critique, reprochant à Lama de mettre “trop de soi” dans ses textes. Une remarque cinglante pour un artiste qui ne sait écrire qu’avec ses tripes. Venant de celui qu’il vénérait, le rejet est vécu comme une trahison intime, installant une distance froide entre les deux hommes.

4. Michel Sardou et la solitude du sommet

 

Dans le paysage médiatique des années 70 et 80, on a souvent opposé Lama à Sardou. Deux monstres sacrés, deux visions de la France, deux planètes opposées. Là où Sardou est viril, engagé et polémique, Lama est sentimental, blessé et poétique. Si aucune guerre ouverte n’a jamais éclaté, une rivalité sourde, alimentée par la presse, a creusé un fossé entre eux.

Sardou dira de lui : “Lama, c’est autre chose, plus intime, moins populaire.” Cette petite phrase, faussement anodine, résume tout le mépris feutré du show-business que Lama a toujours fui. Refusant les clans, les compromissions et le “star-système”, Serge Lama a choisi la voie de la solitude. Une intégrité qui lui a coûté cher, le marginalisant peu à peu des plateaux télévisés et des cercles d’influence, mais préservant l’essentiel : sa liberté.

5. La rumeur de trop : L’argent sale

 

Comme si les épreuves de la vie ne suffisaient pas, Serge Lama a dû faire face, au crépuscule de sa vie, à la malveillance gratuite de l’époque moderne. En 2020, une rumeur virale, née d’un site satirique, lui attribue une fortune colossale de 185 millions d’euros, l’accusant de dissimuler un empire financier à l’étranger.

Pour cet homme qui a toujours chanté la vérité du cœur et non celle du portefeuille, l’attaque est vile. “Je n’ai jamais couru après l’argent et je ne laisserai personne salir ce que j’ai construit”, s’insurge-t-il. Bien que fausse, cette rumeur a laissé un goût amer, celui de la trahison d’une certaine opinion publique prête à croire le pire. C’est l’outrage ultime fait à un homme qui n’a jamais triché.

Le dernier acte d’un survivant

Aujourd’hui, retiré dans sa maison du Vexin, Serge Lama semble enfin apaisé. Son ultime album, “Aimer”, résonne comme un testament spirituel où il tente, peut-être pour la première fois, de pardonner. Il y adresse même une lettre posthume à cette mère “monstre”, essayant de comprendre la femme brisée derrière le bourreau.

A-t-il pardonné ? Peut-être pas. Mais il a accepté. Il a accepté que ses blessures soient sa force, que ses cicatrices soient sa plus belle signature. “J’ai aimé mes blessures comme on aime une brûlure qui réchauffe”, murmure-t-il. Une phrase qui résume le destin hors norme d’un homme qui n’a jamais cessé d’être malade de vivre, pour le plus grand bonheur de ceux qui l’ont écouté.

Et vous, quelle chanson de Serge Lama vous touche le plus ? Partagez vos souvenirs en commentaire.