Sur le plateau enfumé de Thierry Ardisson, dans ce rituel cathodique où les masques tombent et les âmes se déshabillent, il y a les invités qui esquivent et ceux qui jouent le jeu. Samuel Le Bihan, acteur à l’intensité reconnue, connu pour ses rôles de flic taiseux ou de héros tourmenté, a prouvé qu’il appartenait sans conteste à la seconde catégorie. Face à la mitraillette de questions provocatrices de “l’homme en noir”, Le Bihan n’a pas seulement joué le jeu ; il a exposé une philosophie de l’amour si entière, si absolue, qu’elle en devient déroutante, flirtant avec l’abnégation totale et les limites de la morale.

L’exercice est un classique d’Ardisson : “Que seriez-vous prêt à faire par amour ?”. Un jeu de salon qui, sous ses airs légers, est en réalité un test de personnalité redoutable. Et Le Bihan, ce soir-là, a révélé un romantisme ardent, une vision de la passion qui consume tout le reste.

Le sacrifice de l’ambition : “Arrêter le cinéma ? Ouais.”

La première salve est professionnelle. Ardisson demande si, par amour, il serait prêt à “arrêter le cinéma du jour au lendemain”. Pour la plupart des acteurs de son calibre, la question est un dilemme cornélien. La carrière est souvent le fruit d’une vie de sacrifices. La réponse de Le Bihan fuse, sans une once d’hésitation : “Ah ouais”.

En un mot, il vient de dynamiter le mythe de l’acteur égocentrique. Il établit une hiérarchie claire : la passion amoureuse n’est pas un simple complément à sa vie, elle en est le centre de gravité. L’art, le succès, la reconnaissance publique, tout cela est secondaire, balayable d’un revers de main si l’être aimé l’exige. C’est une déclaration d’une force rare, qui pose les fondations de tout ce qui va suivre. L’amour, pour Le Bihan, n’est pas un compromis ; c’est un absolu.

Le sacrifice de l’identité : Perruque, religion et chirurgie

Si la carrière est sacrifiable, qu’en est-il de l’identité ? Ardisson pousse le bouchon. Mettre une perruque blonde ? “Ouais ouais, apparemment bien sûr”. Se faire refaire le nez ? “Ah ouais. En plus gros encore”, plaisante-t-il, désamorçant la vanité par l’humour. Ces questions d’apparence sont traitées comme des broutilles, de simples accessoires au service du désir de l’autre.

Mais le curseur monte d’un cran. “Se convertir à une autre religion ?”. La religion touche au cœur de l’identité, aux croyances profondes, à l’héritage familial. La réponse est identique, immédiate : “Ouais ouais”. Samuel Le Bihan ne semble pas voir de forteresse imprenable. Si l’amour exige de changer de dieu, de visage ou de chevelure, il signera. L’amour est sa seule religion.

Le point de rupture moral : “Cacher quelqu’un qu’elle vient de tuer ?”

C’est ici que l’interview bascule du romantisme à la tragédie. Ardisson pose la question ultime, celle qui confronte l’amour à la loi des hommes : “Cacher quelqu’un qu’elle vient de tuer ?”. Le Bihan, jusqu’alors si prompt à répondre, marque un temps d’arrêt. Son visage se ferme. Il ne répond pas “non”. Il ne répond pas “oui”. Il laisse un silence pesant, avant qu’Ardisson n’enchaîne.

Ce silence est peut-être l’aveu le plus assourdissant de la soirée. Il suggère que la question est en train d’être sérieusement pesée. Que dans sa balance, la loyauté amoureuse pèse aussi lourd, sinon plus, que la morale civique. Il incarne cet adage romantique du “nous contre le reste du monde”. Il est prêt à devenir complice, à sortir de la société pour rester dans le cercle de l’amour. Il ne franchit pas la ligne verbalement, mais son hésitation laisse entendre qu’il vit sur cette frontière.

L’amour, le sexe et “le cul triste” : La nuance de l’infidélité

Le volet le plus complexe de cet interrogatoire est sans doute celui de la sexualité. Ardisson, fidèle à sa réputation, veut savoir où se situent les tabous. “Accepter quelques infidélités ?”. La réponse de Le Bihan surprend par son calme : “Bien sûr”.

Cette acceptation de l’infidélité n’est pas présentée comme une défaite ou un compromise douloureux, mais comme une évidence. Cela dépeint une vision de l’amour mature, ou du moins, une vision qui sépare l’engagement émotionnel de l’exclusivité sexuelle. L’amour est si fort qu’il peut tout absorber, même une aventure.

Mais c’est là que Le Bihan trace sa propre ligne rouge, une ligne surprenante. Ardisson lui propose un club échangiste. L’acteur refuse. D’abord pour “voir”, peut-être, mais “pas pour participer”. La raison qu’il donne est fondamentale pour comprendre sa psychologie amoureuse : “Non, content. Parce que c’est glauque, c’est du cul triste”.

Le mot est lâché : “cul triste”. C’est le cœur de sa philosophie. Il peut pardonner une infidélité – qui, dans son esprit, est peut-être un écart de conduite mais potentiellement lié à des sentiments ou à un désir – mais il rejette la sexualité mécanique, désincarnée, “glauque” de l’échangisme. Il n’est pas un libertin, il est un romantique. Il est prêt à tout pour l’amour, mais pas pour le “sexe triste”. L’amour doit rester grand, même dans ses transgressions.

Les limites de l’absolu : L’esclave et l’identité finale

L’interview atteint son apogée. “Devenir l’esclave sexuel de Daniela ?” (sa compagne de l’époque). Le Bihan sourit, le regard brillant. C’est la réplique parfaite, la sortie d’acteur : “Je suis déjà à son…”. Une pirouette qui dit tout : dans la passion absolue, la notion de pouvoir et de soumission est un jeu consenti, une forme de dévotion joyeuse.

Il y aura pourtant une limite. Une seule. La dernière question d’Ardisson : “Changer de sexe ?”. Pour la première fois, la réponse est un “non” catégorique. C’est la frontière ultime. Samuel Le Bihan est prêt à sacrifier son travail, son visage, sa religion, sa morale et son exclusivité sexuelle. Mais il n’est pas prêt à sacrifier son genre. C’est le dernier bastion de son identité, le seul point non négociable.

Cet entretien, bien plus qu’une simple provocation télévisuelle, a offert un portrait fascinant d’un homme qui vit l’amour non pas comme un arrangement, mais comme une force dévorante. Loin de l’image contrôlée de l’acteur, Le Bihan s’est révélé être un passionné à l’ancienne, un homme prêt à brûler ses propres navires pour la seule lueur d’un regard aimé. Il est prêt à tout, sauf à devenir un autre, et surtout, sauf à s’adonner à un “sexe triste”.