C’est une histoire qui ressemble à un conte de fées moderne, ou peut-être à un roman de Dickens réécrit sous le soleil de la Sicile et la grisaille du Borinage. Salvatore Adamo. Ce nom évoque instantanément des mélodies douces, une voix légèrement éraillée chantant “Tombe la neige” ou “Mes mains sur tes hanches”. Pour des millions de fans à travers le monde, il est ce troubadour de l’amour, l’homme à la gentillesse légendaire et à l’humilité inébranlable. Mais derrière cette image d’artiste romantique se cache une réalité bien plus complexe et fascinante : celle d’un homme d’affaires avisé, bâtisseur d’un empire financier colossal, qui a su transformer les cicatrices de son enfance en une forteresse de sécurité pour les siens.

Des ténèbres à la lumière : La genèse d’une fortune

Pour comprendre l’homme qu’est devenu Adamo en 2025, il faut remonter à la source, là où tout a commencé. Né en 1943 en Sicile, le petit Salvatore n’a que quatre ans lorsqu’il débarque à Jemappes, en Belgique. Son père, Antonio, a quitté son île natale pour s’épuiser dans les mines de charbon, espérant offrir un avenir meilleur à sa famille. L’enfance de Salvatore est marquée par cette poussière noire qui s’infiltre partout, par la grisaille des corons et la peur constante de l’accident. C’est dans ce décor austère que se forge son caractère. La précarité lui enseigne très tôt la valeur de l’argent gagné à la sueur du front et la nécessité absolue de se protéger.

Lorsque le succès frappe à sa porte au début des années 60, après un concours remporté à Radio Luxembourg, tout s’accélère. En 1966, ses ventes de disques talonnent celles des Beatles. Le fils de mineur offre alors à ses parents une maison et une Alfa Romeo rouge, symboles éclatants d’une revanche sur le destin. Mais contrairement à tant d’autres étoiles filantes de la musique, Adamo ne flambe pas. Il investit. Il comprend que la gloire est éphémère, mais que la pierre et les droits d’auteur peuvent durer éternellement.

Le magnat invisible : Un empire estimé à 200 millions d’euros

Aujourd’hui, à 81 ans, Salvatore Adamo est à la tête d’une fortune que peu soupçonnent. Les estimations les plus sérieuses parlent d’un patrimoine avoisinant les 200 millions d’euros. Comment a-t-il accumulé une telle richesse ? Par une gestion méticuleuse de son art et une diversification intelligente. Il a conservé la mainmise sur ses droits d’édition, un pactole qui se renouvelle chaque fois qu’une de ses 500 chansons est jouée, de Paris à Tokyo.

Mais Adamo, c’est aussi un homme d’affaires redoutable. Il a investi dans l’immobilier en Belgique, en France et en Italie. Il possèderait des parts dans des restaurants à Rome, un club de football à Comiso, et aurait même prêté son nom à des lignes de vêtements et de parfums. Pourtant, l’homme refuse l’étiquette de magnat. “Je ne suis pas un homme d’argent”, répète-t-il. Pour lui, cette fortune n’est pas un moyen d’épater la galerie, mais une assurance-vie pour sa famille, une “liberté de créer” sans contrainte.

Le sanctuaire d’Uccle : Luxe, calme et volupté

Sa résidence principale, située dans la commune huppée d’Uccle, au sud de Bruxelles, est le reflet parfait de cette philosophie. De l’extérieur, c’est une demeure élégante mais discrète, noyée dans la verdure. À l’intérieur, c’est un havre de paix où le luxe se fait murmure. Des baies vitrées inondent de lumière des pièces remplies de livres, d’instruments de musique et de souvenirs. C’est là qu’il vit, loin du tumulte, promenant son Golden Retriever, George, dans les sentiers forestiers tout proches.

Adamo ne collectionne pas les yachts ni les jets privés. Son garage abrite quelques voitures choisies pour leur confort ou leur histoire, comme cette Alfa Romeo Giulietta vintage, clin d’œil à son premier cadeau paternel. Son luxe à lui, c’est le temps. Le temps de lire, d’écrire, de cuisiner des pâtes simples avec de l’huile d’olive sicilienne. C’est un luxe émotionnel, celui de ne plus avoir à courir, de pouvoir savourer chaque instant après des décennies de tournées effrénées.

L’épreuve de la maladie et la force du clan

Mais l’argent, aussi abondant soit-il, ne protège pas de tout. Le parcours d’Adamo est aussi une histoire de résilience physique. Enfant, une méningite a failli l’emporter, lui laissant des séquelles auditives. Plus tard, c’est son cœur qui a flanché en 2004, puis ses cordes vocales qui l’ont trahi à plusieurs reprises, le plongeant dans des silences forcés et angoissants. “Rien n’est garanti”, dit-il souvent. Ces épreuves lui ont rappelé la fragilité de l’existence et l’ont poussé à sécuriser encore davantage l’avenir des siens via des trusts et des sociétés familiales.

Car au cœur de cet empire, il y a la famille. Et plus particulièrement Nicole, son épouse depuis 1969. Elle est le roc sur lequel tout repose. Leur histoire a traversé les tempêtes, notamment la révélation d’une relation extraconjugale avec le mannequin Annette Dahl, dont est née une fille, Amélie. Au lieu de briser le clan, Nicole a fait preuve d’une grandeur d’âme exceptionnelle en acceptant Amélie au sein de la famille. “Si nous avons duré si longtemps, c’est parce que Nicole a beaucoup accepté”, avoue humblement le chanteur. Aujourd’hui, entouré de ses enfants Anthony, Benjamin et Amélie, Adamo contemple son véritable héritage : l’unité retrouvée et l’amour inconditionnel.

Un crépuscule en or

En 2025, Salvatore Adamo ne court plus après les hits. Ses albums récents, empreints de sagesse et de nostalgie, continuent pourtant de se vendre, alimentant la machine. Il soutient discrètement des œuvres caritatives comme “Le Rire Médecin”, rendant un peu de ce que la vie lui a donné. Il se voit comme un survivant, un “citoyen de la gratitude”.

L’histoire de Salvatore Adamo est celle d’une métamorphose réussie. L’enfant qui jouait dans la poussière noire des mines a transformé son destin en or massif. Mais à l’heure du bilan, ce ne sont pas les millions qui font briller ses yeux. C’est la fierté d’avoir protégé les siens, d’avoir traversé les époques sans perdre son âme, et de pouvoir dire, au soir de sa vie, qu’il est resté fidèle à ce petit garçon sicilien qui rêvait de lumière. Le “jardinier de l’amour” a bien cultivé son jardin, et la récolte est magnifique.