Dans la grande galerie des souvenirs de la chanson française, il est des visages qui s’effacent doucement, et d’autres qui laissent une trace amère. Ringo, de son vrai nom Guy Bayle, appartient à cette catégorie d’étoiles filantes dont la chute fut aussi vertigineuse que l’ascension. Si l’on se souvient encore de sa voix mêlée à celle de Sheila sur l’éternel “Les Gondoles à Venise”, l’homme derrière le chanteur a connu un destin bien plus sombre, fait de scandales, de faillites et d’un drame familial irrésolu. Que devient-il vraiment, loin des projecteurs, de l’autre côté de l’Atlantique ? Enquête sur une idole déchue.

L’Ascension et la Chute d’un “Roméo” des Années 70

Il faut remonter le temps, revenir à cette époque insouciante des années 1970. Guy Bayle, alias Ringo, est alors au sommet. Avec son allure de playboy ténébreux et ses tubes comme Qui est ce grand corbeau noir ?, il fait chavirer les cœurs. Son mariage avec Sheila, la “petite fiancée des Français”, en 1973, scelle son statut de star. Ils forment le couple idéal, glamour et scintillant. Mais les contes de fées du show-business ont souvent des pages manquantes.

Dès le début des années 80, après un divorce médiatisé en 1979, la lumière commence à décliner. Ringo, sentant peut-être le vent tourner ou lassé par un milieu qu’il juge artificiel, décide de tourner la page de la musique. C’est le début d’une seconde vie, celle d’un entrepreneur, qui s’avérera être un chemin de croix.

Les Démons du City Rock Café : L’Affaire Nagui

En 1985, l’ancien chanteur se réinvente restaurateur. Il ouvre le City Rock Café à Paris, un établissement qui se veut branché. Mais c’est là, entre les murs de ce lieu qui devait symboliser sa réussite, que son image va se fissurer terriblement.

L’histoire, racontée des années plus tard par l’animateur Nagui sur le plateau d’On n’est pas couché, glace le sang. Au milieu des années 80, Nagui, alors jeune et inconnu, se présente à l’entrée du restaurant pour venir chercher sa petite amie qui y travaille. Le verdict du videur tombe, implacable : interdiction d’entrer. La raison ? Ringo lui-même sort et assène, selon les dires de l’animateur : “Je ne peux pas vous laisser rentrer, j’ai toujours des problèmes avec les Arabes.”

Cette phrase, terrible, jette une ombre indélébile sur la personnalité de l’homme. Elle révèle une facette que les paillettes avaient soigneusement dissimulée. Le City Rock Café fermera ses portes en 1993, laissant derrière lui ce parfum de scandale.

Toulouse, AZF et la Ruine

Loin de se laisser abattre, Ringo tente de rebondir sur ses terres natales. En 2000, il inaugure à Toulouse le Jim Mc Mahon’s, un nouveau restaurant. Il y met ses espoirs et ses économies. Mais le sort semble s’acharner avec une cruauté cinématographique.

Le 21 septembre 2001, la ville rose est soufflée par l’explosion de l’usine AZF. C’est une catastrophe industrielle majeure, et pour Ringo, c’est le coup de grâce. Son établissement est touché, l’activité économique de la zone est anéantie. Celui qui chantait l’amour à Venise se retrouve face à la réalité brutale de la faillite. Ruiné, il devra son salut à l’association “La Roue Tourne”, une organisation charitable qui vient en aide aux artistes déchus. L’image est saisissante : l’ancienne gloire, assistée, loin du faste d’antan.

Ludovic Chancel : La Blessure à Jamais Ouverte

Mais au-delà des échecs financiers, c’est sur le terrain intime que le bilan est le plus lourd. De son union avec Sheila est né un fils, Ludovic Chancel, en 1975. Un enfant de la balle qui grandira avec une absence béante : celle de son père.

Les témoignages sont déchirants. Dans son livre Fils de, Ludovic racontait n’avoir vu son père qu’une seule fois durant son enfance, vers l’âge de 6 ans. Une absence totale, un vide sidéral. Puis, dans les années 2000, une tentative de rapprochement a lieu. Ludovic, adulte, cherche des réponses, un regard. La rencontre est brève, violente psychologiquement.

Ringo, face à ce fils qui lui ressemble tant, aurait eu ces mots d’une froideur absolue : “Quand je te vois, je vois ta mère. Pourquoi tu es venu ? Je ne suis même pas sûr que tu sois mon fils.” Ludovic confiera être reparti en pleurant “comme un bébé”. Ce rejet, brutal et définitif, hantera Ludovic jusqu’à sa mort tragique en juillet 2017, à l’âge de 42 ans. Ringo n’assistera pas aux obsèques. Il n’aura pas un mot public pour ce fils qu’il n’a jamais voulu connaître. Un silence de mort qui résonne encore aujourd’hui comme l’ultime affront.

L’Exil Américain : Une Nouvelle Vie Fantôme

En 2013, un ultime sursaut artistique échoue lamentablement. La réédition de ses albums ne trouve pas son public, et un concert prévu à l’Olympia est annulé dans l’indifférence générale. La France ne veut plus de Ringo.

Alors, c’est l’exil. Aujourd’hui, Guy Bayle vit aux États-Unis, aux côtés de sa femme Annick, qu’il a épousée en 1981. Loin de la France qui l’a adulé puis oublié, il mène une vie d’anonyme. On dit qu’il réside tantôt en Floride, tantôt ailleurs, fuyant peut-être les fantômes d’un passé trop lourd.

À 78 ans, Ringo n’est plus qu’un souvenir lointain pour le grand public, une silhouette floue sur les pochettes de vinyles poussiéreux. Mais pour ceux qui connaissent l’histoire, il reste cet homme qui a préféré la fuite à la rédemption, laissant derrière lui des chansons d’amour et un champ de ruines affectif. “Les gondoles” ne sont plus qu’un écho lointain, noyé par le silence d’une vie qui a choisi l’oubli.