En 2007, il l’a accueilli en grande pompe à Paris, déployant tapis rouge et protocoles fastueux. Quatre ans plus tard, ce même homme, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, donnait son feu vert à l’intervention militaire en Libye qui mènerait à la chute sanglante de Mouammar Kadhafi. Une alliance qui s’est muée en trahison brutale, et dont l’ombre plane encore sur la scène politique française. Mais cette volte-face n’est que la face émergée d’un iceberg de rancunes accumulées au fil d’une carrière jalonnée de conflits, de procès et d’alliances brisées.

À 70 ans, Nicolas Sarkozy, figure clivante par excellence, semble avoir dressé dans son cœur une “liste noire”. Cinq noms, cinq visages, cinq histoires qu’il n’a jamais vraiment digérées. De l’Élysée au prétoire, entre trahison politique et vengeance personnelle, plongeons dans les silences bruyants de l’homme qui ne pardonne pas.

Le Parcours Météorique d’un Homme Ambitieux

Né en janvier 1955 à Paris, Nicolas Sarkozy est issu d’un croisement culturel et historique singulier. Son père, Paul Sarkozy, aristocrate hongrois exilé après la Seconde Guerre mondiale, et sa mère, Andrée Mallah, d’origine juive sépharade, ont façonné un jeune homme à l’identité complexe. Grandissant dans le quartier huppé de Neuilly-sur-Seine, il poursuit des études de droit à Nanterre avant de prêter serment comme avocat. Très tôt, il s’illustre par son ambition sans faille. En 1983, à seulement 28 ans, il devient le plus jeune maire de Neuilly, un tremplin politique qui le propulse au sein du parti gaulliste, où il gravit les échelons à une vitesse fulgurante.

Sarkozy-Kadhafi: de la trahison aux soupçons de corruption | Slate.fr

Son charisme brut et sa rhétorique directe le rendent rapidement incontournable. Dans les années 1990, il enchaîne les postes ministériels : budget, intérieur, économie. Mais c’est au ministère de l’Intérieur qu’il forge son image d’homme fort, sécuritaire, intransigeant, omniprésent dans les médias. Sa devise implicite : parler fort, frapper vite, ne jamais s’excuser. Il devient rapidement la coqueluche de la droite, mais aussi une cible de la gauche et même de son propre camp, qui voit en lui un homme pressé, trop ambitieux, voire dangereux.

En 2007, il remporte l’élection présidentielle face à Ségolène Royal. À l’Élysée, il impose un style inédit, celui du “président bling-bling” : montres de luxe, yacht privé, escapades médiatisées. Sarkozy bouscule l’image du chef d’État français traditionnel, au risque de s’aliéner une partie de l’opinion. Sur le plan international, il brille par son activisme : lors de la crise financière de 2008, il joue un rôle pivot dans la coordination européenne. Il réforme les retraites, défend une politique sécuritaire musclée, s’engage en Afghanistan puis en Libye.

Mais derrière cette hyperactivité, les critiques s’accumulent : autoritarisme, gestion impulsive, liens troubles avec les milieux d’affaires. L’homme qui se voulait rassembleur devient de plus en plus clivant. Ses adversaires le décrivent comme manipulateur, colérique, obsédé par l’image. Pourtant, il fascine : chaque apparition, chaque mot est scruté, analysé. Sa relation avec Carla Bruni, officialisée peu après son divorce express avec Cécilia Attias, alimente les couvertures de la presse people autant que celle de la presse politique. Sarkozy maîtrise le temps médiatique comme nul autre avant lui.

Mais cette omniprésence devient un boomerang. En 2012, il est battu par François Hollande. Beaucoup y voient la sanction d’un quinquennat trop brutal, trop personnel, trop clivant. Pourtant, Sarkozy ne s’efface pas : il revient encore et encore dans le jeu politique, président de l’UMP, candidat à la primaire de la droite en 2016, figure centrale de la droite française, jusqu’à ce que la justice et les scandales finissent par gripper la mécanique. Ce parcours météorique, de l’ambition dévorante à la chute judiciaire, est jalonné de duels, de ruptures et de rancunes qui ne se sont jamais éteintes. Derrière le vernis du pouvoir, l’homme a accumulé des blessures profondes – politiques, affectives, humaines – qui alimenteront les chapitres les plus sombres de son histoire.

Les Cinq Noms sur sa Liste Noire

Tout commence à l’orée des années 2000. Nicolas Sarkozy, alors ministre prometteur, semble prêt à conquérir la droite française. Mais derrière l’ascension se profile une guerre souterraine avec Dominique de Villepin. Élégant, cultivé, diplomate, Villepin incarne l’élite chiraquienne. Sarkozy, lui, est perçu comme l’intrus ambitieux, prêt à tout pour gravir les échelons. La fracture éclate au grand jour avec l’affaire Clearstream : Villepin est accusé d’avoir utilisé un faux listing pour impliquer Sarkozy dans un scandale financier. Le procès révèle des manœuvres d’une rare violence. Sarkozy, furieux, déclare : “Je veux que ceux qui ont sali mon nom payent.” Même après l’acquittement de Villepin, le lien est rompu à jamais. Ce n’est plus de la politique, c’est une vendetta.

Au même moment, une autre figure entre dans le viseur de Sarkozy : Marine Le Pen. La fille de Jean-Marie Le Pen dirige un Front National en pleine mutation. Sarkozy, en quête d’électorat populaire, durcit son discours sur l’immigration et la sécurité. Mais Le Pen l’accuse publiquement de “voler ses idées”. En retour, Sarkozy qualifie le FN de “danger pour la République”. Une guerre de mots qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Aucun des deux ne pardonne les attaques de l’autre. Pire : chacun nourrit sa popularité sur l’antagonisme.

Puis il y a la relation toxique avec Jacques Chirac. Au départ, Sarkozy est le “fils politique” du président. Mais à force de vouloir brûler les étapes, il s’attire la méfiance, puis le rejet. En 1995, Sarkozy trahit Chirac en soutenant Édouard Balladur à la présidentielle. Chirac n’oubliera jamais. Une décennie de froid, de mesquineries, de mise à l’écart. Même lorsqu’il entre à l’Élysée en 2007, Sarkozy ne masque pas son mépris pour son ancien mentor. “Le roi fainéant”, aurait-il glissé à ses collaborateurs. Des années plus tard, au chevet de Chirac mourant, il ne viendra pas. Une absence qui en dit long.

Nicolas Sarkozy stripped of Legion of Honour over corruption conviction |  France | The Guardian

Mais le plus choquant reste sans doute l’histoire avec Mouammar Kadhafi. En 2007, le dictateur libyen est reçu en grande pompe à Paris : une tente bédouine plantée dans les jardins de l’Hôtel de Marigny, des contrats signés à la pelle, des sourires devant les caméras. Mais dans les coulisses, le dit “trouble”. Kadhafi aurait financé la campagne de Sarkozy à hauteur de 50 millions d’euros, selon des témoignages et des documents transmis à la justice française. Quand la révolte gronde en Libye en 2011, Sarkozy devient l’ardent défenseur d’une intervention militaire. En quelques semaines, le régime de Kadhafi est renversé, le dictateur est lynché dans une vidéo diffusée dans le monde entier. Un homme qui l’avait embrassé, Sarkozy l’a peut-être condamné. Coïncidence ? Règlement de comptes ? Ou volonté d’effacer toute trace compromettante ? La justice continue d’enquêter, mais le doute demeure. Kadhafi, même mort, reste une ombre dans la vie de Sarkozy.

Enfin, l’opposant le plus emblématique : François Hollande. En 2012, il met fin au règne de Sarkozy, une défaite vécue comme une humiliation. Depuis, les piques pleuvent. Sarkozy traite Hollande de “calamité”, de “président amateur”. Hollande, avec son ironie froide, répond par le mépris. Aucune poignée de main cordiale, aucun mot apaisé. La rivalité se nourrit de rancunes. À chaque livre, chaque interview, le nom de l’autre ressurgit comme une blessure jamais cicatrisée.

Ces cinq figures incarnent un pan entier de la vie de Nicolas Sarkozy. Ce ne sont pas seulement des adversaires politiques, ce sont des trahisons, des déceptions, des hontes rentrées. Chacune a laissé une marque indélébile dans sa trajectoire. Chacune est une raison de ne pas pardonner.

Les Épreuves Judiciaires et le Refus du Pardon

Après la défaite de 2012, Nicolas Sarkozy aurait pu prendre du recul, mais son tempérament ne le permet pas. Il prépare son retour, d’abord en coulisses, puis à la tête de l’UMP, rebaptisé Les Républicains. Pourtant, la machine s’enraye. En 2014, l’affaire Bygmalion éclate : des fausses factures pour couvrir les dépassements de frais de campagne de 2012. Sarkozy nie, mais les éléments s’accumulent. La presse se régale, les juges s’en mêlent. L’ancien président se retrouve dans le viseur de la justice. Ce n’est plus l’homme fort du pays, c’est un justiciable comme un autre. Une blessure d’ego qu’il ne digérera jamais.

Dans le même temps, ses relations avec les figures ennemies se durcissent. Avec François Hollande, la tension atteint des sommets. Dans ses mémoires, Hollande écrit que Sarkozy est “obsédé par le pouvoir”, “incapable d’introspection”. Sarkozy, de son côté, le qualifie de “médiocre président”. Ils ne se croisent plus, ne se parlent plus, deux anciens chefs de l’État que tout oppose, même dans l’amertume.

Mais c’est dans l’affaire des écoutes téléphoniques que le ton devient franchement dramatique. Sarkozy est soupçonné d’avoir tenté d’obtenir des informations confidentielles sur une procédure en cours via un juge. Ces conversations sont enregistrées à son insu. L’extrait qui fuite dans la presse est glaçant : il y parle de la justice comme d’un instrument à manipuler. En 2021, le verdict tombe : un an de prison ferme à domicile sous surveillance électronique, une première pour un ancien président de la Ve République. Ce n’est plus la justice politique, c’est la justice pénale. Le choc est immense.

Nicolas Sarkozy : il tacle (encore !) François Hollande, son rival de  toujours - Closer

Pendant ce temps, Marine Le Pen continue sa progression. En 2017, elle atteint le second tour de la présidentielle. Sarkozy, affaibli, observe. Il tente un retour dans les débats, critique Emmanuel Macron, cherche à redevenir l’homme fort de la droite. Mais la magie n’opère plus. À droite, on murmure qu’il est devenu un boulet. Le lien avec les électeurs s’effrite. Et Dominique de Villepin, invité sur un plateau télé, lance cette phrase acide : “Je n’ai jamais eu besoin d’un appareil pour exister.” Une flèche directe à l’adresse de Sarkozy. Ce dernier, en privé, le surnomme toujours “l’aristocrate de pacotille”. La haine n’a pas disparu, elle s’est figée.

Le cas Kadhafi, lui, lui revient sans cesse. En 2018, Sarkozy est mis en examen pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens. Une procédure exceptionnelle, des documents accablants, des témoignages. Sarkozy parle d’un complot, d’un acharnement. Il nie en bloc, mais le soupçon colle à sa peau. Dans un meeting, il lâche, presque avec rage : “Moi, je n’ai pas tué Kadhafi.” Un lapsus ou un aveu déguisé ?

Ses ennemis, il ne les a jamais oubliés. Il les cite, les évoque, les insulte parfois sans filtre. Même Carla Bruni, dans un moment de franchise, confie dans une interview : “Nicolas n’oublie jamais rien, il pardonne difficilement.” Cette phrase en dit long : elle révèle l’âme d’un homme marqué par la défiance, l’obsession du contrôle et une mémoire qui ne lâche rien.

La Condamnation et le Déni Persistant

“J’ai attendu des excuses pendant toutes ces années”, aurait-il murmuré à un proche en parlant de Jacques Chirac. “Mais les excuses ne sont jamais venues.” Et Sarkozy n’a jamais tendu la main. Le 1er mars 2021, alors que la France vit encore sous les restrictions sanitaires, une nouvelle tombe comme un coup de tonnerre : Nicolas Sarkozy est condamné à trois ans de prison dont un ferme sous bracelet électronique pour corruption et trafic d’influence. Ce jour-là, il ne s’effondre pas en public, il ne pleure pas. Il serre les dents, le regard droit devant les caméras. Mais les images parlent d’elles-mêmes : pour la première fois, un ancien président français est reconnu coupable et condamné à une peine de prison effective. Ce n’est pas seulement une humiliation judiciaire, c’est une humiliation intime. L’homme qui incarnait la force de l’État, l’autorité, l’ordre, se retrouve à répondre de ses actes devant un tribunal. Ce moment-là restera dans les annales, figé dans le silence pesant de la salle d’audience.

Quelques jours plus tard, il est vu sortant de son domicile parisien accompagné de Carla Bruni. Elle lui tient le bras, les flashes crépitent. Aucun mot n’est prononcé, mais dans l’attitude de Sarkozy, quelque chose a changé : moins de raideur, plus de lenteur. Il sait que le monde l’observe, mais il refuse toujours d’abdiquer. Dans une interview, il déclare avec fermeté : “Je suis innocent, je me battrai jusqu’au bout.” Même dans la chute, il garde l’attitude d’un combattant. Ce même mois, dans une scène plus privée, il est aperçu en train de déjeuner avec Brice Hortefeux, l’un de ses rares fidèles restés à ses côtés. Selon des témoins, leur échange est sobre, presque silencieux. Pas de colère visible, juste un homme qui semble mesurer l’ampleur du désastre. Et pourtant, pas un mot de pardon à l’égard de ceux qu’il considère comme responsables de sa disgrâce. Villepin, Hollande, Le Pen, même la justice : tous restent dans sa ligne de mire.

Le 15 mars 2021, à Neuilly, là où tout a commencé, il se rend discrètement au cimetière pour se recueillir sur la tombe de sa mère, disparue quelques années plus tôt. Un moment furtif, sans journaliste, sans garde du corps visible. Un témoin le reconnaît, hésite à l’approcher, puis se ravise. Ce jour-là, l’ancien président semble simplement redevenir un fils, peut-être le seul instant depuis longtemps où il n’est ni accusé, ni stratège, ni figure publique, juste un homme face à ses souvenirs. Il n’a pas prononcé un mot de regret envers Chirac, malgré l’amour de ce dernier en 2019. Aucun message public, aucune lettre publiée. Quant à Kadhafi, il continue de nier en bloc tout lien financier. À un journaliste qui l’interroge à ce sujet, il répond : “Je ne répondrai plus jamais à cette question.” Une fin de non-recevoir définitive. Dans une allocution rare fin 2021, il prononce ces mots : “Ce que je vis aujourd’hui n’est pas une fin, c’est une étape.” Pour lui, il n’y a pas de place pour la reddition, ni pour le pardon, ni pour l’oubli.

Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy n’occupe plus aucune fonction officielle, et pourtant son nom continue de hanter les colonnes politiques, les plateaux télé et les discussions entre initiés. Son influence, bien que discrète, reste réelle. Mais derrière cette stature, que reste-t-il de l’homme ? Celui qui fut président, ministre, avocat, mari, père, ami et adversaire. Celui qui, pendant des décennies, a avancé avec une foi inébranlable en sa propre légitimité, quitte à briser des alliances, à cultiver des inimitiés, à se fermer les portes du pardon. Ces cinq “ennemis” – Chirac, Villepin, Hollande, Le Pen, Kadhafi – incarnent autant de blessures que d’échecs personnels. Aucun d’eux n’a vu, même à la fin, un geste d’apaisement, aucun mot d’excuse, aucun acte de réconciliation.

Peut-on réellement gouverner sans jamais pardonner ? Peut-on vivre avec ce poids sans que le cœur ne s’allège un jour ? Chers téléspectateurs, que vaut la victoire si elle laisse derrière elle un champ de ruines ? Que vaut le pouvoir si l’on finit seul avec ses silences, ses rancunes, ses regrets étouffés ? Le pardon n’efface pas toujours les fautes, mais il soulage parfois les âmes. Mesdames, messieurs, derrière l’homme d’État s’étend une ombre plus vaste : celle des conflits non résolus. Et peut-être que l’Histoire, elle, ne pardonnera pas davantage.

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