C’est une phrase qui résonne comme un glas, une sentence terrible prononcée non pas par un juge, mais par une mère. “La justice n’a pas protégé mon fils.” Stéphanie Bonhomme, médecin, femme digne et dévastée, est venue porter la voix d’Elias, son fils de 14 ans, poignardé au thorax à coups de machette dans le 14ème arrondissement de Paris. Un mois après la révélation d’un rapport de l’Inspection Générale de la Justice (IGJ), elle brise le silence pour dénoncer ce qu’elle appelle, avec une lucidité glaçante, la “chronique d’une mort annoncée”. Plongée au cœur d’un dysfonctionnement d’État.

Une “Chronique d’une Mort Annoncée”

 

Il y a des drames que l’on qualifie de fatalité, et d’autres qui sont le fruit d’une chaîne de négligences coupables. L’affaire Elias appartient tragiquement à la seconde catégorie. Le rapport de l’IGJ, demandé par la famille et promis par Gérald Darmanin, agit comme un révélateur photographique sur les zones d’ombre de la justice des mineurs. Ce document, que Stéphanie Bonhomme invite chaque citoyen à lire sur le site du ministère, dresse une cartographie effrayante des carences institutionnelles.

Ce que révèle ce rapport dépasse l’entendement. Les deux assassins d’Elias, mineurs et multirécidivistes, faisaient l’objet de mesures judiciaires strictes, théoriquement. En pratique ? Le néant. L’une des incohérences les plus flagrantes pointées par la mère d’Elias est cette interdiction d’entrer en contact prononcée par les juges… alors même que les deux jeunes vivaient dans la même résidence !

“Ils habitent au même endroit, ils ne peuvent pas ne pas entrer en contact”, s’indigne Stéphanie. Les éducateurs avaient pourtant alerté. Ils avaient signalé aux juges l’impossibilité de faire respecter cette mesure. Les assassins eux-mêmes le disaient. Mais rien n’a bougé. Les juges, que Stéphanie Bonhomme hésite par pudeur à qualifier de “bornés”, ont réitéré, encore et encore, des décisions inapplicables, laissant la dangerosité des deux individus monter en flèche jusqu’au drame.

Le Combat d’une Mère face au Mépris

 

Stéphanie Bonhomme n’est pas une militante politique. C’est un médecin, chef de service adjointe, une femme de science habituée à la rigueur et aux faits. Lorsqu’elle prend la parole, ce n’est pas pour hurler sa haine, mais pour comprendre. Pourtant, sa quête de vérité s’est heurtée à une violence inouïe de la part de certains corps intermédiaires.

Lorsqu’elle a tenté de dialoguer avec des magistrats pour comprendre comment de telles failles étaient possibles, la réponse a été cinglante. On l’a accusée de “partir en croisade”, d’être “populiste”, voire d’être “instrumentalisée par l’extrême droite”. Une insulte suprême pour cette citoyenne qui ne demande qu’une chose : que la justice fonctionne.

“La mère d’une victime est-elle écervelée ?” demande-t-elle avec ironie. Face à ce mur de mépris, elle a dû aller chercher sa légitimité au plus haut sommet de l’État. Elle a rencontré François Hollande et Nicolas Sarkozy. Les deux anciens présidents, au-delà de leurs divergences, ont été unanimes : sa démarche est saine, légitime et nécessaire. Non, demander des comptes à une institution défaillante n’est pas du populisme, c’est l’essence même de la démocratie.

“Je ne veux pas juger les juges, je veux comprendre”

 

Là où beaucoup auraient cédé à la colère aveugle, Stéphanie Bonhomme fait preuve d’une hauteur de vue exceptionnelle. Elle ne réclame pas la tête des magistrats. Elle ne demande pas de sanctions disciplinaires immédiates. Elle demande un dialogue.

Elle évoque même, avec une intelligence rare, le concept de “justice restaurative”. Habituellement, ce terme désigne la rencontre entre une victime et son agresseur. Pour Stéphanie, cela n’a aucun sens avec les assassins de son fils, qu’elle décrit comme dépourvus de caractéristiques humaines, animés par la pure cruauté. En revanche, elle appelle de ses vœux une justice restaurative… avec les juges.

“Ils sont responsables de leurs décisions”, martèle-t-elle. Elle veut s’asseoir face à eux, yeux dans les yeux, et leur poser cette question simple qui hante ses nuits : “Pourquoi ?” Pourquoi avoir refusé le contrôle judiciaire demandé par le procureur ? Pourquoi avoir ignoré les rapports des éducateurs ? Pourquoi n’avoir rien fait quand il était encore temps ?

Ce besoin d’explication est vital. Pour elle, pour sa famille, mais aussi pour la société. Car si les juges se murent dans leur silence, s’ils refusent de rendre des comptes au peuple au nom duquel ils rendent la justice, alors “c’est une dictature”, lâche-t-elle.

Un Avertissement pour Tous les Parents

 

Le message de Stéphanie Bonhomme dépasse le cas tragique d’Elias. Il s’adresse à tous les parents de France. En citant la phrase du chef d’état-major des armées sur la nécessité d’accepter de perdre ses enfants à la guerre, elle opère un glissement terrifiant vers la réalité civile : “Avant de perdre leurs enfants sur un champ de bataille, les parents vont les perdre dans la rue.”

En rentrant du cinéma, du foot, de l’école. La rue est devenue ce champ de bataille où la justice a démissionné. Le rapport de l’IGJ n’est pas qu’un document administratif, c’est un avertissement. Il nous dit que le filet de sécurité est troué. Que les “dysfonctionnements” ne sont pas des accidents, mais le résultat systémique d’une chaîne de décisions déconnectées du réel.

Stéphanie Bonhomme reste “la mère d’Elias”, mais elle est devenue, malgré elle, le porte-voix d’une exigence collective. Elle refuse que son fils soit mort pour rien. Elle se bat pour renforcer le droit des victimes, souvent oubliées au profit de la procédure ou de la protection des auteurs.

Sa ténacité force le respect. Elle ne brûlera pas la place Vendôme, dit-elle, mais elle “tapera du poing”. Et ce bruit, espérons-le, finira par réveiller une institution qui, en ne protégeant pas Elias, a failli à sa mission première : protéger les plus vulnérables.

Lisez ce rapport. Parlez-en. Car comme le dit Stéphanie : “C’est d’intérêt public.” Pour Elias, et pour que plus jamais une mère n’ait à dire : la justice n’a pas protégé mon enfant.