Les plateaux de “Touche Pas à mon Poste” sont devenus, au fil des ans, des arènes politiques où les coups sont réels et les carrières peuvent basculer. Ce soir-là, l’invité était Jordan Bardella, et l’ambiance était électrique. Face à lui, la chroniqueuse Valérie Benaïm, bien décidée à ne pas laisser passer le président du Rassemblement National sans un “contrôle d’identité” idéologique en règle. Elle avait préparé “ses gants”, prête à lui tendre un “piège” en rappelant les “dossiers sombres du passé de son parti”.

L’attaque fut directe, personnelle et chargée d’émotion. Valérie Benaïm, rappelant sa “confession juive”, a lancé l’offensive : “Moi j’ai du mal à oublier. J’ai du mal à oublier le détail de l’histoire. J’ai du mal à oublier ‘Durafour crématoire’.” Elle a ensuite enchaîné sur les affaires contemporaines, évoquant un député RN supposément lié à une “librairie négationniste” (ce que Bardella a nié). Le piège était tendu : ramener le RN à son passé antisémite, le lier à Jean-Marie Le Pen, et disqualifier sa présence même à une marche contre l’antisémitisme.

Face à cette offensive, Bardella n’a pas paniqué. Il a “joué la montre”. Il a d’abord défendu la marche, critiquant au passage Jean-Luc Mélenchon. Puis, il a abordé le cœur du problème : son héritage. Il l’a fait avec un calme chirurgical, en posant une distinction nette. “Moi j’ai rejoint le mouvement politique en 2012. C’était Marine Le Pen. Est-ce que je l’aurais fait au temps de Jean-Marie Le Pen ? Probablement pas.” Il a concédé la condamnation de son prédécesseur pour antisémitisme, affirmant que des “millions de gens” qui votent pour le RN aujourd’hui ne sont “pas des fachos”.

C’est là qu’il a dégainé sa première arme rhétorique. Il a qualifié les accusations de Valérie Benaïm “d’archéologie”. “Cette archéologie, en fait, on la fait que pour nous”, a-t-il lancé. Il a souligné l’absurdité, selon lui, de devoir se “justifier sur des propos de Jean-Marie Le Pen qui a 95 ans” et qui datent de “35 ans”, alors même que des “pogroms” venaient d’avoir lieu en Israël.

Il avait préparé le terrain. L’adversaire était déstabilisé, mais pas encore K.O. Il ne manquait plus que le “coup de grâce”, l’arme de l’histoire retournée contre la gauche elle-même.

“J’ai aucune honte à dire qu’on a tourné la page de notre passé”, a-t-il affirmé. “Mais à ce moment-là, il faut le faire pour tout le monde. Il faut le faire pour tous les mouvements politiques.”

Et la bombe est tombée.

“Vous savez, les socialistes, ils ont porté en 80 à la présidence de la République monsieur Mitterrand, qui avait reçu des mains du maréchal Pétain la Francisque.”

Le silence sur le plateau fut palpable. En une seule phrase, Bardella venait de changer les règles du jeu. Il n’était plus l’accusé, il devenait le procureur d’une histoire politique française bien plus “complexe”. Il a enfoncé le clou : “Dire la plus haute distinction du régime de Vichy. Et c’était des socialistes, une chambre socialiste, qui avait accordé les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.”

Le piège de Valérie Benaïm s’est instantanément refermé sur elle. En voulant juger Bardella sur son passé, elle s’est retrouvée face à un adversaire qui lui demandait de juger tout le passé, y compris celui de la gauche la plus respectable de la Vème République. La technique est classique, mais d’une efficacité redoutable : c’est la “requalification par la comparaison”.

En ramenant François Mitterrand, icône de la gauche et ancien président, à son passé trouble sous Vichy, Bardella n’a pas seulement esquivé la balle ; il l’a attrapée au vol et l’a renvoyée à l’ensemble de la classe politique. Il a brisé le procès en infamie qui lui était fait en démontrant que “l’histoire, elle est complexe pour tout le monde”.

Ce soir-là, Jordan Bardella n’a pas seulement survécu à une embuscade sur TPMP. Il a réussi à “retourner le plateau” non pas en niant son passé, mais en relativisant son importance au regard de celui, tout aussi sombre selon lui, de ses adversaires historiques. Le round fut un succès pour lui, laissant les chroniqueurs face à un dilemme : soit on fait “l’archéologie” pour tout le monde, soit on n’en fait plus pour personne. Dans les deux cas, le RN s’estimait gagnant.