Le visage est creusé, le corps affûté par la privation. Loin du flic solide et rassurant d’Alex Hugo, l’image que renvoie Samuel Le Bihan dans son dernier rôle est celle d’un homme qui a souffert. Et pour cause. À 58 ans, l’acteur français s’est lancé dans le projet le plus éprouvant de sa carrière : incarner le navigateur Yve Parlier dans le téléfilm “Seul”. Un rôle qui ne demandait pas seulement du talent, mais un sacrifice physique total, une transformation qui l’a poussé aux confins de ses limites. L’acteur, d’ordinaire si réservé, a levé le voile sur les coulisses d’un tournage infernal, résumé par une phrase choc : « Il fallait que je perde 10 kilos… je devais me contenter de trois fois rien ».

Le projet, diffusé sur France 2, retrace l’un des exploits les plus mémorables de la voile moderne. Nous sommes en 2000, en plein Vendée Globe. Yve Parlier, l’un des favoris, démâte au large de la Nouvelle-Zélande. Pour n’importe qui, c’est l’abandon assuré. Pas pour lui. Seul au milieu de l’océan hostile, il va, pendant des jours, se fabriquer lui-même un mât de fortune et continuer la course. C’est cette résilience, cette folie et cette solitude que Samuel Le Bihan devait incarner.

Pour se glisser dans la peau d’un homme survivant avec presque rien au milieu de nulle part, l’acteur a compris qu’il ne pouvait pas tricher. L’épuisement et la faim devaient être réels. La production lui a donc demandé l’impossible : perdre dix kilos.

« Il fallait que je perde 10 kg pour les besoins de la fiction », a-t-il expliqué. Mais c’est le “comment” qui glace le sang. Loin des régimes protéinés suivis par des coachs à Hollywood, Le Bihan a dû le faire dans des conditions précaires. Le supplice était autant physique que psychologique. « Je regardais les autres manger pendant que je devais me contenter de trois fois rien », confie-t-il.

Imaginez la scène. Vous êtes en mer, l’air salin ouvre l’appétit, l’équipe technique mange chaud pour tenir le coup. Et vous, l’acteur principal, vous restez à l’écart, l’estomac criant famine, jour après jour. Cette privation volontaire visait un but précis : atteindre un état de fatigue et de fébrilité qui ne se joue pas. L’épuisement qu’on voit à l’écran n’est pas du maquillage ; c’est le résultat d’une diète de survie.

Mais la faim n’était que le début du calvaire. Le tournage lui-même était une épreuve digne du Vendée Globe. Samuel Le Bihan l’a résumé avec une ironie mordante : « Vous voulez avoir un maximum de problèmes ? Allez faire un film en mer ! ».

L’ennemi numéro un : le budget. L’enveloppe était “trop bas pour tourner en studio”. Pas de bassin confortable, pas de fonds verts, pas de ventilateurs géants pour simuler la tempête. L’équipe a dû tout tourner en pleine mer, dans des conditions réelles. « On a eu trop chaud, trop froid, on s’adaptait à la météo, mais on était épuisée », raconte l’acteur. L’équipe était soumise aux caprices de l’océan, tout comme le personnage qu’il incarnait.

Et l’océan, même pour un Breton, ne fait pas de cadeaux. Le plus humiliant, peut-être, pour cet homme qui a grandi dans le Finistère et qui clame que la mer est son “ADN”, a été de découvrir qu’il avait le mal de mer. Le Bihan, le marin ? Malade comme un débutant. Il avoue avoir « passé une journée entière à vomir ».

Affamé, épuisé par les éléments et malade, Le Bihan a touché le fond. Alors, pourquoi ? Pourquoi un acteur de 58 ans, établi et respecté, s’inflige-t-il un tel traitement ? Pour la gloire ? Pour l’argent ? Sa réponse est celle d’un passionné, d’un artiste qui place son art au-dessus de son confort personnel.

« Ça n’a été que des épreuves », admet-il sans détour. « Mais à aucun moment, on a refusé cette difficulté. On l’a accueilli comme un élément de jeu qui venait nourrir une sincérité que l’on essayait de trouver ».

La “sincérité”. Le mot est lâché. Le Bihan n’a pas joué Yve Parlier ; il a tenté de le devenir. Il a utilisé la faim, la maladie et l’épuisement comme des outils pour son jeu. Il a puisé dans sa propre souffrance pour toucher du doigt celle du navigateur. C’est une approche quasi mystique du métier d’acteur, une méthode où la frontière entre l’homme et le personnage s’efface.

Il va même plus loin, voyant dans ce tournage “fou” une sorte de récréation artistique. « De temps en temps, c’est bien de faire des choses folles, surtout en télé, car on a peu de moyens ». Loin de se plaindre de l’économie du projet, il l’a transformée en moteur de créativité. Le manque d’argent a forcé l’équipe à être ingénieuse et à affronter le réel, et c’est ce réel qui a donné sa force au film.

Samuel Le Bihan – LiFE Style Magazine – En

Cette aventure extrême renforce paradoxalement le lien indéfectible de l’acteur avec cet univers marin. L’homme qui a passé une journée à vomir sur un bateau est le même qui confiait à Ouest-France : « Ma fille, son élément, c’est l’eau, et moi, la mer, c’est mon ADN ». C’est peut-être parce qu’il respecte autant cet élément qu’il était prêt à souffrir autant pour lui rendre hommage.

Ce lien dépasse la simple poésie. Samuel Le Bihan est le cofondateur d’une entreprise, “Earthwake” à Avignon, qui a mis au point un “pyrolyseur” : une machine révolutionnaire capable de transformer les déchets plastiques qui polluent les océans en carburant. L’homme qui joue un survivant en mer est aussi, dans la vraie vie, un militant qui se bat pour la survie de cette même mer.

Lorsque les téléspectateurs ont regardé “Seul”, ils ont vu bien plus qu’une simple fiction. Ils ont vu un homme de 58 ans, affamé, malade, mais porté par une quête de vérité absolue. La performance de Samuel Le Bihan n’est pas seulement une imitation ; c’est une incarnation. Les 10 kilos perdus, les jours de faim, la nausée… tout cela n’était pas un simple “régime d’acteur”. C’était le prix à payer pour être, ne serait-ce qu’un instant, “Seul” au monde.

Samuel Le Bihan : mâle de mer - Heroestyle