Il est des histoires d’amour qui ne s’éteignent jamais, même lorsque la lumière des projecteurs vacille, même lorsque la vie sépare les corps, et même lorsque la mort, implacable, vient clore le dernier chapitre. L’histoire qui a uni – et unit encore dans la mémoire collective – le célèbre photographe Jean-Marie Périer à l’icône absolue des années yéyé, Françoise Hardy, est de celles-là.

Alors que le monde de la musique pleure encore la disparition de l’interprète de “Tous les garçons et les filles”, survenue en juin 2024, les témoignages de ceux qui l’ont aimée résonnent avec une force nouvelle. Parmi eux, celui de Jean-Marie Périer occupe une place à part. Premier amour, pygmalion, ami fidèle jusqu’au dernier souffle, il a livré, à travers des confidences bouleversantes, le portrait d’une relation hors du commun, marquée par la passion, les regrets et une tendresse infinie face à la maladie.

Le Choc de la Rencontre : Une “Apparition” dans 45m²

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Pour comprendre la profondeur de ce lien, il faut remonter le temps. Nous sommes en 1962. La France sort à peine de la guerre d’Algérie, une période trouble dont Jean-Marie Périer revient tout juste, marqué par son service militaire. C’est dans ce contexte, entre l’insouciance naissante des sixties et les cicatrices de l’histoire, que le destin va frapper à la porte d’un petit appartement parisien.

Envoyé par le directeur artistique de la jeune chanteuse pour une séance photo, le photographe de “Salut les Copains” se rend chez Françoise. Il a 22 ans, elle en a 18. Ce qu’il découvre alors va figer son cœur pour l’éternité. “Elle vivait avec sa mère et sa sœur dans un appartement de 45 mètres carrés”, se souvient-il avec une précision émotionnelle intacte.

Lorsque la mère de Françoise ouvre la porte, ce n’est pas une simple jeune fille que Jean-Marie aperçoit. “Derrière, je vois une apparition”, confie-t-il, la voix encore tremblante des décennies plus tard. “Cela m’a fait monter les larmes aux yeux”. Le coup de foudre est immédiat, foudroyant. Mais il n’est pas seulement physique. Il est artistique, viscéral. Il voit en elle une beauté brute, mal dégrossie, un diamant qui ignore son propre éclat.

Il raconte avec un sourire tendre et nostalgique cette première impression : “D’abord, elle était mal habillée, il n’y avait rien, tout était à faire”. Pour cet esthète, fils spirituel d’une génération qui veut tout réinventer, Françoise Hardy est le modèle idéal, la muse parfaite. “Ça, ça me rend fou”, avoue-t-il. L’histoire d’amour commence sur ce mélange de fascination et de désir de création.

Le Mea Culpa d’un Pygmalion : “Je ne suis pas fier de moi”

Mort de Françoise Hardy : quand son premier amour Jean-Marie Périer  évoquait leur combat commun pour le droit de mourir dans la dignité

Pourtant, avec le recul de l’âge et la sagesse des années, Jean-Marie Périer pose un regard lucide et parfois dur sur ce qu’il a été pour elle. S’il a contribué à forger l’image iconique de la chanteuse – cette frange, ce regard mystérieux, cette élégance androgyne qui a séduit le monde entier, de Mick Jagger à Bob Dylan –, il admet aujourd’hui avoir commis une erreur fondamentale.

“Je suis un Pygmalion, toute ma vie j’ai pygmalionné quelqu’un”, analyse-t-il. Durant les quatre années de leur idylle, il s’est acharné à construire “Françoise Hardy, la star”, parfois au détriment de “Françoise, la femme”.

Ses mots résonnent comme un aveu déchirant : “Je ne suis pas très fier de moi. Je me suis trop occupé de son image et pas assez d’elle”. Cette phrase, lourde de sens, résume le drame de nombreux couples où l’art et l’amour s’entremêlent jusqu’à l’étouffement. Il se souvient avec émotion des désirs simples de la jeune Françoise, loin des paillettes et des flashs : “C’était une jeune fille qui voulait qu’on se balade au bord de la mer, main dans la main”.

Mais lui, emporté par la frénésie de sa jeunesse et de son ambition (“C’est la jeunesse, c’est de la bêtise”, dit-il), a privilégié l’objectif à l’instant présent. Cette lucidité tardive ajoute une dimension tragique et magnifique à leur histoire. Ils se sont séparés “gentiment” au bout de quatre ans, mais le lien, lui, ne s’est jamais rompu.

“Je l’aimerai jusqu’à la fin” : L’Épreuve de la Maladie

La véritable force de leur relation s’est révélée bien après la rupture. Transformé en une amitié indéfectible, leur amour a traversé les décennies, les mariages (notamment celui de Françoise avec Jacques Dutronc), les naissances et les épreuves. Et l’épreuve ultime fut celle de la maladie.

Atteinte d’un cancer du pharynx qui l’a fait souffrir le martyre pendant de longues années, Françoise Hardy a pu compter sur le soutien sans faille de son premier amour. Jean-Marie Périer n’a jamais cessé de prendre de ses nouvelles, de la visiter, et de donner, avec pudeur, des informations à un public inquiet.

Le message qu’il a partagé lors de son anniversaire en janvier 2023, un an et demi avant sa disparition, reste gravé comme l’un des témoignages les plus poignants de cette période sombre. Face à la souffrance de celle qu’il qualifiait de “merveille”, les mots lui ont manqué. “Vu la situation, les mots semblent vains pour célébrer cette chère grande”, écrivait-il alors, impuissant face à la douleur de l’autre. “Je me contenterai donc d’un signe de la main”.

Ce “signe de la main”, geste simple, presque dérisoire, cachait en réalité un océan de tristesse et d’amour. C’était la pudeur d’un homme qui voit partir celle qu’il a aimée, et qui choisit le silence respectueux plutôt que les grandes déclarations tapageuses. “Je continue de la voir, je l’aimerai jusqu’à la fin”, avait-il promis. Il a tenu parole.

Un Héritage d’Amour et d’Images

Aujourd’hui, alors que Jean-Marie Périer vit retiré dans l’Aveyron, entouré de ses souvenirs, il reste le gardien d’une époque et d’une mémoire. Celle d’une Françoise Hardy éblouissante, timide et talentueuse, qu’il a su capter mieux que personne.

Les photos qu’il a prises d’elle ne sont pas seulement des documents d’archives sur les années yéyé ; elles sont les preuves tangibles d’un regard amoureux. Chaque cliché raconte cette admiration sans bornes, ce “coup de foudre” qui l’a laissé en larmes sur le palier d’un petit appartement parisien en 1962.

L’article de leur vie s’est peut-être achevé avec le départ de Françoise, mais l’épilogue, écrit par Jean-Marie Périer à travers ses confessions, nous offre une leçon universelle. Il nous rappelle que l’on peut aimer mal, puis apprendre à aimer mieux. Que les regrets, s’ils sont assumés, peuvent se transformer en une bienveillance absolue. Et que certains amours, nés dans la fougue de la jeunesse, ont la rare élégance de se muer en une fidélité éternelle.

À Françoise, l’apparition. À Jean-Marie, le témoin. Et à nous, spectateurs émus de cette valse sentimentale qui continuera de tourner tant que leurs chansons et leurs images traverseront le temps.