Le plateau de “Touche Pas à mon Poste” est devenu, au fil des ans, bien plus qu’une émission de divertissement. C’est un ring politique, une arène moderne où les réputations se font et se défont en l’espace d’une “punchline”. Ce soir-là, l’invité principal, Jordan Bardella, s’avançait en terrain miné. La chroniqueuse Valérie Benaïm, comme le souligne le narrateur de la séquence, avait “préparé ses gants”. Son objectif était clair : confronter le jeune président du Rassemblement National aux démons de son parti, à cet héritage lourd qui colle à la peau du mouvement. Ce qui devait être une mise à mort médiatique s’est transformé en une leçon de rhétorique politique, un “cas d’école” de contre-attaque où un seul argument a suffi à “retourner le plateau”.

L’offensive est lancée sans sommation. Valérie Benaïm met ses émotions sur la table. Elle ne veut pas oublier. “Vous n’êtes plus le parti de Jean-Marie Le Pen, vous êtes le parti de Marine Le Pen”, concède-t-elle, avant d’abattre ses cartes : “Mais moi j’ai du mal à oublier. J’ai du mal à oublier le détail de l’histoire. J’ai du mal à oublier du rafour crématoire”. L’attaque est chirurgicale. Elle touche aux fondements, à l’antisémitisme, à ce qui a valu au fondateur du parti d’être condamné par la justice. Elle enfonce le clou, parlant de “ménage” encore à faire, et évoquant l’existence d’une librairie “connue pour des ouvrages négationnistes”. Le piège est tendu, l’atmosphère est lourde. Pour Bardella, l’enjeu est simple : soit il tombe dans le panneau de la justification, soit il subit l’opprobre.

Mais face à cette attaque frontale, la réaction de Jordan Bardella est d’abord une leçon de patience. “Face à l’attaque, Bardella ne panique pas”, analyse le commentateur. Il “prend son temps, pose sa défense et prépare le terrain pour la contre-attaque”. Il laisse parler, encaisse les coups. Il tente d’abord de désamorcer en parlant de la récente marche (contre l’antisémitisme), un événement qu’il tente de présenter comme un moment d’union sacrée, appelant “tous les Français d’où qu’ils viennent… à venir marcher pour dire aux Français de confession juive : ‘Vous n’êtes pas seul’”. C’est une tentative de se positionner non pas en héritier, mais en protecteur.

Puis, il pose la première pierre de sa forteresse rhétorique. Il crée une distance, une rupture générationnelle et idéologique. “Moi j’ai rejoint mon mouvement politique en 2012. C’était Marine Le Pen”. La nuance est capitale. Il se dépeint comme le visage d’un nouveau parti, celui qui attire “des millions de gens… qui ne sont pas des fâchos”. Il va même jusqu’à admettre, pour mieux s’en détacher : “J’ai aucune honte à dire que Jean-Marie Le Pen, il a été condamné pour antisémitisme”. Le passé est reconnu, mais il est mis à distance, attribué à un homme de “95 ans qui est retiré de la vie politique”.

C’est alors que survient la “première punchline”, l’argument unique qui va faire basculer le débat. Face à cet acharnement sur le passé, il dégaine un mot : “archéologie”. “Juste, c’est que cette archéologie, en fait, on l’a fait que pour nous”. L’accusation est brillante. Il ne nie pas les faits, il dénonce un deux poids, deux mesures. Il sous-entend que si l’on veut exhumer les fantômes, il faut le faire pour tout le monde. Le piège de Benaïm vient de se retourner contre elle. Bardella a changé les règles du jeu. Il n’est plus l’accusé, il est le procureur d’un procès en iniquité intellectuelle.

Le public n’a pas le temps de respirer. Le narrateur décrit la suite comme “le coup de grâce, l’arme de l’histoire retourné contre la gauche”. Maintenant que le principe de “l’archéologie” est posé, Bardella l’applique à ses adversaires. Et il vise haut. “Vous savez, les socialistes, ils ont porté en 80 à la présidence de la République monsieur Mitterrand…”. Le nom est lâché. La suite est dévastatrice. “…qui avait reçu des mains du maréchal Pétain la Francisque”.

Le choc est total. Il ne s’arrête pas là. “Dire la plus haute distinction du régime de Vichy. Et c’était des socialistes, une chambre socialiste, qui avait accordé les pleins pouvoirs au maréchal Pétain”.

La manœuvre est d’une efficacité redoutable. En moins de trente secondes, Jordan Bardella a réussi à créer un parallèle dévastateur. Il n’a pas excusé Jean-Marie Le Pen. Il n’a pas nié “le détail”. Il a fait pire : il a relativisé l’importance de son propre fardeau en le comparant à celui, supposément oublié, de la gauche. Il a mis sur le même plan le passé antisémite du fondateur de son parti et le passé trouble, sous l’Occupation, de l’icône de la gauche, François Mitterrand.

La conclusion de Bardella est d’une simplicité désarmante, presque apaisée : “Donc l’histoire, elle est complexe, on peut la faire pour tout le monde”. Le message est clair : “Si vous voulez me juger sur les fautes de mon ‘grand-père’ politique, alors vous devez être jugés sur les vôtres.” Sur le plateau, l’effet est palpable. L’attaque initiale de Valérie Benaïm, si précise et si morale, semble soudain lointaine, presque naïve. Elle qui avait mis sa “confession juive” dans la balance se retrouve face à un adversaire qui a refusé le terrain de l’émotion pour imposer celui, plus cynique, de la comparaison historique.

Ce “round du jour dans le cirque politique” n’a pas sacré Bardella comme un saint, ni lavé son parti de son passé. Mais il l’a établi comme un débatteur redoutable. Il a démontré qu’il ne serait plus jamais la victime expiatoire facile des plateaux télévisés. En transformant une accusation d’antisémitisme en un débat sur la Francisque de Mitterrand, il n’a pas seulement esquivé le coup ; il a gagné le round en utilisant les armes de ses adversaires contre eux.