Il est des monuments qui ne s’effritent pas avec le temps, mais qui au contraire, gagnent en patine et en majesté. Hugues Aufray est de ceux-là. À 95 ans, l’interprète de Santiano n’a rien perdu de sa superbe, ni de son franc-parler légendaire. Invité exceptionnel de l’émission Censuré de Télépro, le chanteur a livré une prestation magistrale, oscillant entre confessions intimes, coups de gueule salutaires et leçons de vie d’une profondeur rare. Loin de l’image du papy tranquille de la chanson française, c’est un homme “libre”, résolument moderne et toujours aussi passionné qui s’est assis face à David Barbet.

“Je ne suis ni à la mode, ni démodé” : L’Éternel Rebelle

Dès les premières minutes, le ton est donné. À la question de savoir à quoi s’attendre lors de ses prochains concerts en Belgique (le 2 novembre à Liège et le 3 novembre à Bruxelles), Hugues Aufray répond avec une simplicité désarmante : “Vous allez voir Hugues Aufray. Je n’ai qu’un visage, je ne suis pas masqué.”

Cette authenticité est sa marque de fabrique. Il fustige la mode, cet artifice “pour ceux qui ne savent pas s’habiller”, rappelant avec malice qu’il portait déjà des baskets et des sandales il y a 70 ans, bien avant que cela ne devienne la norme mondiale. “Je suis dans l’actualité”, corrige-t-il. Une nuance de taille. Hugues Aufray ne court pas après le temps, il l’habite pleinement. Il se revendique comme un “amateur” devenu “professionnel ce matin”, une boutade qui cache une philosophie de vie : garder la fraîcheur du débutant tout en respectant son art et son public. Une pique au passage pour ces “vedettes à lunettes noires” qui arrivent avec des heures de retard, alors que lui, le doyen, met un point d’honneur à la ponctualité et à la transparence.

L’Ombre de Johnny et le Mythe de la Corde de Guitare

L’émotion affleure lorsque le nom de Johnny Hallyday est évoqué. On découvre alors l’origine insolite d’une amitié indéfectible qui a traversé les décennies. Loin des paillettes du show-business, leur lien s’est noué autour d’un incident trivial : une corde de guitare cassée. Johnny, alors jeune débutant anxieux avant un concert dans un club, se retrouve démuni. C’est Hugues qui court chez lui chercher une corde neuve pour sauver la mise. “Il a pu faire son concert grâce à moi”, raconte-t-il avec tendresse. Ce geste simple, fraternel, a scellé un pacte tacite entre les deux hommes. Hugues Aufray ne parle pas de la star, mais du “garçon” qu’il a connu, de l’ami qu’il a aidé. Une humilité qui grandit encore le personnage.

Muriel, l’Amour Patient et la Loyauté Absolue

Mais la révélation la plus touchante de cet entretien concerne sa vie privée, et plus particulièrement son mariage récent avec Muriel, sa compagne de longue date. À 95 ans, Hugues Aufray est un jeune marié. Il a levé le voile sur les raisons de cette union tardive, révélant un sens de l’honneur digne d’un chevalier d’un autre temps.

“Elle a été très patiente, très très patiente”, confie-t-il. Pourquoi ? Parce que Hugues Aufray avait fait un serment : ne jamais divorcer. Par respect pour la mère de ses enfants, il a attendu son décès pour s’autoriser à refaire sa vie officiellement. “J’ai dit je suis libre, et j’ai décidé d’épouser Muriel qui le méritait bien.” Ce respect de la parole donnée, cette loyauté envers son passé tout en embrassant son présent, force l’admiration. Il décrit Muriel comme “remarquablement courageuse”, une femme qui a accepté l’ombre avant de partager la lumière. C’est une magnifique déclaration d’amour, non seulement à sa femme, mais à la constance des sentiments.

La Mort ? “Elle me convient”

Interrogé sur la fin de vie avec la célèbre chanson de Dalida Mourir sur scène, Hugues Aufray ne botte pas en touche. Sa réponse est d’une sérénité impériale. “La mort me convient. Je sais depuis longtemps qu’on doit mourir.” Pas de peur, pas d’angoisse. Juste une lucidité tranquille.

Cependant, il nuance avec une pensée poignante pour les injustices de la mort, celle qui fauche les enfants ou les jeunes talents trop tôt. Pour lui-même, il ne demande qu’une chose : du temps. “J’ai encore du travail à faire pour terminer mon ouvrage.” À 95 ans, il a encore des projets, des chansons à écrire, des combats à mener. C’est cette soif de vivre, cette urgence de “faire”, qui le tient debout et vibrant.

Un Cri du Cœur pour la Jeunesse et le Scoutisme

Le chanteur a profité de cette tribune pour lancer un appel vibrant à la jeunesse. Il dresse un constat sombre de la société actuelle pour les adolescents de 15-16 ans, qu’il juge “dramatique”. Son remède ? Le retour aux valeurs d’écoute et de partage.

Lui qui n’a jamais été scout – un regret qu’il porte encore – se fait l’apôtre d’un scoutisme moderne et laïc. Il nous apprend d’ailleurs que le mot “scout” vient du vieux français “escoute”. “Le scoutisme, c’est l’école de l’écoute. Écouter les autres, écouter la nature, écouter les animaux.” Son rêve ultime ? Rassembler la jeunesse autour de ces valeurs, loin du vacarme des réseaux sociaux et de l’individualisme roi. “Laissez-les parler, ils ont peut-être quelque chose à vous dire”, lance-t-il aux adultes. Un message d’espoir et de transmission qui résonne fort.

“The Voice ? Jamais !”

Enfin, fidèle à son esprit libre (“Aufray” signifiant “Au-dessus, libre” selon son étymologie personnelle), il a balayé d’un revers de main l’idée de participer à des émissions comme The Voice. “Jamais ! Ils savent que je n’aime pas ça. L’art ne peut pas vivre dans le concours.” Pour Hugues Aufray, la musique n’est pas une compétition, c’est une expression de l’âme qui ne supporte ni classement ni hiérarchie. Une prise de position radicale qui confirme que l’artiste n’est pas à vendre.

En quelques minutes, Hugues Aufray a prouvé qu’il n’était pas seulement un chanteur de folk, mais un sage, un témoin de son temps et un homme d’une intégrité absolue. Son passage dans Censuré restera comme une leçon de classe et d’humanité. À 95 ans, le marin de Santiano tient toujours la barre, cap sur la liberté.