Elle est l’une des icônes absolues de la chanson française, celle qui a fait danser des générations entières sur L’école est finie ou Spacer. Mais derrière le sourire éclatant de Sheila et ses millions de disques vendus, se cache une femme meurtrie par une vie de combats. À 79 ans, Annie Chancel, de son vrai nom, ne veut plus se taire. Avec une franchise désarmante, elle revient sur les zones d’ombre de son existence : l’exploitation impitoyable de ses débuts, la rumeur dévastatrice qui a volé son identité de femme, et surtout, la blessure à jamais ouverte de la perte de son fils unique, Ludovic.

L’Oie aux œufs d’or : Une jeunesse volée

L’histoire de Sheila commence comme un conte de fées : une jeune fille de Créteil, issue d’une famille modeste, qui rêve de cirque mais se retrouve propulsée star de la chanson. Pourtant, le rêve tourne vite au cauchemar. Repérée par Claude Carrère, un producteur ambitieux, la jeune Annie devient “Sheila”, un produit marketing avant d’être une artiste.

Dans ses récentes confessions, la chanteuse dépeint un tableau glaçant de ses premières années. “J’étais exploitée, je ne pouvais pas supporter la pression”, avoue-t-elle. Carrère, voyant en elle une mine d’or, contrôle tout : ses chansons, son emploi du temps, et même sa santé. À 18 ans, épuisée, elle s’effondre sur scène à Roanne. Elle ne pèse plus que 45 kilos. Mais pour son producteur, pas question de ralentir : il vaut mieux la garder en studio pour enregistrer à la chaîne plutôt que de la laisser s’épanouir sur scène. “Il signait toutes les chansons, je n’étais qu’une oie aux œufs d’or”, lâche-t-elle avec amertume. Une exploitation qui a forgé son caractère, mais laissé des traces indélébiles.

La rumeur qui a “détruit sa vie”

Si l’exploitation professionnelle était dure, la violence médiatique fut pire encore. Au milieu des années 60, une rumeur folle, sans doute lancée par son propre entourage pour faire le buzz, se répand comme une traînée de poudre : Sheila serait un homme.

Ce qui semble aujourd’hui grotesque a été pour elle un véritable calvaire. Diagnostiquée avec une anémie sévère nécessitant un traitement hormonal qui a légèrement grave sa voix, Sheila devient la proie des tabloïds. “Ça a détruit ma vie”, confie-t-elle les larmes aux yeux. Ses parents n’osaient plus sortir de chez eux. Elle-même vivait recluse, pleurant sans fin.

Cette rumeur l’a poursuivie jusque dans sa maternité. Lorsqu’elle donne naissance à Ludovic en 1975, fruit de son amour avec le chanteur Ringo, l’horreur continue. On l’accuse d’avoir simulé sa grossesse, d’avoir adopté l’enfant, d’avoir utilisé une poche d’eau sous ses vêtements. Une cruauté sans nom qui a volé la joie de devenir mère.

Ludovic : L’amour, les malentendus et le drame

Le chapitre le plus douloureux de la vie de Sheila reste sans conteste sa relation avec son fils, Ludovic Chancel. Enfant de stars, Ludovic a grandi sous les projecteurs, souffrant de l’absence de sa mère, happée par sa carrière. “Je ne comprenais pas pourquoi ma mère travaillait autant”, dira-t-il plus tard, exprimant un sentiment d’abandon qui creusera un fossé entre eux.

Leur relation fut complexe, faite d’amour profond et de déchirements publics, notamment à travers le livre de Ludovic. Pourtant, l’amour filial n’a jamais disparu. “Je t’aime maman”, écrivait-il encore en 2015. Mais le destin a frappé cruellement en juillet 2017, lorsque Ludovic décède à 42 ans, probablement d’une overdose.

Cette perte est une amputation pour Sheila. “Dès que je parle, j’ai l’impression que Ludo est encore près de moi”, dit-elle. Pour survivre à l’innommable, elle s’accroche à sa croyance en la réincarnation et à la certitude que son fils est désormais en paix. Elle a choisi de rester debout, car “il ne voudrait pas me voir m’effondrer”.

Résilience et Renaissance

Malgré les tragédies, les divorces (avec Ringo) et les pertes (son compagnon Yves Martin décédé en 2024 après de longues années de maladie où elle fut son aidante dévouée), Sheila est toujours là. Elle a su se réinventer, passant des couettes des années 60 au disco chic de Spacer avec son ami Nile Rogers, prouvant qu’elle était bien plus qu’une marionnette.

Aujourd’hui, à 79 ans, elle ne cherche plus à prouver quoi que ce soit. Elle raconte son histoire pour reprendre le contrôle de sa narration. Sheila n’est pas seulement une star de la chanson ; elle est une survivante, une femme qui a transformé ses cicatrices en force. Son aveu tardif n’est pas un appel à la pitié, mais une leçon de courage : peu importe la violence des orages, on peut toujours continuer à danser sous la pluie.