« Toujours dans la culpabilité » : Les confessions sans fard de Samuel Le Bihan, un père face aux fantômes de ses trois enfants

Pour des millions de téléspectateurs, il incarne la force tranquille. Samuel Le Bihan, c’est Alex Hugo. Un homme de principes, un roc au milieu des montagnes, un ancien flic marseillais qui a trouvé une forme de paix dans la solitude des sommets. Son regard est droit, ses silences sont pesés, sa sérénité semble inébranlable. Mais derrière le masque du personnage à succès se cache un homme, un père, dont les fondations sont bien plus complexes et tourmentées.

Loin des plateaux de tournage, Samuel Le Bihan n’est pas ce héros solitaire. Il est le père de trois enfants, issus de trois unions différentes, trois âges, trois histoires, trois continents. Et lorsqu’il accepte de fendre l’armure, ce n’est pas la sérénité qui émerge, mais un sentiment bien plus viscéral, un compagnon de route permanent et douloureux : la culpabilité.

Dans une interview accordée à Télé 7 Jours, l’acteur de 59 ans s’est livré avec une franchise rare, presque brutale, sur la réalité de sa paternité. Interrogé sur la relation qu’il entretient avec ses enfants – Jules (29 ans), Angia (13 ans) et la petite Emma-Rose (6 ans) – Le Bihan a laissé tomber une phrase qui pèse une tonne, un aveu qui résonne avec la vérité universelle de tant de parents : « On est toujours dans la culpabilité. »

Ce n’est pas une plainte, c’est un constat. Un état de fait. Pour Samuel Le Bihan, la paternité n’est pas un long fleuve tranquille. C’est un combat permanent contre ses propres démons, ses absences passées et ses impuissances présentes.

Pourtant, le public le connaît surtout comme un “père-courage”. Depuis sa séparation en 2015, il élève seul sa fille Angia, atteinte de troubles autistiques. Son combat pour elle est public, admirable. Il a co-fondé la plateforme Autisme Info Service, il parle ouvertement des défis, des joies, des difficultés. Il est, aux yeux de tous, un père exemplaire, un modèle d’engagement. Mais cette image publique, si juste soit-elle, ne dit pas tout. Elle masque les failles, les regrets qui le rongent pour ses deux autres enfants.

Car la culpabilité dont parle Samuel Le Bihan est triple, et chaque enfant en porte une facette.

Il y a d’abord Jules, l’aîné, 29 ans. Aujourd’hui, leur relation est apaisée, il la décrit même comme « fraternelle », « très proche ». Une belle réussite. Mais cette complicité d’adulte s’est construite sur un échec passé, une blessure que le père n’oublie pas. « Je n’ai pas été très présent pour lui », lâche-t-il, sans chercher d’excuse. C’est la culpabilité classique de l’artiste, de l’acteur en pleine ascension qui a dû sacrifier le temps familial sur l’autel de sa carrière.

On imagine les années 80 et 90, Le Bihan enchaînant les rôles, courant les castings, les tournages. Et pendant ce temps, un petit garçon grandissait. Le succès a un prix, et ce prix, ce sont souvent les souvenirs d’enfance manqués, les histoires du soir non lues, les matchs de foot ratés. Aujourd’hui, Jules est un homme, la relation est “fraternelle”, mais pour le père, le fantôme de l’absentéisme demeure. Il sait ce qu’il a manqué, et ce temps ne se rattrape jamais. C’est la culpabilité du passé, celle qui ne pardonne pas.

Ensuite, il y a Angia, 13 ans. Le paradoxe est total. Comment peut-il se sentir coupable envers l’enfant pour qui il donne tout, pour qui il a réorganisé toute sa vie ? Sa culpabilité ici est plus subtile, plus insidieuse. Il parle du « poids » qu’il lui met. C’est la culpabilité du “père-guerrier”. À force de se battre pour elle, pour sa cause, pour son avenir, n’en fait-il pas trop ? Ne la définit-il pas uniquement par son combat ?

C’est une introspection d’une honnêteté poignante. Quand un parent mène une bataille si intense pour son enfant, il peut, sans le vouloir, créer une pression immense. Le Bihan semble s’interroger : en voulant la tirer vers le haut, ne l’écrase-t-il pas sous le poids de ses propres attentes, de son propre engagement ? C’est la culpabilité du présent, celle du “trop-plein”, la peur de mal faire en voulant trop bien faire.

Et enfin, il y a la petite dernière, Emma-Rose, 6 ans. La troisième facette de ce tourment paternel. L’enfant vit à l’autre bout du monde, au Vietnam, avec sa mère, Angie Vu Ha. Ici, la culpabilité n’est plus celle du passé (Jules) ou de l’intensité (Angia). C’est la culpabilité brute de la distance. C’est l’impuissance géographique.

À 6 ans, un enfant grandit à la vitesse de la lumière. Chaque jour est une nouvelle découverte, un nouveau mot, une dent qui tombe. Et Samuel Le Bihan rate tout ça. Il est le père de l’écran, le visage sur FaceTime, la voix au téléphone. Mais il n’est pas là pour le câlin du soir, ni pour soigner le genou écorché. « C’est la distance qui nous sépare », dit-il, avec un euphémisme qui cache mal la douleur de l’éloignement. C’est la culpabilité de l’impuissance, le sentiment d’être un père intermittent, un fantôme dans la vie de sa propre fille.

Trois enfants, trois formes de culpabilité. L’absence passée, la pression présente, la distance insurmontable. Samuel Le Bihan, en quelques mots, vient de résumer le triangle d’anxiété de la paternité moderne. Il est l’incarnation de ce sentiment universel que partagent tous les parents, célèbres ou anonymes : celui de ne jamais être tout à fait à la hauteur. De ne jamais en faire assez.

Loin de l’image lisse et parfaite qu’on exige souvent des personnalités publiques, cette confession sans fard est bouleversante parce qu’elle est vraie. Elle ne fait pas de Samuel Le Bihan un mauvais père. Elle fait de lui un père humain. Un homme qui aime si fort que chaque imperfection, chaque compromis, chaque échec, résonne en lui comme une faute.

Il tente bien de conclure sur une note d’espoir, comme pour se rassurer lui-même : « Mais j’ai beaucoup d’amour pour eux et tout va bien. » Et c’est sans doute là que se trouve la vérité. La culpabilité, chez lui, n’est pas le contraire de l’amour ; elle en est la conséquence directe, la preuve irréfutable. C’est le fardeau de ceux qui aiment intensément, mais qui sont contraints par les limites de la vie, du temps et de la géographie.

Alex Hugo a peut-être trouvé la paix dans ses montagnes, mais Samuel Le Bihan, lui, continue de gravir les sommets bien plus escarpés de la paternité, avec pour seul bagage cet amour immense et cette culpabilité en bandoulière.