Le Secret du Fax de Monticello : Quand Jacques Dutronc, Reclus en Corse, Laisse Ses Chats Écrire à Sa Place

Le Secret du Fax de Monticello : Quand Jacques Dutronc, Reclus en Corse, Laisse Ses Chats Écrire à Sa Place

L’imaginaire collectif a toujours figé Jacques Dutronc dans une image d’éternel dandy, cynique et nonchalant, le verre de rouge à portée de main, le cigare en volute, le regard dissimulé derrière des lunettes noires. Mais derrière ce masque de désinvolture rock se cache un poète reclus, un homme d’une sensibilité extrême, dont le quotidien en Corse, loin du tumulte parisien, est rythmé par une existence à la fois archaïque et délicieusement absurde. Le chanteur, qui vit depuis des décennies dans son refuge de Monticello, a révélé à travers les anecdotes de ses proches, notamment le photographe Jean-Marie Périer, la plus touchante de ses excentricités : sa relation fusionnelle avec ses chats, au point d’en faire ses secrétaires épistoliers via… un fax.

Cette révélation, aussi invraisemblable que charmante, ne fait qu’épaissir le mystère Dutronc. Elle nous offre un aperçu rare, presque philosophique, de la vie d’un artiste qui a élevé le farniente au rang d’art majeur. À l’ère des tweets, des emails instantanés et des appels vidéo, Jacques Dutronc persiste et signe avec une machine résolument du XXe siècle, utilisant ses félins comme filtre poétique entre son ermitage corse et le reste du monde.

La Légende de Monticello : L’Exil Volontaire et la Nonchalance Érigée en Mythe

Depuis qu’il a choisi de vivre en Corse, dans le village de Monticello, Dutronc est devenu une sorte de légende vivante, à la fois visible et inaccessible. Il a fait de cette île son sanctuaire, un lieu où le temps s’étire à la manière d’un long solo de guitare sous le soleil. Cette retraite, amorcée après la fin de sa relation conjugale avec Françoise Hardy, est sa manière de se protéger du bruit, des exigences du show-business, et de la complexité du monde moderne.

Dans son univers, les priorités sont claires : le vin de pays, l’ombre, la musique et, surtout, ses compagnons à quatre pattes. Loin d’être un simple décor de carte postale pour retraités célèbres, la maison de Dutronc est un microcosme où l’artiste s’est réinventé en figure de l’anti-héros. Il est l’homme qui a chanté J’aime les filles et Et moi, et moi, et moi, mais qui préfère désormais la compagnie silencieuse et judicieuse de ses amis animaux.

La présence de ses chats – Jean-Marie Périer parle d’une douzaine d’entre eux, chacun avec sa personnalité et son nom – est le cœur de son quotidien. Ils ne sont pas de simples animaux de compagnie ; ils sont les gardiens de son farniente, les témoins muets de ses méditations et les dépositaires de cette douce folie qui a toujours nourri sa créativité. Leur tranquillité, leur indifférence majestueuse aux affaires du monde, correspondent parfaitement à l’état d’esprit que Dutronc a toujours recherché.

Les Chats, Miroirs de l’Âme : Une Relation au-Delà de l’Affection

La révélation selon laquelle Jacques Dutronc envoie des faxes rédigés par ses chats dépasse la simple anecdote amusante. Elle est une clé de lecture pour comprendre la psyché de l’artiste. En refusant d’utiliser sa propre voix narrative dans ces échanges quotidiens, et en la prêtant à ses compagnons félins, Dutronc met en place une distance poétique.

« Moi, je me suis réveillé en sursaut… il n’y a plus de croquettes », pourrait-on imaginer lire sur le papier glacé d’un de ces fax. Ces messages, transmis à des amis proches comme Jean-Marie Périer ou à des collaborateurs, sont une manière de communiquer les petites banalités du quotidien, les humeurs légères ou les observations du moment, mais sous un déguisement délicieusement absurde.

C’est un geste à la fois humble et génial. Humble, car il s’efface derrière l’animal, refusant le rôle de la star qui donne de ses nouvelles. Génial, car cela transforme la plus banale des communications en une œuvre d’art minimaliste et Dadaïste. Les chats deviennent ses porte-parole philosophes, ses alibis pour exprimer l’ennui, la joie ou une demande pratique, sans jamais rompre le personnage du grand mélancolique impassible. C’est l’essence même de l’humour Dutronc : l’art de dire des choses profondes en ayant l’air de ne s’occuper de rien.

Le Fax, Manifeste Contre la Modernité : La Poésie de l’Archaïque

L’utilisation persistante du fax par Jacques Dutronc est un élément crucial de son mythe. Alors que le monde est hyper-connecté et que l’urgence est la norme, le fax est un acte de résistance. C’est une technologie lente, bruyante, qui nécessite du papier et qui appartient à une autre époque. En refusant smartphones, emails et réseaux sociaux, Dutronc n’est pas seulement réfractaire ; il est un esthète de l’obsolescence choisie.

Le fax est le médium parfait pour le message de ses chats. Il arrive de manière solennelle, craché par une machine reléguée au fond d’un bureau, souvent pour transmettre une note aussi futile que poétique. C’est un message d’un autre temps, envoyé d’un lieu hors du temps. Cette méthode crée une barrière symbolique entre son monde idyllique en Corse et la frénésie du continent. Seuls les initiés, ceux qui acceptent de s’aligner sur son rythme, peuvent pénétrer dans sa bulle.

L’anecdote du fax et des chats est donc le parfait reflet de sa posture artistique : un mélange de désengagement politique et social, de spleen existentiel et d’un sens aigu de la mise en scène personnelle. Il continue de jouer son propre rôle avec une perfection désarmante, où même la communication la plus simple est détournée et magnifiée par l’absurde.

Dutronc, Le Dernier des Dandys Français

En définitive, l’histoire des faxes rédigés par les chats n’est pas qu’une plaisanterie de rockeur à la retraite. C’est un pan essentiel du mythe de Jacques Dutronc. Il est, avec sa compagne d’alors, Françoise Hardy, et son ami Serge Gainsbourg, l’un des derniers grands poètes de la chanson française à avoir fusionné son œuvre et son style de vie pour créer un personnage légendaire et intouchable.

Son excentricité n’est jamais agressive, toujours empreinte d’une tendresse désabusée. Il se moque de lui-même, il se moque de la société, et il le fait avec l’aide de ses créatures de Monticello. En leur prêtant sa plume, il nous rappelle que la poésie se trouve dans l’observation la plus simple et dans la rupture la plus élégante avec les codes établis.

Cet homme, capable d’épuiser une décennie de télévision avec son humour pince-sans-rire, utilise désormais ses chats pour relayer ses pensées les plus intimes et les plus décalées. C’est une façon de dire : même au sommet de ma célébrité, je préfère la conversation avec les animaux et la lenteur du fax. Il nous rappelle que l’ultime luxe, c’est de choisir sa propre folie, et de la partager avec ceux qui sauront la déchiffrer. Jacques Dutronc, à 82 ans, continue de nous envoyer des signaux de fumée d’un autre monde, des messages d’amour et de poésie transmis par ses compagnons félins. Et le public adore être l’un des rares destinataires de cette correspondance secrète.