Disparition de Shirley et Dino : Le lourd secret derrière les rires et leur incroyable renaissance loin des caméras

« Mais où sont-ils passés ? »

Depuis des années, la question flotte sur les lèvres de millions de Français. Elle concerne un duo qui, en l’espace de quelques années, était devenu aussi iconique que la Tour Eiffel pour les touristes ou le café-croissant du matin. Eux, c’était Shirley et Dino. Elle, avec sa robe vichy rose, ses couettes improbables et son rire de crécelle. Lui, le pseudo-crooner au costume blanc trop court, au cheveu gominé et à la répartie lunaire.

Pendant près d’une décennie, Corine et Gilles Benizio, le couple à la ville comme à la scène, ont été les rois de l’humour absurde et régressif. Portés au firmament par Patrick Sébastien qui en avait fait les piliers de son « Plus Grand Cabaret du Monde », ils ont fait rire la France entière avant de… disparaître.

Plus de sketches à la télévision. Plus de spectacles sous ce nom. Un silence radio.

Aujourd’hui, le voile se lève. Et c’est justement leur mentor, Patrick Sébastien, qui, visiblement ému, a récemment donné des nouvelles du couple. Ses mots, relayés dans un court extrait vidéo, sont venus confirmer ce que beaucoup pressentaient : derrière les personnages se cachait une réalité complexe.

« Les personnages de Shirley et Dino pesaient trop lourd sur les épaules de Corine et Gilles Benisio », explique l’animateur.

Une phrase. Une seule. Mais elle dit tout. Elle raconte l’histoire d’un fardeau. Le poids d’un succès si colossal qu’il en devient une prison. Ces personnages « encombrants », comme les décrit Sébastien, ont fini par étouffer leurs créateurs. La France les aimait tant qu’elle ne voulait plus voir qu’eux, oubliant les deux artistes de talent qui se cachaient dessous.

Pour comprendre ce besoin de « se réinventer artistiquement », il faut se replonger dans la folie Shirley et Dino. Nous sommes au début des années 2000. Corine et Gilles, qui se sont rencontrés sur les bancs de l’université, affinent leurs personnages depuis la fin des années 80. Leur humour, un mélange de naïveté enfantine, de gags visuels et de références décalées au music-hall, tranche avec le stand-up plus cynique de l’époque.

Leur passage chez Patrick Sébastien agit comme un détonateur. La France tombe amoureuse de ces deux « cousins » improbables. Les sketches s’enchaînent, les tournées se jouent à guichets fermés. En 2003, la consécration arrive : ils reçoivent le Molière du meilleur spectacle de sketches. Shirley et Dino sont partout. Ils sont un phénomène.

Mais ce que le public ne voit pas, c’est l’usure. Le costume de scène qui devient un uniforme. Le rire de Shirley qui, en coulisses, ne résonne plus. Gilles et Corine Benizio sont des artistes complets, formés au théâtre, passionnés de mise en scène et de musique. Or, le public ne réclame que la robe vichy et les blagues de « Dino, le cousin ».

Dans une interview donnée il y a quelque temps à La Provence, le couple avait déjà effleuré le sujet : « Pour nous, Shirley et Dino, c’est fini, c’est du passé. On se tourne aujourd’hui vers l’avenir, on s’amuse autrement. » Ils avaient senti le danger. Celui de l’artiste qui ne se renouvelle plus, qui devient la parodie de lui-même, piégé par le personnage qu’il a créé. Ils ont préféré tuer leurs créatures avant qu’elles ne les dévorent artistiquement.

La « disparition » n’a donc pas été une retraite paisible. Ce fut une libération. Une évasion.

Et c’est ici que leur histoire prend une tournure que personne, absolument personne, n’aurait pu prédire. Oubliez les scènes des Zéniths et les plateaux télévisés. La nouvelle maison de Corine et Gilles Benizio, ce sont les plus prestigieuses maisons… d’opéra.

Oui, vous avez bien lu.

Loin du « Plus Grand Cabaret du Monde », le couple s’est lancé corps et âme dans la mise en scène d’opéras et d’opéras-bouffes. Et il ne s’agit pas d’un simple passe-temps. Leur travail est salué par la critique, et ils s’attaquent aux répertoires les plus exigeants.

Leur CV de metteurs en scène a de quoi faire pâlir d’envie. Jugez plutôt : ils ont monté King Arthur de Purcell, le ballet-comique Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier, le chef-d’œuvre Platée de Rameau à l’Opéra de Versailles, ou encore La Fille du régiment de Donizetti et même Turandot de Puccini.

La transition est radicale. Le grand écart est total.

Et pourtant, à y regarder de plus près, c’est d’une logique implacable. Comme l’expliquait Corine Benizio, leur mission est de « rendre accessible l’humour à l’opéra ». Ils n’ont pas renié ce qu’ils étaient. Ils ont simplement déplacé leur folie, leur « grain de sel », leur sens du burlesque et de la poésie visuelle vers un art jugé plus élitiste.

Ils ont dépoussiéré l’opéra comme ils avaient dépoussiéré le cabaret. Ils y ont injecté la même passion pour le spectacle total. Leur savoir-faire, acquis sur des centaines de scènes avec Shirley et Dino, leur sert aujourd’hui à diriger des chanteurs lyriques et des orchestres.

Patrick Sébastien le confirme dans son intervention : le duo « continue ainsi de se produire ». Leur passion pour la scène, dit-il, « reste intacte ». Intacte, oui, mais métamorphosée.

Aujourd’hui, Corine et Gilles Benizio vivent plus heureux, loin du tumulte médiatique. Ils ont retrouvé l’anonymat, ou presque. Ils préfèrent être reconnus pour leur travail de mise en scène que d’être interpellés dans la rue pour un rire ou une robe. Ils ont réussi le pari fou de s’extraire de leur propre mythe.

L’histoire de Shirley et Dino n’est finalement pas celle d’une disparition, mais celle d’une renaissance. C’est une leçon magistrale d’intégrité artistique. Ils ont eu le courage de dire « stop » au sommet de leur gloire, de risquer l’oubli pour retrouver la liberté.

Ils ont refusé de n’être qu’un souvenir en vichy rose. Ils ont prouvé, comme le conclut sagement Patrick Sébastien, que « leur talent dépassait bien les personnages qui les ont rendus célèbres ».

Aujourd’hui, quelque part en France, dans la pénombre d’un théâtre lyrique, deux artistes, Corine et Gilles, sont en pleine répétition. Ils règlent des lumières, dirigent des chanteurs, et préparent leur prochain spectacle. Ils sont sans doute fatigués, mais ils sont libres. Et, à n’en pas douter, ils s’amusent infiniment plus que s’ils avaient dû, une fois de trop, enfiler leurs vieux costumes. La robe vichy est au placard, et elle y restera. Le rideau s’est levé sur le deuxième acte de leur vie. Et il est, semble-t-il, bien plus grandiose.