La télévision en direct est une arène moderne. C’est une poudrière où tout peut arriver, le meilleur comme le pire. C’est un exercice de haute voltige sans filet de sécurité. Et parfois, sous les lumières vives des projecteurs et les rires enregistrés, se produit l’impensable : un dérapage si violent, si cru, qu’il fige le temps et laisse des millions de téléspectateurs en état de choc. Ce soir-là, sur le plateau de la bouillonnante émission “Touche pas à mon poste !”, nous avons assisté à l’une de ces explosions. Une humiliation publique, une agression verbale d’une rare vulgarité, dont la victime fut la chroniqueuse Enora Malagré, et l’auteur, l’invité star du porno, Rocco Siffredi.

Le décor est planté. D’un côté, Enora Malagré, la “grande gueule” du PAF, connue pour son franc-parler, ses opinions tranchées et sa capacité à ne jamais se laisser démonter. De l’autre, Rocco Siffredi, icône mondiale du cinéma X, un homme dont la réputation sulfureuse le précède, invité pour sa “personnalité” brute et provocatrice. La rencontre entre ces deux forts caractères promettait des étincelles. Elle a livré un incendie.

Tout commence par un échange qui, en apparence, reste dans les codes de l’émission. La discussion tourne autour de Siffredi, de son métier, de sa réputation d’”étalon”. Enora Malagré, fidèle à son rôle, lance la conversation sur un ton qui se veut peut-être léger, ou du moins dans la thématique de l’invité. Le clip s’ouvre sur ses mots : “La plupart, elles ont peur de faire l’amour avec vous, Rocco”. C’est une perche tendue, une question déguisée sur le mythe et la réalité de l’homme. Elle ne sait pas encore qu’elle vient d’armer une bombe qu’elle ne pourra pas désamorcer.

La réponse de Rocco Siffredi ne se fait pas attendre. Mais au lieu de répondre sur le fond, il choisit de cibler, d’attaquer, et de le faire de la manière la plus personnelle et la plus avilissante qui soit.

Son regard se plante dans celui de la chroniqueuse. Il ne lui répond pas, il la juge. “Vous avez le look, vous,” commence-t-il, avant de lâcher la phrase qui restera gravée dans les annales du malaise télévisuel : “Vous savez, le look de la fille qui se masturbe tous mes films… mais a horreur de baiser avec moi.”

Le silence. Le choc. La phrase est d’une violence inouïe. En quelques mots, Rocco Siffredi ne se contente pas de répondre à une question ; il la déshabille publiquement. Il la sexualise contre son gré, l’accusant d’hypocrisie, et surtout, il la réduit à un fantasme cru, la dépeignant comme une femme frustrée qui se livrerait à des actes intimes en pensant à lui. L’attaque n’est pas seulement déplacée, elle est stratégique. Il la salit, la rabaisse à un objet sexuel, et nie sa légitimité de journaliste ou de chroniqueuse.

La réaction d’Enora Malagré est immédiate et déchirante. Elle, l’intervieweuse aguerrie, la reine de la répartie, est littéralement anéantie. Son visage se décompose. Elle cherche ses mots, tente de garder contenance, mais la blessure est trop profonde. “C’est difficile de répondre,” lâche-t-elle dans un souffle, la voix tremblante. La “grande gueule” a été réduite au silence. L’agression a atteint sa cible.

Mais le plus sidérant n’est peut-être pas l’insulte elle-même, mais la justification qui suit. Siffredi, voyant peut-être le malaise qu’il a créé, ou au contraire, pour enfoncer le clou, ajoute : “Mais j’ai le droit ! Parce que ma sexualité…” C’est une défense ahurissante. Il revendique un “droit” à l’insulte, un permis de tout dire, au nom de son statut de star du X. Comme si son métier lui donnait une immunité contre les règles de base de la décence et du respect. Il crée une “confusion”, comme il le dit lui-même, mais c’est une confusion qu’il impose aux autres.

Il tente ensuite de noyer le poisson, de généraliser son attaque personnelle pour la faire passer pour une observation sociologique de bas étage. “J’ai beaucoup de femmes qui me disent… ‘j’adore regarder dans les films, mais jamais je désirais…’” Cette tentative de “sauvetage” est pathétique. Le mal est fait. Ce n’était pas une “femme” en général qu’il décrivait, c’était Enora. Il l’a pointée du doigt, l’a “analysée” selon ses propres termes et l’a condamnée publiquement.

Ce qui rend cet incident si marquant, c’est qu’il est un cas d’école de ce qu’on appelle aujourd’hui le “slut-shaming” et le harcèlement sexuel en direct. C’est une démonstration de pouvoir brutale. Enora a osé le “défier” sur le terrain de la sexualité, il a répliqué en la ramenant à une condition de femme qu’il fantasme, qu’il méprise et qu’il expose. Il lui a dit, en substance : “Tu n’es pas une professionnelle, tu es juste une femme frustrée qui me désire.”

L’incident pose également la question de la responsabilité du plateau. Dans ces moments de dérapage total, la réaction de l’animateur et des autres chroniqueurs est cruciale. Le silence, les rires gênés, ou la tentative de passer rapidement à autre chose, sont autant de validations tacites de l’agression. En ne condamnant pas fermement et immédiatement de tels propos, l’émission elle-même se rend complice de l’humiliation.

Des années plus tard, cette séquence continue de choquer. Elle n’est pas drôle, elle n’est pas “rock’n’roll”. Elle est le témoignage d’un moment où la télévision a échoué. Elle a échoué à protéger sa chroniqueuse. Elle a échoué à fixer des limites à un invité qui a confondu provocation et agression. Et Enora Malagré, “choquée” et “mince”, comme elle le murmure, est devenue ce soir-là le symbole de toutes les femmes qui, un jour, se sont fait réduire au silence par une remarque sexiste si violente qu’elle en devient paralysante. C’est plus qu’un “mauvais buzz”, c’est une cicatrice télévisuelle.