Le plateau de BFM TV est devenu, au fil des années, une véritable arène politique. C’est le lieu où les réputations se font et se défont, où chaque mot est pesé, et où la moindre erreur se paie cash. Mais c’est aussi là que se révèlent les stratèges. L’affrontement entre la journaliste Apolline de Malherbe et l’homme politique Jordan Bardella est un cas d’école. Récemment, un échange particulièrement tendu, centré sur le sujet inflammable de l’immigration, a fait le tour des réseaux sociaux, non pas pour le clash, mais pour la réponse chirurgicale de Bardella, qualifiée par beaucoup de “masterclass”.

L’étincelle ? Un mot. Un seul. “Hypocrisie”. Un terme lancé comme une flèche par la journaliste pour tenter de mettre l’homme politique face à ses contradictions. Mais le piège s’est retourné contre celle qui le tendait.

Tout commence par un sujet au cœur des préoccupations françaises : l’économie, les salaires, et le travail. Jordan Bardella expose sa théorie principale, un des piliers de son discours : l’immigration, telle qu’elle est pratiquée depuis des décennies, est utilisée comme un outil économique pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. C’est, selon lui, un système qui arrange certains secteurs tout en pénalisant les travailleurs français, notamment les jeunes.

C’est là qu’Apolline de Malherbe intervient, armée de chiffres et de la “réalité du terrain”. Elle évoque ces secteurs en tension, comme la restauration ou le BTP, qui, de l’aveu même des patrons, ne tourneraient pas sans cette main-d’œuvre immigrée, souvent clandestine. “Heureusement qu’ils sont là”, semble-t-elle dire, rapportant les propos d’acteurs du secteur.

Bardella, loin de nier le problème, acquiesce sur les difficultés de recrutement. Il pointe du doigt les conditions de travail et le niveau des salaires comme étant les véritables chantiers. La journaliste sent l’ouverture. Elle le confronte alors aux propos d’un chef qui parle “d’hypocrisie” générale. Le piège est tendu : si ces secteurs “tiennent grâce à eux”, n’est-il pas hypocrite de vouloir les expulser ? N’est-ce pas la preuve que le discours politique est déconnecté de la réalité économique ?

C’est ici que l’échange bascule. Au lieu de tomber dans le panneau de la justification morale ou de l’indignation, Jordan Bardella fait ce qu’il fait de mieux : il déplace le débat sur son propre terrain, avec un calme olympien.

“OK. Ça tient grâce à eux”, lâche-t-il, acceptant le postulat de départ. La concession est minime mais stratégique. Il ne nie pas le présent. Il va, au contraire, redéfinir le futur. Sa réponse se déploie en deux temps, une véritable “leçon” de stratégie politique.

D’abord, la réponse économique et sociale. Le problème, selon lui, n’est pas de savoir si on a besoin de ces travailleurs, mais pourquoi on en a besoin. Il réitère : la faiblesse des salaires. Sa solution ? Inverser la logique. Plutôt que d’importer une main-d’œuvre bon marché pour des emplois pénibles, rendons ces emplois attractifs pour les Français. Il propose une mesure concrète : permettre aux chefs d’entreprise d’augmenter les salaires en les exonérant de cotisations sociales. “Il faut faire en sorte que les restaurateurs français puissent embaucher des travailleurs français”, martèle-t-il. Il ne répond pas à l’accusation “d’hypocrisie”, il la rend obsolète en proposant une alternative.

Ensuite, la réponse systémique. C’est le cœur de sa “masterclass”. Apolline de Malherbe insiste : “Vaut-il pas mieux les régulariser que de poursuivre l’hypocrisie ?”. C’est là que Bardella porte le coup décisif. Il ne parle plus de l’individu, mais du système. La régularisation, explique-t-il, n’est pas une solution, c’est un “appel d’air”.

“Une fois que vous aurez régularisé ces travailleurs”, commence-t-il, “ils auront probablement des conditions beaucoup plus exigeantes. Et bien, ces travailleurs-là seront remplacés par d’autres qui vont venir, et qui seront régularisés à leur tour”.

En une phrase, il vient de théoriser ce qu’il nomme “un cycle sans fin”. Il transforme un débat moral (l’hypocrisie) en un débat de flux et de mécanique. Il soutient que la régularisation ne met pas fin au problème, elle l’institutionnalise. La journaliste, qui s’attendait à un débat sur les chiffres de la restauration, se retrouve face à une analyse macro-économique qui, qu’on soit d’accord ou non, est structurée et cohérente. L’adversaire est “désarmé”.

Mais la leçon ne s’arrête pas là. Après avoir gagné le point économique, Bardella enfonce le clou en déplaçant une dernière fois le débat vers un terrain où il est encore plus à l’aise : l’identité.

Il affirme que l’immigration n’est pas seulement une “variable économique”, mais un “apport culturel” qui, dans certains territoires, “crée de plus en plus de tensions”. Le voilà, le véritable enjeu selon lui. La question de la main-d’œuvre dans la restauration n’est qu’un “sujet” ; le vrai sujet, “le sujet à part entière qui engage le peuple français”, c’est l’identité.

Il conclut par ce qu’il estime être “la plus grande inquiétude des Français” : “c’est de rester eux-mêmes, de demeurer eux-mêmes”. Il parle de “conserver leur langue, leur coutume, leur art de vivre”. Cet “art de vivre”, dit-il, est “profondément bouleversé”.

L’échange est brillant de stratégie. Parti d’une accusation “d’hypocrisie” sur un point technique (les cuisiniers sans-papiers), Bardella a réussi, en moins de trois minutes, à :

    Désamorcer l’attaque en acceptant le postulat de base.
    Proposer une solution économique alternative (la hausse des salaires défiscalisée).
    Théoriser l’échec de la solution adverse (le “cycle sans fin” de la régularisation).
    Élever le débat du technique (économie) au philosophique (identité et “art de vivre”).

Cet échange montre pourquoi les débats politiques modernes ne se gagnent pas toujours sur les faits, mais sur le “cadrage”. Bardella a refusé le cadre de “l’hypocrisie morale” que lui tendait la journaliste. Il a imposé le sien : celui d’un “choix de civilisation”. Sans cri, sans clash, il a livré une performance politique qui sera, sans nul doute, étudiée et partagée. Il n’a pas seulement répondu à une question, il a déroulé son manifeste. Et c’est en cela que réside la véritable “leçon”.