Il y a des émissions de télévision qui ont le don de percer les armures. “La Boîte à Secrets”, animée par Faustine Bollaert, est de cette trempe. C’est une mécanique de précision émotionnelle, un lieu où les souvenirs ne sont pas seulement racontés, mais revécus. Mais ce soir-là, lorsque Théo Curin s’est assis sur le canapé, personne, pas même la production, n’aurait pu prédire l’intensité de la vague qui allait déferler. Car ce soir-là, la France a vu l’homme que l’on pensait incassable, le symbole vivant de la résilience, s’effondrer. L’icône est redevenue un homme, submergée par le fantôme d’un petit garçon de 6 ans.

Théo Curin n’est pas un invité comme les autres. À 24 ans, son parcours force une admiration qui frise la sidération. Animateur de “Slam”, chroniqueur, acteur, mannequin, et surtout, athlète de l’extrême. Nageur paralympique, il a traversé le lac Titicaca, relevé des défis que des personnes “valides” n’oseraient même pas rêver. Le tout, après avoir été amputé de ses quatre membres à l’âge de 6 ans. Sa devise, c’est “la vie est une fête”. Son discours, c’est celui de la détermination, du sourire sans faille, de l’absence de regret. “Je n’en veux à personne, même pas à la vie”, a-t-il déjà confié.

C’est cet homme, ce roc souriant, que Faustine Bollaert a invité à ouvrir sa boîte. Et une boîte s’est ouverte. L’ambiance change. L’animatrice, avec la délicatesse qu’on lui connaît, prépare le terrain. Elle parle d’images qu’elle a vues, des images qui l’ont elle-même “mis les larmes aux yeux”. Des images qui, dit-elle, lui ont fait comprendre “qui vous étiez”.

Théo est attentif, mais encore protégé par cette assurance qu’il s’est forgée. Il ne sait pas ce qui arrive.

Et puis, l’écran s’allume. Ce ne sont pas des exploits sportifs. Ce ne sont pas des messages d’amis célèbres. C’est un retour en arrière, un an après le drame. Un an après que la méningite foudroyante, ce “purpura fulminans”, ait ravagé son petit corps de 6 ans et forcé les médecins à l’amputation pour lui sauver la vie.

Sur l’écran, un petit garçon. Lui. Théo, 7 ans. On le voit, fragile, sur des prothèses rudimentaires, en plein centre de rééducation. Il fait ses premiers pas. Il tombe. Il se relève. Et puis, la caméra s’arrête sur son visage. Et l’enfant… sourit. Un sourire éclatant, plein de vie, plein de défi.

Faustine Bollaert commente en direct : “Regardez le sourire de Théo à la fin. Et là, on comprend l’athlète, l’homme, on comprend beaucoup de choses.”

Sur le plateau, le Théo de 24 ans regarde l’enfant de 7 ans. Et l’armure se fissure. La mâchoire se serre, les yeux se plissent. La caméra, impitoyable et bienveillante, reste fixée sur lui. Le champion tente de contenir l’émotion. Il se mord les lèvres. En vain. Les larmes jaillissent. Ce ne sont pas quelques larmes pudiques. Théo Curin fond en larmes. Il pleure à chaudes larmes, la tête baissée, s’essuyant le visage avec ses poignets, dans un geste d’une vulnérabilité désarmante.

Le plateau est suspendu. Le public est saisi. Car ce ne sont pas seulement des larmes de tristesse. Ce sont des larmes de reconnaissance, de fierté pour ce petit garçon qu’il a été. Ce sont les larmes d’un homme qui, comme il l’a souvent dit, n’a “aucun souvenir” de sa vie d’”avant”, de sa vie de “valide”. Tout son monde, toute son identité, s’est construite après ce moment.

Voir ce petit garçon sourire, ce n’est pas seulement un souvenir. C’est la genèse de tout ce qu’il est devenu. C’est la preuve que la détermination sans faille et le sourire qui le caractérisent aujourd’hui n’étaient pas une construction d’adulte, mais un choix fondamental fait par un enfant de 7 ans qui venait de tout perdre.

L’émotion est d’autant plus forte qu’elle touche à l’indicible. Comment survit-on à une telle épreuve ? Théo l’a raconté. Il a raconté comment sa mère, dans un geste de désespoir et d’espoir mêlés, a lu le livre de Philippe Croizon, lui aussi amputé des quatre membres. Comment la rencontre avec ce mentor improbable lui a ouvert le champ des possibles. “Quand je l’ai vu arriver en voiture, ça m’a rassuré”, a-t-il expliqué. “Je me suis dit : ‘Putain, je vais pouvoir conduire une voiture quand je serai grand’.”

Ces larmes sur le plateau de “La Boîte à Secrets” sont un pont entre deux époques. Entre l’enfant qui se battait pour se tenir debout et l’homme qui nage à travers les continents. En pleurant devant des millions de Français, Théo Curin n’a pas fait preuve de faiblesse. Il a fait preuve d’une humanité radicale. Il a montré que la force, la vraie, ce n’est pas de ne jamais tomber, ni de ne jamais pleurer. C’est de se relever, et de sourire, même quand le monde entier pense que vous êtes brisé.

La séquence s’est terminée, Théo a repris contenance, toujours avec ce sourire qui semble désormais encore plus lumineux, car on en connaît le prix. Il a continué l’émission, reçu des surprises d’amis comme Camille Lacourt. Mais le cœur de l’émission avait battu à cet instant précis.

En sortant de “La Boîte à Secrets”, Théo Curin n’est plus seulement un champion qui nous inspire par ses exploits. Il est un homme qui nous touche par sa vulnérabilité. Ses larmes ont lavé l’image trop lisse du “super-héros” pour révéler l’homme, tout simplement. Et c’est peut-être là son plus grand exploit : nous rappeler que dans les cicatrices les plus profondes se trouve la source de la plus incroyable des lumières.