Il y a des vidéos qui sont bien plus que de simples archives télévisuelles. Ce sont des capsules temporelles, des morceaux de notre propre histoire qui, lorsqu’on appuie sur “lecture”, libèrent un parfum doux-amer de nostalgie et de regrets. La reprise du tube “En chantant” de Michel Sardou par les élèves de la Star Academy 4 est de celles-là. Mais en la regardant aujourd’hui, impossible de ne pas sentir sa gorge se serrer. Derrière l’énergie communicative et les sourires éclatants de cette promotion légendaire se cache une tragédie que personne, à l’époque, ne pouvait soupçonner.

C’était l’automne 2004. La France entière vibrait au rythme du château de Dammarie-les-Lys. Nous étions des millions devant nos écrans, fascinés par une bande de jeunes artistes en devenir. Parmi eux, un garçon à la voix d’ange et au courage infini : Grégory Lemarchal. Cette vidéo, qui cumule des milliers de vues et de commentaires émus, capture l’essence même de ce qu’était la “Star Ac” à son apogée : une bulle d’insouciance et de camaraderie.

“Chasser mes idées noires en chantant” : une prophétie bouleversante ?

Ce qui frappe d’emblée dans cette performance, c’est la personnalisation des paroles. C’était la marque de fabrique de cette saison : une bande de potes qui s’appropriaient tout. On entend les prénoms fuser au détour d’un couplet : “En chantant Sébastien”, “En chantant Virginie”, “En chantant John”. Ils inscrivaient leurs identités dans la chanson française, comme pour dire “Nous sommes là, nous sommes vivants, et nous chantons ensemble”.

Mais c’est lorsque la voix de Grégory s’élève ou que l’on croise son regard pétillant que la vidéo prend une autre dimension. Les paroles de Michel Sardou, “Quand j’étais petit garçon, je repassais mes leçons en chantant / Et bien des années plus tard, je chassais mes idées noires en chantant”, résonnent aujourd’hui avec une cruauté et une beauté terribles.

Pour Grégory, chanter n’était pas un simple divertissement. C’était vital. C’était littéralement sa façon de chasser la maladie, de repousser les limites de son corps, de respirer plus fort que la mucoviscidose. Le voir là, si jeune, si fougueux, clamer que la vie est “plus marrante en chantant”, c’est recevoir une leçon de vie posthume qui nous transperce l’âme.

L’innocence d’une “famille” avant le drame

La force de cette vidéo réside aussi dans ce qu’elle montre du groupe. La Star Academy 4 n’était pas une simple compétition, c’était une famille. On sent dans cette chorégraphie, parfois un peu maladroite mais tellement sincère, une union sacrée. Lucie, Hoda, Mathieu, Sofiane… ils sont tous là, unis par ce fil invisible qui ne s’est jamais rompu, même après le départ tragique de leur “petit prince” en 2007.

Il y a une ironie dramatique poignante dans les paroles finales de la chanson : “La mort, c’est moins marrant, c’est moins désespérant en chantant”. À l’époque, pour ces jeunes de 20 ans, la mort n’était qu’un mot dans une chanson de variété, une abstraction lointaine. Ils la chantent avec légèreté, presque avec défiance.

Aujourd’hui, le spectateur ne peut s’empêcher de frissonner. Nous savons ce qu’ils ignoraient. Nous savons que trois ans plus tard, la mélodie s’arrêterait brutalement pour l’un d’entre eux. Cette insouciance capturée sur bande magnétique est devenue, avec le temps, un trésor fragile. C’est le témoignage d’un moment de grâce où tout semblait possible, où la maladie et le deuil n’avaient pas encore droit de cité sur le plateau du prime.

Pourquoi cette vidéo nous fait tant de bien (et tant de mal)

En redécouvrant cette prestation, on comprend pourquoi la saison 4 reste la préférée des Français. Il y avait une authenticité brute. Pas de calculs, pas de réseaux sociaux pour polir l’image. Juste l’envie de “faire sa révolution en chanson”, comme le dit le texte.

Cette vidéo agit comme un puissant révélateur. Elle nous rappelle la fragilité de l’existence, mais surtout la puissance de la musique comme remède absolu. Grégory Lemarchal a prouvé que l’on pouvait vaincre la fatalité, au moins pour un temps, grâce à une note tenue, un sourire partagé, une chanson entonnée à pleins poumons.

Alors oui, on regarde cette vidéo avec les yeux humides. On pleure un peu ce talent parti trop tôt, on pleure notre propre jeunesse envolée. Mais on sourit aussi. Parce que malgré la fin tragique, ce qui reste, c’est la lumière. C’est cette énergie vitale qui explose à l’écran. “La vie c’est plus marrant en chantant”, disaient-ils. Et en les regardant, même avec le cœur lourd, on a envie de les croire. On a envie de chanter avec eux, pour Grégory, pour cette époque, et pour la promesse que la musique, elle, ne meurt jamais.