Samuel Le Bihan, figure respectée et reconnaissable du cinéma français, est bien plus qu’un acteur aux multiples facettes. Derrière le regard perçant des personnages qu’il incarne, se cache un homme d’une profondeur insoupçonnée, dont le parcours de vie est une véritable ode à la résilience, à la réinvention et à la quête de sens. Récemment, sur le plateau des Lueurs, il a partagé une part intime de son histoire, offrant une réflexion poignante sur son enfance, ses doutes, sa spiritualité, et l’énergie qui l’a toujours poussé à explorer, à s’adapter et à se transformer.

Une Enfance Turbulente, Forgeron d’une Volonté de Fer

L’enfance de Samuel Le Bihan est loin des clichés dorés du succès. Issu d’un « milieu très simple », il se décrit comme un enfant « en colère », « hyperactif »  et ayant « beaucoup de mal à se concentrer » . Cette énergie débordante, canalisée très tôt par le judo, est devenue, paradoxalement, son principal moteur. « Cette colère, c’est une énergie. Donc à partir du moment où je pouvais la guider sur quelque chose de créatif, c’était j’étais sauvé » , confie-t-il. Cette capacité à transformer une émotion brute en force motrice est la clé de sa trajectoire. Elle lui a permis de ne pas être victime de sa situation, mais de la transcender par l’action et la passion.

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Le chemin vers la liberté a été son aspiration la plus forte . Pour Le Bihan, la liberté est « un luxe »  qui nécessite des moyens, et la réussite devient alors un impératif. Ayant grandi dans un milieu où le métier de comédien était perçu comme « assez bourgeois », voire « élitiste », il n’avait pas les « moyens »  initiaux. Il a donc dû se frayer un chemin par ses propres moyens, « joué dans la rue » , enchaîné les petits boulots le week-end, et intégré des écoles gratuites grâce à des bourses d’État . Son engagement était tel qu’il s’est même “incrusté” dans des cours de comédie faute de pouvoir les payer, allant jusqu’à dormir “chez les uns chez les autres”, et parfois même “dehors”. Ce sont ces expériences extrêmes, cette adversité, qui ont nourri sa détermination, un rêve obstiné de réussir, comme une évidence inéluctable.

La Quête d’une Vie Riche et l’Appel de l’Invisible

Pour Samuel Le Bihan, une vie réussie est une « vie riche » . Mais cette richesse n’est pas matérielle ; elle est « riche de culture, riche d’amis, riche de voyages, riche d’expériences » . Il se considère comme un « explorateur », affirmant que « rester à la même place c’est une sécurité, donc ça veut dire qu’on a peur » . Accepter l’échec est une aptitude essentielle pour l’explorateur, car « on ne peut réussir que parce qu’on rate » .

Cette philosophie d’exploration s’est manifestée très tôt dans sa vie. Adolescent, alors qu’il était déscolarisé et en « rupture contre la société », il a rencontré un prêtre qui lui a offert « une main tendue »  et un « repère spirituel » . Ce prêtre, au parcours atypique, presque “voyou” dans sa jeunesse , lui a permis de se confier, de communier, et d’accéder à un monde intérieur qu’il n’avait pas exploré. Ces échanges ont été pour lui une « boîte à outils »  pour construire une structure solide face aux moments difficiles de la vie.

Plus tard, vers l’âge de 20 ans, alors qu’il traversait une période « très solitaire, très complexe » , une rencontre fortuite dans la rue l’a mis en possession d’une Bible . Il lit alors les Évangiles, une « complète découverte »  pour quelqu’un qui n’a pas reçu d’éducation religieuse formelle. Il les décrit comme « le bouquin de développement personnel le plus… le mieux au monde ». Pour lui, les Évangiles ne jugent jamais, n’imposent rien, mais offrent l’expérience d’un homme qui « va traverser la vie et qui va aimer les gens ». Cette lecture a été une source de force et de détermination, dissipant les doutes et l’accompagnant dans sa construction personnelle .

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La Colère comme Moteur, la Paix comme Défi

La colère, qui fut un moteur puissant dans sa jeunesse, s’est transformée avec le temps. « Mon moteur ça a été la colère, ou en tout cas un sentiment d’injustice que j’ai voulu réparer » . Cette énergie, qu’il qualifie d’« état de guerre » , lui a permis d’affronter l’adversité et de se forger une détermination inébranlable. Cependant, il reconnaît qu’une fois le succès atteint, il faut « changer d’énergie » et apprendre à naviguer dans un « univers social » où l’on ne peut plus être constamment dans l’adversité.

La recherche de la paix intérieure est un chemin qu’il continue d’explorer. Il se reconnaît dans les rôles qu’il interprète, souvent des « hommes face à la nature, face aux éléments qui traversent des difficultés énormes et qui en relèvent de seul » . Cette force d’adaptation et de résistance est une part intrinsèque de lui-même. Mais le défi est de « vivre en paix », d’accepter que « l’Everest du départ, tu l’as monté », et que la réussite ne comble pas toujours le vide intérieur.

Samuel Le Bihan souligne l’importance de « réparer l’enfant qu’on a été » et de se confronter aux « schémas qu’on crée ». Il a exploré diverses pistes, des psychanalystes aux coachs, mais c’est finalement en cherchant chez les philosophes comme Spinoza et Carl Gustav Jung, et en embrassant une spiritualité personnelle, qu’il a trouvé des réponses. Son rapport à Dieu est celui de l’« infini », de l’« incompréhensible » , un créateur qui aurait créé l’homme pour « admirer la beauté »  de son œuvre. Cette vision le pousse à considérer l’homme comme un explorateur dont la mission est de préserver et de s’émerveiller devant ce « décor magnifique ».

La Réinvention, Sève de la Vie

L’acteur s’interroge quotidiennement sur sa direction, avançant « avec mes doutes en permanence ». Il estime que le doute est une forme d’humilité qui permet de regarder la vie « de façon beaucoup plus objective » . La réinvention est, pour lui, « le seul intérêt » de la vie. Quand on est « coincé » et malheureux, c’est que l’on a perdu la capacité de se réinventer.

Le Bihan établit un parallèle frappant entre la réinvention et l’histoire du Christ, qui « meurt et qui ressuscite » . Se réinventer, c’est « mourir à quelque chose et revivre à quelque chose d’autre ». Il voit dans cette histoire un « cadeau » , le droit de se réinventer, la liberté de ne jamais considérer l’histoire comme « terminée » . C’est la « sève » de l’existence, un chemin jalonné de curiosité, d’enrichissement, de doutes, de questions, et d’un travail d’adaptation continu.

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Ses réflexions sur la religion sont également sans concession. Il regrette que la religion chrétienne soit aujourd’hui « très mise à mal de façon très injuste »  et souvent caricaturée, associée à l’extrême droite ou à une image « kato » ringarde . Il aspire à une pratique plus joyeuse, proche des « églises de Harlem où ça chante, ça danse et ça fait foi » . Le besoin d’être « accompagné par une force supérieure qui vous aime, qui vous regarde, qui vous valide, qui vous soutient » est, pour lui, essentiel à la nature humaine.

Samuel Le Bihan incarne cette quête de réinvention. Son témoignage est une invitation à embrasser l’invisible, à nourrir sa vie intérieure, à transformer ses blessures en forces et à ne jamais cesser d’explorer les multiples facettes de son être. Un message d’espoir et de persévérance, livré par un homme qui, malgré les succès, continue de se poser les grandes questions de la vie.