Il y a des silences qui pèsent plus lourd que des pierres tombales. Celui de Daniel Biasini a duré quatre décennies. Quarante longues années durant lesquelles il a laissé le monde raconter “sa” Romy. Une Romy tragique, alcoolique, suicidaire, une “Sissi” maudite consumée par son propre mythe. Mais aujourd’hui, à 76 ans, l’homme qui a partagé sa vie, ses rires et son ultime cauchemar a décidé de reprendre la parole. Non pour régler des comptes, mais pour un acte de justice amoureuse : rendre à Romy Schneider sa véritable humanité.

L’homme de l’ombre sort de sa réserve

Daniel Biasini n’est pas une star. C’est un homme discret, au regard clair et fatigué, qui vit désormais entouré d’oliviers dans le sud de la France. Pourtant, entre 1975 et 1981, il a été le pilier central de la vie de la plus grande actrice européenne. Il n’était pas seulement son mari ; il était son “ancre”, son assistant, le père de sa fille Sarah, et le témoin impuissant de sa destruction.

Son récit, d’une douceur infinie, commence loin des drames. Il nous parle d’une Romy lumineuse, celle que les caméras ne voyaient pas. Celle qui marchait pieds nus dans l’herbe à Saint-Tropez, qui cuisinait pour ses enfants, qui riait aux éclats. “Le monde la voulait parfaite, je l’ai connue fragile, et c’est cette fragilité qui la rendait inoubliable”, confie-t-il. Il décrit une femme vibrante, incapable de tricher, aimant avec une intensité qui frisait parfois le danger.

Le bonheur avant l’abîme

Leur histoire est celle d’un coup de foudre intellectuel et tendre. Lui, le jeune attaché de presse de 24 ans ; elle, la légende de 35 ans, sortant en miettes de son mariage avec Harry Meyen. Il lui a offert la paix, un appartement rue Bonaparte, et une vie presque normale. La naissance de Sarah en 1977 fut un miracle, une parenthèse enchantée où Romy semblait avoir vaincu ses démons.

Mais le destin, cruel, rodait. Le couple, usé par les exigences du cinéma et les fantômes du passé de Romy, finit par divorcer en 1981. Une séparation sans haine, scellée par une lettre bouleversante de l’actrice : “Merci de m’avoir aimée quand je ne m’aimais plus.” Ils restaient liés, unis par Sarah et par David, le fils aîné de Romy que Daniel aimait comme le sien.

Le jour où tout a basculé : La mort de David

C’est là que le témoignage de Daniel Biasini devient insoutenable de vérité. Il revient sur cet après-midi maudit de l’été 1981. David, 14 ans, escalade le portail de la maison des parents de Daniel. Il glisse. Une pointe de fer. L’artère fémorale.

Pour la première fois, Daniel raconte l’horreur brute, sans filtre. Le sang qui jaillit, sa course effrénée, ses mains tentant de compresser la plaie, les yeux de David qui le fixent, conscients. “Il est mort dans mes bras”, murmure-t-il. Cette phrase, simple et terrifiante, balaie toutes les rumeurs. Ce n’est pas une histoire de magazine people, c’est un traumatisme charnel, indélébile. Il vit encore avec “le goût du fer dans l’air”.

Romy, elle, est morte ce jour-là. Pas physiquement, mais son âme s’est éteinte en même temps que son fils. Daniel décrit une femme devenue spectrale, fumant cigarette sur cigarette, détruite par la douleur et par une presse vautour qui a osé photographier son fils à la morgue. “Vous l’avez tué deux fois”, hurlera-t-elle aux journalistes.

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Non, ce n’était pas un suicide

Moins d’un an plus tard, Romy Schneider partait à son tour. Suicide ? Overdose ? Daniel Biasini est catégorique : Non. “Son cœur s’est simplement arrêté.” Il rappelle la réalité médicale d’une femme épuisée : l’ablation d’un rein, les cicatrices physiques, le chagrin immense. Elle ne voulait pas mourir, elle voulait juste ne plus souffrir. Elle voulait le repos.

Il s’insurge contre les films récents, comme Trois jours à Quiberon, qui la peignent en mère indigne ou en alcoolique perdue. “Jamais elle n’a ignoré David”, s’indigne-t-il. Il se bat pour sa dignité, allant jusqu’au tribunal pour que l’image de la femme qu’il a aimée ne soit pas salie par le fantasme des réalisateurs.

L’héritage de la tendresse

Aujourd’hui, la paix semble enfin revenue. Daniel regarde sa fille Sarah, devenue actrice et mère à son tour, avec une fierté immense. Dans son livre La Beauté du ciel, Sarah a écrit : “Tout le monde veut pleurer Romy, sauf moi.” Une phrase qui résume tout l’héritage de Daniel : refuser le pathos pour choisir la vie.

En brisant le silence, Daniel Biasini ne cherche pas la lumière. Il accomplit une dernière mission pour Romy : la libérer de son statut d’icône tragique pour nous la rendre telle qu’elle était. Une femme, une mère, une amoureuse. Une étoile qui ne s’est pas crashée, mais qui s’est éteinte doucement, parce qu’elle avait trop brillé.

Adieu Sissi, bonjour Romy. Et merci, Monsieur Biasini, pour cette vérité.

Romy Schneider jouant avec son fils David, tenant un appareil photo dans  ses mains. La photo est prise entre deux plans du film 'La Piscine' en  1968. Photo © Bridgeman Images