Il était l’un des derniers titans, une incarnation solaire et magnétique d’une certaine idée de l’Amérique. Robert Redford s’est éteint à l’âge de 89 ans, laissant derrière lui bien plus qu’une filmographie éblouissante. Avec sa disparition, c’est une page entière d’Hollywood qui se tourne, celle d’un cinéma à la fois glamour et engagé, portée par des acteurs qui étaient aussi des consciences. Car Redford n’était pas qu’un simple acteur au charisme ravageur ; il était un artiste complet, un réalisateur oscarisé, un pionnier de l’écologie et un citoyen dont la voix portait, douce mais ferme, pour défendre les valeurs d’une démocratie qu’il chérissait et critiquait avec une égale lucidité.

Robert Redford. L'homme qui recevait la Légion d'honneur

Le paradoxe de Robert Redford est qu’il n’a jamais vraiment voulu être une star de cinéma. Son premier amour, sa véritable vocation, c’était la peinture. Dans les années 50, le jeune homme de Los Angeles rêvait de toiles et de couleurs, allant jusqu’à s’inscrire aux Beaux-Arts à Paris en 1956. Pour lui, le métier d’acteur n’était alors qu’un “pis-aller”, un moyen de subsistance. Il connut des années de galère, frôlant l’abandon de ses rêves artistiques avant qu’un ami n’expose ses œuvres, lui permettant de rentrer au pays avec assez d’argent pour, enfin, se lancer dans la carrière qui allait faire de lui une icône mondiale.

Cette réticence initiale face à la célébrité explique en grande partie la nature de sa carrière. Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Redford a toujours gardé une distance critique vis-à-vis du système hollywoodien. Il choisissait ses rôles avec une minutie quasi politique, cherchant des personnages qui résonnaient avec ses propres convictions. Il n’hésitait pas à s’éloigner des plateaux pendant de longues périodes pour se consacrer à des projets personnels, comme la construction de sa maison solaire dans l’Utah, un état qu’il aimait profondément et où il a choisi de vivre, loin de l’agitation de Los Angeles.

Son engagement pour l’environnement n’était pas une posture. Bien avant que l’écologie ne devienne une cause à la mode, Redford était déjà sur le front, utilisant sa notoriété pour alerter sur les dangers du changement climatique et la nécessité de préserver la nature. Cette fibre militante infusait nombre de ses films. Il était un artiste engagé, progressiste, qui n’hésitait pas à se faire le défenseur des minorités et à critiquer les failles de la société américaine. Dans “Brubaker” (1980), il dénonçait avec force les conditions inhumaines du système carcéral. Dans “Les Hommes du Président” (1976), il incarnait le journaliste Bob Woodward, faisant tomber Richard Nixon et célébrant le pouvoir d’une presse libre et indépendante.

Robert Redford, légende du cinéma hollywoodien, est mort à l'âge de 89 ans | L'Echo

Son amie et partenaire de jeu, Jane Fonda, a résumé mieux que personne ce qu’il représentait : “Robert Redford incarne une Amérique pour laquelle il vaut la peine de se battre, par opposition à celle de Donald Trump.” Il était le visage d’une Amérique démocrate, idéale, où le courage civique et l’intégrité morale étaient des valeurs cardinales.

Sa carrière d’acteur est jalonnée de chefs-d’œuvre. Qui peut oublier son sourire espiègle dans “Butch Cassidy et le Kid” (1969), film mythique qui a scellé son statut de superstar ? Son charisme naturel, son jeu tout en subtilité, faisaient de lui le partenaire idéal. Il a partagé l’affiche avec les plus grands, de Natalie Wood dans “Propriété interdite” (1966) à Paul Newman, son complice de “L’Arnaque” (1973). Des thrillers paranoïaques comme “Les Trois Jours du Condor” (1975) aux grandes fresques romantiques comme “Out of Africa” (1985), il a tout joué, avec une élégance et une justesse qui n’appartenaient qu’à lui.

Mais réduire Robert Redford à son seul talent d’acteur serait une erreur. Frustré par les limites du jeu, il est passé derrière la caméra avec un succès éclatant, remportant l’Oscar du meilleur réalisateur pour “Des gens comme les autres” en 1981. En tant que metteur en scène, il a continué à explorer les thèmes qui lui étaient chers : la famille, la politique, la société américaine.

Sa plus grande contribution au cinéma, cependant, est peut-être la plus discrète et la plus pérenne. En créant le Sundance Film Festival dans son ranch de l’Utah, il a offert une bouffée d’air frais à tout un pan du cinéma mondial. Son ambition était simple : créer un espace pour un cinéma indépendant, audacieux, loin des diktats des grands studios et des blockbusters formatés. Sundance est devenu le plus grand festival de cinéma indépendant au monde, révélant des talents aussi majeurs que Quentin Tarantino, Steven Soderbergh ou les frères Coen. Sans Robert Redford, le paysage cinématographique actuel ne serait pas le même. Il a été un passeur, un mentor, un parrain bienveillant pour des générations de cinéastes.

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La France, qui a toujours entretenu une relation privilégiée avec lui, ne s’y est pas trompée. En 2010, elle lui a remis la Légion d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, saluant un “acteur citoyen” exceptionnel.

Robert Redford était plus qu’une star. Il était une force tranquille, un homme qui a utilisé sa beauté et sa célébrité non pas comme une fin en soi, mais comme des outils au service de ses idéaux. Il nous laisse des films inoubliables, un festival qui est un phare pour le cinéma mondial, et surtout, l’image d’un homme droit, d’un héros américain qui a su, toute sa vie, rester fidèle à l’enfant qui rêvait de peinture dans sa chambre de Los Angeles. Le Kid a fait sa dernière chevauchée, mais sa légende, elle, est éternelle.