L’Assemblée Nationale, souvent décrite comme le cœur battant de notre démocratie, est aussi, il faut bien le dire, un théâtre. Un lieu de joutes verbales, de stratégies politiques et, parfois, de drames intenses qui se jouent en direct sous l’œil des caméras. Mais ce qui s’est passé récemment dépasse l’entendement et relève moins de la stratégie que de la panique pure et simple. Une séquence courte, à peine quelques minutes, mais qui en dit long sur l’état de nos débats : un député, micro coupé en plein rappel au règlement, et une présidente de séance visiblement prise la main dans le sac.

Tout commence par une scène que les habitués de l’hémicycle connaissent bien : un “rappel au règlement”. Le député Verni prend la parole. Le ton est posé, mais ferme. Il s’adresse à la présidente de séance pour une question de procédure, un point technique qui, pourtant, va mettre le feu aux poudres.

“Merci madame la présidente,” commence-t-il, “au titre de l’article 99-2…” Le député explique alors qu’un sous-amendement déposé par son groupe a été jugé irrecevable. La raison ? Il aurait été déposé “pendant la discussion”. C’est là que le bât blesse. Le député Verni, s’appuyant sur les faits, explique l’absurdité de la situation : “il faut m’expliquer comment on est censé faire… anticiper ?”

La tension monte d’un cran. Le député détaille le fond du problème : un amendement a été déposé par le gouvernement. Son groupe a donc déposé un sous-amendement en réponse. “On le voit sur le dérouleur,” insiste-t-il, prouvant qu’il ne s’agit pas d’une invention. Il se lance alors dans la lecture du règlement, cet ensemble de règles qui est censé garantir l’équité des débats.

Et ce que dit le règlement est clair comme de l’eau de roche. Il cite l’alinéa : “seuls sont recevables les amendements déposés par le gouvernement… lorsque le gouvernement […] fait usage de cette faculté, ce délai n’est plus opposable aux amendements des députés portant sur l’article qui est proposé…” En clair : si le gouvernement dégaine un amendement à la dernière minute, l’opposition a le droit de répondre. C’est la loi du jeu démocratique.

C’est à ce moment précis que tout bascule. Le député Verni, fort de son bon droit et le règlement à la main, est en train de coincer la présidence. Il n’a même pas le temps de finir sa phrase. La présidente de séance, manifestement à court d’arguments, l’interrompt sèchement. “On m’a dit qu’il est d’usage que…”, tente-t-elle.

Le député, interloqué, ne se laisse pas démonter : “que le règlement… ?”

La réponse de la présidente est un bijou d’autoritarisme fébrile : “Mais si, en même temps, ça a été la réalité pour tout le monde ! La direction de la séance ne l’a pas fait que pour votre sous-amendement…” Elle admet donc, à demi-mot, que le règlement n’est pas appliqué, mais que c’est une sorte de “coutume” qui s’applique à tous. Une défense pour le moins… surprenante.

Le député Verni tente le tout pour le tout, posant la question qui tue, celle qui révèle l’absurdité de la situation : “Donc le règlement est caduc ?”

La réponse fuse, finale et sans appel. C’est un “non” brutal. “Non, il est respecté. Merci monsieur le député.” Fin de la discussion. Le micro est coupé. Le député est réduit au silence, non pas par la force du règlement, mais par la force de celui qui tient le micro. La scène est saisissante : c’est l’image d’un pouvoir qui, pris en faute, choisit de bâillonner plutôt que de justifier. La panique, déguisée en autorité.

Mais l’incident ne s’arrête pas là. L’atmosphère dans l’hémicycle est électrique. Le sentiment d’injustice est palpable. Et c’est un autre député, Monsieur Tangi, qui va se charger de jeter un pavé dans la mare, transformant un incident de procédure en une crise politique ouverte.

Lui aussi demande un rappel au règlement. Mais son propos est d’une tout autre ampleur. Il ne s’agit plus d’un sous-amendement, mais de l’ensemble du débat budgétaire. “Depuis vendredi,” lance-t-il, “nous avons donc observé […] 300 amendements sur 3200.”

Le chiffre est lâché. 3200 amendements. Le calcul est simple, et le député Tangi va l’expliciter pour que chaque citoyen qui regarde puisse comprendre l’ampleur de ce qui se joue. “Moi, j’aimerais qu’on m’explique ici comment on va faire, comment on peut tenir les délais. Ou si on va pas tenir les délais, que les groupes s’expriment et affirment devant les Françaises et les Français qui nous regardent […] que vous ne voulez pas respecter les délais. Mais dites-le une bonne fois pour toutes !”

L’attaque est frontale. Le député Tangi ne mâche pas ses mots. Il pointe du doigt les responsables de cette obstruction parlementaire. Il nomme : “Il y a ici que deux forces politiques qui ont respecté la jauge des amendements : le groupe Rassemblement National et les socialistes. Je suis honnête.”

Puis vient l’accusation principale, dirigée contre “la droite républicaine et les députés du bloc central”. Eux, selon lui, n’ont pas respecté la “jauge”, cet accord tacite ou explicite pour permettre au débat d’exister.

Et là, le propos quitte la technique pour entrer dans la morale politique. Le député Tangi se lance dans une anaphore accusatrice qui résonne avec une force incroyable dans un hémicycle soudainement silencieux.

“Prenez la parole,” martèle-t-il, “expliquez aux Français comment vous voulez tenir le délai avec 2900 amendements alors qu’on fait 100 amendements par jour ! Mais dites un peu la vérité !”

Il accuse. Les mots sont d’une violence rare. “C’est quand même incroyable d’avoir à la fois du cynisme et de la lâcheté !”

Le cynisme ? “Le cynisme, c’est dire à la télé ‘on est pour le pouvoir du parlement, on est pour débattre, on est pour aller au bout du budget’…”

La lâcheté ? “…et déposer des amendements qui, factuellement, sans aucune discussion possible, font que tenir le délai est impossible. Et donc lâche, parce que vous n’assumez pas cette vérité devant les Français !”

En quelques secondes, le député Tangi vient de dynamiter la séance. Il dénonce un “mensonge” d’un “niveau absolument jamais vu sous la 5e République”. Il expose au grand jour ce que beaucoup pensent tout bas : que certains élus jouent un jeu, un “théâtre” dont le seul but est de bloquer, de paralyser la machine démocratique, tout en prétendant la défendre.

Il interpelle directement un autre député : “Monsieur Di, prenez la parole ! Expliquez-nous comment on fait 2900 amendements avec 100 amendements par jour dans le délai ! […] C’est facile de dire qu’on fait du théâtre, c’est vous qui faites du théâtre ! Vous mentez aux Français, nous on se contente de dire la vérité !”

La séquence, dans sa totalité, est dévastatrice. Elle commence par un acte d’autorité que l’on peut qualifier de censure (la coupure du micro du député Verni) et s’achève sur une accusation d’une gravité extrême : celle d’une hypocrisie généralisée, d’un “mensonge” organisé par une partie de la classe politique qui préfère le blocage au débat.

Ce que ces quelques minutes révèlent, c’est une fracture profonde. D’un côté, une présidence qui semble naviguer à vue, préférant couper le son plutôt que d’admettre une faille dans la procédure. De l’autre, des groupes d’opposition qui s’accusent mutuellement, les uns de vouloir “museler” le parlement par des manœuvres, les autres de le “bloquer” par une avalanche d’amendements.

Au milieu, le citoyen. Le citoyen qui regarde cette scène et qui se demande si ce “théâtre” est bien sérieux. Il voit des élus se faire couper le micro pour avoir cité le règlement. Il entend parler de 3200 amendements, de délais impossibles, de “cynisme” et de “lâcheté”. Et il se demande légitimement : “Mais que font-ils ? Travaillent-ils pour nous ou pour leurs propres querelles ?”

Cet incident, bien plus qu’une simple anecdote de séance, est le symptôme d’une démocratie fatiguée, où les règles du jeu semblent être devenues des variables d’ajustement, où la parole peut être confisquée d’une pression sur un bouton, et où l’obstruction devient une arme politique revendiquée, quitte à paralyser le pays.

La “panique” de la présidente n’était pas seulement la sienne ; c’était peut-être la panique d’un système tout entier, pris en flagrant délit de ses propres contradictions. Une scène surréaliste, disions-nous en introduction. Mais peut-être, hélas, n’est-elle que le reflet trop réel de notre époque.