Il y a des interviews qui informent. Il y a des débats qui élèvent. Et puis, il y a des moments de télévision qui s’apparentent à un match de boxe. Ce qui s’est passé sur le plateau de BFM TV avec Michel Onfray n’était pas une interview, c’était un règlement de comptes. Le titre de la vidéo, “Onfray la fait taire : La journaliste se prend une leçon de direct”, est à la fois brutal et d’une justesse clinique. Le philosophe n’est pas venu en tant qu’invité, il est venu en tant que procureur. Et la journaliste, qui pensait mener un entretien incisif, s’est retrouvée sur le banc des accusés.

La vidéo, montée par “La loupe politique”, se termine par une voix off ironique, nommant Onfray pour le “César du meilleur acteur” après cette “masterclass de l’art du clash”. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Pendant plus de vingt minutes, le studio s’est transformé en arène, l’air crépitant d’une tension palpable, révélant la fracture béante qui traverse aujourd’hui le débat public français.

L’étincelle s’est produite dès les premières minutes. La journaliste lance l’interview sur un sujet d’actualité brûlant : la victoire surprise de l’extrême droite aux Pays-Bas, menée par Geert Wilders. Elle le qualifie d’”anti-Europe”. C’est la première erreur. Onfray bondit. “Il n’est pas anti-Europe”, corrige-t-il, le ton déjà acéré. “Il est contre une certaine Europe”. Le piège sémantique est posé. Onfray martèle sa thèse principale : il n’est pas contre l’Europe, il est contre l’”Europe libérale” de Maastricht, celle qui, selon lui, est au pouvoir “sans contre-pouvoir” depuis plus de 30 ans.

Le philosophe déroule son argumentaire : cette Europe-là bafoue la souveraineté populaire. Il cite le référendum de 2005, où les Français ont dit “non”, et le traité de Lisbonne de 2008, où les élites ont dit “si quand même”. Il en conclut que le vote ne sert à rien, et que la démocratie est une farce. Emmanuel Macron, dit-il, est “mal élu”, porté au pouvoir non par adhésion, mais par 50% d’abstentionnistes et un vote “contre” Marine Le Pen.

Mais le cœur de l’affrontement n’est pas là. Le véritable sujet, c’est le débat lui-même. Michel Onfray accuse le système médiatique, incarné par la journaliste en face de lui, de “fasciser” toute pensée divergente. La journaliste tente alors une manœuvre classique : elle essaie de le coincer sur un supposé “deux poids, deux mesures”. Elle oppose la félicitation de Marine Le Pen à Wilders (qualifiée de “zèle”) à la future et protocolaire félicitation de Macron (un “usage diplomatique”).

Onfray explose. Il voit le piège gros comme une maison. “Quand c’est Marie Le Pen c’est du zèle, quand c’est Macron c’est un usage diplomatique ?”, ironise-t-il. Il refuse net de tomber dans le panneau. “Vous passez à Macron ce que vous ne passez pas à Marine Le Pen”. L’interview bascule. Ce n’est plus un échange, c’est une guerre de tranchées.

Sentant l’entretien lui échapper totalement, la journaliste commet une seconde erreur : elle attaque l’homme, non plus les idées. “Vous faites un petit cinéma là depuis tout à l’heure”, lui lance-t-elle, visiblement déstabilisée. La tension monte encore d’un cran. Plus tard, elle ira jusqu’à lui dire : “Je vous trouve aujourd’hui particulièrement presque agressif… comme un animal blessé”.

C’est la phrase de trop. “Je serais mort si je n’avais pas supporté ça”, rétorque-t-il, glacial. Il se pose en victime, en martyr de la liberté de penser. “Je suis interdit de service public”, affirme-t-il. La journaliste tente de démentir (“Vous avez longtemps été…”), mais Onfray la coupe : “Si ma sœur en avait, ce serait mon frère”. Une formule archaïque pour dire : ne me parlez pas du passé, je vous parle du présent. Le malaise est total.

La stratégie d’Onfray est brillante, au sens tactique du terme. Il dénonce les “pièges” médiatiques comme des enfantillages. L’exemple de Jordan Bardella, piégé sur la question de l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen, est pour lui emblématique. “Vous savez, il y a dans un dessin animé un type qui déplace les trous pour que vous puissiez tomber vraiment dedans. Les médias ils font ça”. Il affirme que, quoi que Bardella réponde, il est perdant.

Et c’est là qu’il assène son coup de maître. Il balaie ces “jeux” d’un revers de main pour parler de ce qu’il nomme “la vraie vie”. Le vrai problème, tonne-t-il, ce n’est pas de savoir si le père Le Pen était fasciste. Le vrai problème, ce sont “des gens qui réduisent leur repas aujourd’hui parce qu’ils sont pauvres. Des gens qui n’ont pas l’argent pour acheter les cadeaux de Noël… Des gens qui travaillent aujourd’hui [et] dorment dans leur voiture”. Il accuse l’Europe libérale d’avoir créé cette “paupérisation”. En une phrase, il a redéfini le cadre : la journaliste est du côté des élites qui jouent avec les mots, lui est du côté du “petit peuple” qui souffre.

Sur le cas Le Pen, il déploie une nuance que, selon lui, les médias refusent d’entendre. Oui, il a lu les 1000 pages de Jean-Marie Le Pen et l’affirme : ce sont les mémoires d’un “antisémite”, d’un “fasciste”. Mais il refuse de “faire payer aux enfants les fautes des parents”. Il compare la dédiabolisation du RN à celle du Parti Communiste : “Je ne reprocherai pas aujourd’hui à Roussel de procéder du pacte germano-soviétique”. La distinction est claire, mais inaudible dans le vacarme médiatique qu’il dénonce.

L’interview aborde enfin le drame de Crépol. Le diagnostic d’Onfray est sans appel : c’est la conséquence de “l’effondrement de toute autorité” depuis Mai 68. “C’est le retour de la jungle”, lâche-t-il. Il fustige une justice qui n’existe que “sur le papier”, se moquant de l’interdiction de port d’arme pour un suspect que personne ne contrôle, de peur d’être accusé de “contrôle au faciès” par “La France Insoumise et leurs copains”.

Il va jusqu’à toucher au tabou ultime : l’immigration. Il précise que “l’Islam ne pose pas un problème en France”, citant les Indonésiens. Le problème, selon lui, c’est “le Maghreb islamique”, en raison d’une relation post-coloniale non résolue, citant les accords d’Évian. Il va jusqu’à lier la délinquance à l’immigration non-intégrée, non par essence, mais par nécessité : “vous ne pouvez pas vivre si vous n’arrachez pas de temps en temps un sac à une vieille dame”.

La journaliste ne peut que conclure. La “leçon” est terminée. Michel Onfray n’a pas seulement répondu aux questions ; il a déconstruit l’interview elle-même, accusant son hôte d’être le rouage d’un système qui produit le chaos qu’il prétend dénoncer. Agressif pour les uns, “animal blessé”, acteur en pleine représentation. Lucide et courageux pour les autres, seul contre la “pensée unique”.

Ce clash viral, d’une violence rhétorique rare, laisse une impression de malaise profond. Il ne s’agit plus de convaincre, mais de vaincre. Il ne s’agit plus de débattre, mais de “casser” l’adversaire. Et à ce jeu, Michel Onfray a prouvé qu’il était un maître. La journaliste, elle, a servi de parfait faire-valoir à cette “masterclass de l’art du clash”. Le spectacle était total. L’information, elle, est restée au vestiaire.