C’est une icône qui traverse le temps avec une élégance immuable. À 90 ans, Nana Mouskouri, la chanteuse aux lunettes noires et à la voix cristalline, ne se contente pas de contempler une carrière pharaonique. Dans un élan de sincérité rare, la star grecque aux 200 millions d’albums vendus lève le voile sur les zones d’ombre de son existence, ses regrets de mère, et surtout, sur cet amour tardif et apaisant qui illumine le crépuscule de sa vie.

Une Gloire Mondiale Bâtie sur des Ruines

Pour le monde entier, Nana Mouskouri est cette silhouette gracieuse qui chante “L’Amour en héritage” ou “Je chante avec toi liberté”. Mais derrière les projecteurs de l’Olympia ou du Carnegie Hall, se cache une petite fille de Crète marquée au fer rouge par l’Histoire. Née en octobre 1934 à La Canée, Nana a grandi sous le fracas des bombes de la Seconde Guerre mondiale. Fille d’un projectionniste de cinéma et d’une ouvreuse, elle a connu la faim, la peur et l’occupation nazie.

“Il y avait des moments où nous devions chanter pour oublier notre faim,” confie-t-elle, évoquant ces nuits terrées dans une cave avec sa sœur Eugénia. Cette enfance volée a forgé chez elle une résilience hors du commun, mais aussi une insécurité chronique. La peur de tout perdre en un instant ne l’a jamais quittée, même au sommet de la gloire. C’est cette fragilité qui rend sa voix si touchante, chargée d’une mélancolie qui n’est pas feinte, mais héritée d’un passé douloureux.

Le Miracle de la Voix et le Rejet Initial

Peu de gens savent que la carrière de Nana Mouskouri a failli s’arrêter avant même de commencer. À l’âge de 16 ans, un diagnostic tombe comme un couperet : une tumeur sur les cordes vocales. Les médecins sont formels, une opération risque de la rendre muette. Dans un acte de foi désespéré, la jeune Nana refuse la chirurgie, prie et se tourne vers des thérapies alternatives. Contre toute attente, elle guérit. Ce “miracle” lui fera chérir sa voix comme un don sacré, un trésor fragile qu’elle doit protéger à tout prix.

Pourtant, le chemin vers le succès fut semé d’embûches. Au prestigieux Conservatoire d’Athènes, ses professeurs la rejettent, jugeant sa voix trop faible pour l’opéra. “Inadaptée”, lui disent-ils. Ce rejet cinglant la blesse profondément, lui donnant le sentiment d’être abandonnée par son propre pays. Mais c’est cet échec qui la poussera vers le jazz et la chanson populaire, la menant finalement à Paris et vers le destin planétaire qu’on lui connait. Une revanche éclatante sur ceux qui n’avaient pas cru en elle.

L’Amour, le Sacrifice et le “Dernier Homme”

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La vie sentimentale de Nana Mouskouri fut, à l’image de ses chansons, douce-amère. Son premier mariage en 1961 avec George Petsilas, son guitariste et manager, semblait idéal. Ensemble, ils ont eu deux enfants, Nicolas et Hélène. Mais le tourbillon du succès a eu raison de leur amour. Absorbée par des tournées incessantes, Nana s’éloigne. Le divorce en 1975 est vécu comme un échec cuisant. “Je n’ai pas réussi à concilier amour et carrière,” avoue-t-elle avec amertume. La culpabilité de ne pas avoir été assez présente pour ses enfants durant ces années cruciales reste une blessure ouverte, une solitude que les applaudissements n’ont jamais pu combler.

C’est là qu’entre en scène “le dernier homme de sa vie”. André Chapelle. Producteur de génie, homme de l’ombre, calme et réfléchi, il travaille avec elle depuis des décennies. Il était là, discret, respectueux de son indépendance. Ce n’est qu’en 2003, à l’âge de 69 ans, que Nana Mouskouri épouse cet ami de toujours. Ce mariage n’était pas un coup de foudre de jeunesse, mais l’aboutissement d’une complicité profonde.

À 90 ans, Nana reconnaît en André celui qui lui a apporté ce qu’elle a cherché toute sa vie : la paix. Vivant sereinement à Genève, le couple incarne un amour mature, fait de camaraderie et de compréhension mutuelle. André n’est pas seulement son mari, il est son confident, celui qui l’a aidée à surmonter la mort de sa mère et à accepter le temps qui passe. “L’amour ne se résume pas aux moments romantiques, mais au pardon et au soutien,” analyse-t-elle aujourd’hui. André est ce pilier qui lui permet de profiter de sa vieillesse sans la peur de la solitude qui l’a tant hantée.

Une Étrangère dans son Propre Pays

L’autre grande douleur de Nana Mouskouri reste son rapport complexe avec la Grèce. Ambassadrice de la culture hellénique dans le monde, elle s’est pourtant sentie longtemps rejetée par sa patrie. Critiquée pour son silence durant la dictature des colonels (1967-1974) — un silence qu’elle gardait pour protéger sa famille restée au pays — elle a vécu l’exil comme une déchirure.

Dans ses mémoires, elle écrit qu’à chaque retour en Crète, elle se sentait “comme une étrangère”. Le temps et la distance avaient érodé les liens. Cette mélancolie de l’exilée transparaît dans chaque note qu’elle chante. Elle a conquis le monde, chanté en 12 langues, mais a payé le prix fort : la perte de son enracinement.

Photo : Un couple solide qui est toujours aussi amoureux qu'à ses débuts Nana  Mouskouri et André Chapelle (photo d'archive) - Purepeople

Le Bilan d’une Vie Hors Norme

Aujourd’hui, à l’aube de sa dixième décennie, Nana Mouskouri offre au monde l’image d’une femme apaisée mais lucide. Elle n’a rien oublié : ni la faim de la guerre, ni les critiques, ni les sacrifices maternels. Mais elle a choisi la lumière. Son héritage n’est pas seulement musical ; il est humain. Elle est la preuve vivante que l’on peut survivre aux tragédies, guérir des maladies de l’âme et du corps, et finir par trouver l’amour, le vrai, même s’il faut attendre toute une vie pour le reconnaître pleinement.

Nana Mouskouri reste cette “Étoile Solitaire” qui a fini par trouver sa galaxie auprès d’André, prouvant qu’il n’est jamais trop tard pour être heureux.