Le nom d’Inès, jeune femme de 25 ans fauchée en pleine jeunesse, résonne aujourd’hui comme un sinistre rappel des tragédies que notre société peine encore à prévenir. Poignardée par son ex-compagnon à Poitiers, sa mort n’est pas seulement un drame intime, c’est aussi le triste épilogue d’une série d’alertes ignorées, d’un téléphone grave danger qui n’a pas protégé, et de plaintes restées sans effet. Face à cette nouvelle tragédie, la famille d’Inès a déposé plainte contre l’État, tandis qu’une enquête interne a été ouverte à l’inspection générale de la justice. Mais au-delà des procédures officielles, c’est le cri de détresse d’un policier de la police judiciaire de Poitiers, sorti de son devoir de réserve, qui vient secouer l’opinion publique et dénoncer, avec une rare violence, les failles d’un système à bout de souffle.

Le calvaire d’Inès : un harcèlement fatal

Inès, étudiante en sociologie et accompagnatrice socio-administrative, dédiait sa vie à aider les jeunes en décrochage scolaire et les demandeurs d’asile. C’est dans ce cadre qu’en 2023, elle fait la connaissance d’Amir, un exilé afghan. Une relation se noue, durable deux ans, mais rapidement assombrie par la violence de ce dernier. En avril 2025, excédée par son comportement, ses violences sexuelles et son manque d’intégration, Inès prend la difficile décision de rompre.

Une rupture qu’Amir n’accepte pas. Dès lors, le harcèlement commence. Il la traque sans répit, la suivant partout. Entre le 10 juillet et le 28 août, Inès se rendra à six reprises au commissariat pour signaler les faits. Lors de sa dernière plainte, elle se voit remettre un téléphone grave danger, un dispositif censé offrir une assistance 24h/24 et 7j/7. Un maigre réconfort qui s’avérera malheureusement illusoire.

Le 6 septembre, Inès est contrainte d’utiliser ce téléphone. Alors qu’elle se promène en ville avec une amie, Amir est là, derrière elle. Elle se réfugie dans l’arrière-boutique d’un magasin, prévient la police, qui interpelle Amir. Elle pense être hors de danger, mais la réalité la rattrape une demi-heure plus tard : elle le recroise en ville. Le soir même, un voisin l’avertit qu’il rôde devant sa maison. L’angoisse est palpable, la peur, constante.

Le 8 septembre, jour de son rendez-vous avec sa mère, Inès passe récupérer un courrier chez elle. Un crochet qui lui sera fatal. Amir l’attend à l’intérieur de sa maison, où il s’est introduit en fracturant une petite fenêtre de la salle de bain. Dès qu’elle ouvre la porte, il se précipite sur elle et la frappe de plusieurs coups de couteau avant de prendre la fuite. Inès est morte. C’est le 109ème féminicide depuis le début de l’année. Quelques jours plus tôt, elle avait envoyé un SMS glaçant à un ami : “Ils l’ont relâché, il me suit encore. Si je ne réponds plus, c’est qu’il m’a tuée.” Un terrible présage qui s’est réalisé.

Le cri d’alarme d’un policier : l’État en accusation

Face à ce drame, la famille d’Inès dépose plainte contre l’État, et une enquête interne de l’IGJ (Inspection Générale de la Justice) est déclenchée. Mais c’est un policier de la police judiciaire de Poitiers qui, en brisant son devoir de réserve, va jeter une lumière crue sur les dysfonctionnements du système. Dans une lettre ouverte, il dénonce une situation intenable, où “chacun y est allé de son commentaire, de sa condamnation, de l’expression de son indignation et de ses critiques” depuis le décès d’Inès.

“Inès est entrée dans un commissariat à plusieurs reprises pour y chercher une aide qu’elle n’a jamais reçue jusqu’à en mourir,” écrit-il, avec une amertume palpable. Mais il ne se contente pas de déplorer ; il accuse directement les responsables qui, par leurs “choix, décisions, votes, réformes, ont dégradé nos conditions de travail”. Il dénonce un “code de procédure pénale en un mille-feuille indigeste”, des “outils de travail obsolètes”, une “dématérialisation à marche forcée” de la procédure, et une “réforme de la police judiciaire sans aucune vision”.

Le policier met en lumière une réalité effrayante : “Mon portefeuille de dossiers explose. Nos effectifs fondent. Nous travaillons dans une insécurité morale et judiciaire totale”. Le résultat est sans appel : “les risques de commettre des erreurs potentiellement irréparables en ne parvenant pas à donner les suites appropriées au signalement ou aux plaintes augmentent”. Il souligne l’absurdité de la situation : “comment quatre enquêteurs de la police judiciaire de Poitiers peuvent gérer convenablement 500 affaires de violence intrafamiliale ?”.

Des questions brûlantes, un avenir incertain

La lettre du policier pose des questions cruciales qui dépassent le cadre de l’affaire Inès. Pourquoi un Afghan comme Amir a-t-il obtenu un titre de séjour de 10 ans alors que ses encadrants le considéraient “incapable d’adhérer à nos valeurs, notamment en raison de sa vision des femmes” ? Le policier s’adresse également à ceux qui critiquent l’action policière : “Le droit des mis en cause n’a cessé d’augmenter et à l’inverse les crocs et griffes des forces de sécurité intérieure ont été rognés”. Pourtant, ces mêmes personnes s’offusquent que le mis en cause n’ait pas été “interpellé manu militari”.

Le témoignage se conclut sur une note désespérante : le policier affirme devoir “prioriser” les dossiers de violence intrafamiliale, même s’il ne voudrait “jamais avoir à trier en la matière”. Il craint de laisser des “grenades dégoupillées dans sa banette à procédure”, des dossiers qui demeurent “tapis silencieuses jusqu’au jour où l’une d’elles ici ou ailleurs explosera à nouveau”. Et le plus probable, selon lui, c’est que “rien n’aura changé”.

La mort d’Inès est un drame de trop, une alarme retentissante pour l’État et pour la société toute entière. Elle met en lumière non seulement la violence des féminicides, mais aussi les dysfonctionnements structurels d’un système qui peine à protéger ses citoyens les plus vulnérables. Le cri de ce policier, au-delà de sa propre détresse, est un appel pressant à une prise de conscience collective et à des réformes profondes. Car tant que rien ne changera, d’autres “Adieu Inès” risquent de se faire entendre, laissant derrière eux une traînée de douleurs et de questions sans réponses.