Pour des générations de Français, son visage est synonyme de dimanche après-midi. Michel Drucker, c’est le sourire immuable, la bienveillance institutionnalisée, le fameux canapé rouge sur lequel le Tout-Paris est venu se confier. Il est l’ami public, l’homme qui ne vieillit pas, l’incarnation d’une télévision polie et sans vagues. Pourtant, derrière cette façade lisse, se cache un homme fêlé, un survivant marqué au fer rouge par des “cicatrices mentales” profondes. À 82 ans, dans une série de confessions aussi rares que bouleversantes, l’animateur fait tomber le masque. Et ce qu’il révèle est à la fois sombre et profondément humain.

“J’ai vécu une longue vie, mais cela n’a pas toujours été facile,” écrit-il dans son autobiographie fictivement datée “Avec le temps”. “Il y a eu des moments où je pensais ne plus pouvoir continuer, mais je ne voulais pas que le public me voie faible.” Cette phrase est la clé. Pendant plus de six décennies, Michel Drucker a caché ses larmes, considérant que la tristesse n’avait pas sa place à l’antenne. Aujourd’hui, il admet tout.

La peur la plus viscérale, celle qui l’a hanté toute sa carrière, n’est pas celle de l’échec, mais celle de l’oubli. L’animateur confesse une “peur obsédente de devenir inutile” après avoir quitté la télévision. “J’ai pleuré en pensant qu’un jour je ne serais plus assis sur le canapé rouge, que je ne parlerai plus au public. C’était ma plus grande peur,” a-t-il révélé. Cette angoisse existentielle est le moteur d’un homme qui a bâti sa vie autour du travail, au point de s’y perdre.

Il aura fallu que son corps le trahisse pour qu’il affronte ses démons. Ses graves problèmes de santé, notamment deux opérations cardiaques majeures en 2020 et 2023, l’ont forcé à regarder la mort en face. “J’ai pleuré en soins intensifs, pensant que je ne reviendrai peut-être jamais,” confiait-il. Mais ce n’était pas la mort elle-même qu’il craignait le plus. “Ce que je craignais le plus, c’était de mourir sans laisser de souvenirs mémorables.”

Cette obsession de l’héritage, cette soif de prouver sa valeur, trouve sa source dans une blessure originelle : sa relation avec son père. Né dans une famille d’immigrés juifs, Michel Drucker a grandi sous la pression écrasante du docteur Abraham Drucker. Ce dernier, qui rêvait de voir ses fils devenir médecins, considérait Michel comme un “fils raté” à cause de ses mauvais résultats scolaires. “J’ai pleuré quand mon père m’a dit que je n’étais pas assez intelligent pour réussir,” se souvient-il. Cette phrase, terrible, agira comme un poison et un carburant. Drucker passera sa vie à prouver à ce père sévère, et au monde entier, qu’il valait quelque chose.

Mais la plus grande tristesse de sa vie, le vide incommensurable qui ne l’a jamais quitté, est la mort de son frère aîné, Jean Drucker, en 2003. Ancien dirigeant de télévision respecté, Jean était son modèle, son guide, son protecteur. “J’ai pleuré en apprenant la mort de Jean. C’était la personne que j’admirais le plus et j’avais l’impression d’avoir perdu une partie de mon âme,” confiait-il des années plus tard. Cette perte fut aggravée par une culpabilité rongeante : celle de ne pas avoir passé assez de temps avec son frère, trop accaparé par son emploi du temps de ministre. “Quand j’étais à l’hôpital, je pensais à Jean. Je me demandais s’il serait fier de moi. J’ai pleuré car j’avais peur de ne pas en avoir fait assez.”

Sa carrière, que l’on croit être un long fleuve tranquille, fut elle aussi jalonnée de moments de doute intense où il a “pleuré”. Licencié de l’ORTF en 1968 pour avoir participé à la grève, il pense sa carrière terminée. “J’ai pleuré quand j’ai été licencié.” Lorsque son émission “Drucker and Co” est annulée faute d’audience en 1981, il s’effondre : “J’ai pleuré… je pensais avoir perdu l’amour du public.” Même les controverses, comme l’incident mémorable entre Serge Gainsbourg et Whitney Houston qu’on lui a reproché de ne pas avoir maîtrisé, l’ont profondément atteint. “J’ai pleuré quand on m’a traité de non professionnel.”

Cette carrière menée au pas de charge a eu un coût personnel exorbitant. Il l’admet aujourd’hui, sa vie privée a été sacrifiée. Il raconte avoir travaillé “quinze heures par jour” pendant les vingt premières années, sans jamais prendre de vacances. Une boulimie de travail qui a failli lui coûter son couple avec Dany Saval, l’amour de sa vie. “J’ai pleuré quand Dany m’a dit qu’elle se sentait seule. Je savais que j’avais tort.”

Derrière l’animateur vedette, il y avait un homme qui pleurait d’épuisement, de solitude, de culpabilité et de peur. À 82 ans, en choisissant de briser cette image lisse, Michel Drucker ne cherche pas l’absolution. Il témoigne, avec une honnêteté désarmante, de la résilience d’un homme qui, malgré les coups, s’est toujours relevé. “J’ai vécu assez longtemps pour savoir que la tristesse fait partie de moi,” dit-il. “La cacher ne me rend pas plus fort.” En s’autorisant enfin à être faible aux yeux du public, Michel Drucker n’a peut-être jamais paru aussi grand.