« Quand on dort pour se protéger du froid, on dort assis l’un dans l’autre, c’est-à-dire qu’on se sert l’un contre l’autre parce qu’on sait que si on veut vivre, il faut qu’on profite de la chaleur de l’autre. » C’est avec une simplicité désarmante que Michel de Robert entame son récit, plongeant immédiatement l’auditeur dans une histoire de survie aussi terrifiante qu’extraordinaire. Lui et son frère Patrice, alors âgés de seulement quatre ans et demi et six ans, se retrouvent abandonnés dans un home d’enfants. Le drame s’intensifie lorsque leur mère, qui les y avait placés, ne revient jamais les chercher. Élevés par des bonnes sœurs, leur quotidien est marqué par l’absence d’amour et de repères familiaux.

Le tournant tragique survient un jour où Patrice, l’aîné, pousse une porte et découvre le propriétaire du home, pendu. Avec un réflexe instinctif, l’enfant tire une table, monte dessus et tente de couper la corde. Sous le poids, le corps de l’homme tombe, créant une mare de sang au sol. Patrice, abasourdi et persuadé d’avoir commis une faute terrible, attrape son petit frère et lui crie : « Viens, on court, on court, on court ! ». Ainsi commence la fuite éperdue de deux enfants innocents, qui se cachent d’abord à la lisière du village avant de trouver refuge dans une forêt dense, qui deviendra leur monde pour les sept prochaines années.

Dans cette forêt profonde, personne ne les cherche. Car, comme le réalise douloureusement Michel, « personne ne nous cherchait, parce qu’on n’existait pour personne, parce qu’on n’avait pas de parents, aucun lien avec personne ». Une nouvelle vie, dictée par l’impératif de la survie, commence. Ils se terrent d’abord dans un roncier. Après deux jours seulement, la faim devient leur plus grand ennemi. « On a commencé à manger des escargots, des limaces, des insectes, mais par force, parce qu’il fallait bien qu’on mange quelque chose », raconte Michel, la voix chargée d’émotion.

Pourtant, leur capacité d’adaptation est stupéfiante. Très vite, ils apprennent à attraper des mulots, et même un lapin. Michel se souvient de ce moment où Patrice a saisi le lapin par les oreilles et l’a claqué contre un arbre. Michel pleurait, mais son frère lui a dit fermement : « Il faut qu’on mange ». Dans ce duo de survie, les rôles se dessinent : Michel, qui se décrit comme un « MacGyver », est habile de ses mains et sait tout fabriquer. Patrice, d’une débrouillardise forgée par la nécessité, trouve tout ce dont son frère a besoin. C’est ainsi que leur vie dans la forêt a commencé, et qu’ils se sont adaptés à leur environnement hostile.

Cette existence sauvage a créé entre les deux frères un lien « totalement fusionnel, pire que des jumeaux ». C’était une obligation de survie, où le grand frère protège le petit, où l’union est une condition sine qua non, allant jusqu’à une fusion physique. « Quand on dort pour se protéger du froid, on dort assis l’un dans l’autre, c’est-à-dire qu’on se sert l’un contre l’autre parce qu’on sait que si on veut vivre, il faut qu’on profite de la chaleur de l’autre ». Cette relation a forgé un amour qui dépasse toutes les normes.

Lorsqu’on lui demande si son frère lui a sauvé la vie, la réponse de Michel est sans équivoque : « Oui, bien sûr qu’il m’a sauvé la vie ». Alors que Michel n’était qu’un tout petit enfant de 4 ou 5 ans, Patrice, à 7 ans et demi, avait déjà une maturité bien plus grande. Il a porté cette écrasante responsabilité toute sa vie, le fardeau de s’être occupé de son petit frère. Michel évoque la douleur de ne pas avoir de parents, de « ressentir en permanence que je ne suis rien pour personne, je n’existe que pour moi et mon frère, c’est tout ».

Le témoignage de Michel de Robert est bien plus qu’un simple récit de survie. C’est une véritable épopée sur l’amour fraternel et la résilience incroyable de l’esprit humain face à l’adversité la plus extrême. La douleur de l’abandon, l’horreur face à la mort et la solitude absolue n’ont pas réussi à éteindre la flamme de vie chez ces deux enfants. Au contraire, ces épreuves ont forgé en eux une volonté de fer et un lien indestructible. Patrice est devenu à la fois le père, la mère et le protecteur de Michel. Il a endossé le fardeau non seulement physique mais aussi psychologique, protégeant son cadet du froid, de la faim et du désespoir. Michel, de son côté, a transformé les maigres ressources de la forêt en outils de survie, mais c’est bien l’esprit indomptable de Patrice qui les a maintenus en vie.

Sept années en forêt, sans aucun contact avec la civilisation, à vivre d’instinct, à apprendre de la nature, jusqu’à en devenir une partie intégrante. Ils ont appris à lire les traces des animaux, à trouver de la nourriture, à survivre aux nuits glaciales grâce à leur chaleur partagée. L’absence d’affection parentale les a transformés en êtres d’une autonomie redoutable, mais a surtout cimenté une relation fusionnelle où chacun était essentiel à l’existence de l’autre.

Dans la voix de Michel, au-delà de la tristesse, transparaît une admiration profonde pour ce frère qui a sacrifié son enfance pour le protéger. Patrice, bien que jeune garçon lui-même, a dû assumer un rôle qui a défini le reste de sa vie. Leur histoire est un rappel brutal de la cruauté du destin, mais surtout une preuve éclatante de la force de l’esprit humain. Elle nous interroge sur la valeur de la famille, de l’amour et de l’attention que nous tenons souvent pour acquis.

Dans un monde moderne où tout semble facile, l’histoire de Michel et Patrice nous ramène à l’essentiel. C’est un témoignage puissant sur la fragilité de la vie et la résilience de l’âme. Ce n’est pas seulement une histoire de survie, c’est une leçon de courage, d’autonomie et d’amour inconditionnel. Malgré l’horreur de son passé, Michel de Robert se tient aujourd’hui debout pour partager son histoire, laissant derrière lui un héritage de force et d’espoir pour nous tous.