Trois millions d’albums vendus. Des clips visionnés des dizaines de millions de fois. Une bête de scène capable de performances acrobatiques qui n’ont pas été vues chez un artiste populaire français “depuis Claude François”. L’image de M. Pokora est celle d’une machine de succès, un “showman” au contrôle parfait, un artiste qui a transformé un rêve de gamin en un empire pop. Pourtant, derrière cette façade lustrée se cache un homme pétri de doutes, un “showman timide” dont le parcours est défini non pas par la facilité, mais par la résilience face à l’échec, le travail acharné et un principe fondamental résumé en un seul mot, tatoué sur sa peau : “Pokora”.

Dans une interview confession poignante, l’artiste lève le voile sur les coulisses de son ascension, révélant les fractures, les risques insensés et les leçons tirées dans la douleur.

Michael Jackson, le Foot et le Secret du Vestiaire

Avant d’être M. Pokora, il y a Mathieu Tota, un gamin de Strasbourg dont le cœur balance entre deux passions dévorantes. La première, c’est le football. Avec un père ancien footballeur professionnel, le chemin semble tout tracé. “Le foot reste mon premier amour,” confie-t-il. Il grandit “avec un ballon dans les pieds”. La seconde passion est plus secrète, née devant la télévision : Michael Jackson. “C’est lui qui m’a donné envie de faire ce métier,” explique-t-il. L’icône américaine est une révélation totale. Le jeune Mathieu ne veut pas seulement chanter, il veut tout : “chanter, danser, performer”. L’imitation va loin. “J’allais dans la trousse à pharmacie à la maison,” s’amuse-t-il, “je me mettais des pansements autour des doigts, je mettais un débardeur, une chemise blanche et je me mettais devant le miroir et j’imitais Michael.”

Mais ces deux mondes sont incompatibles. Dans le milieu très masculin du football, cette sensibilité artistique est une faiblesse. “Si j’avais eu le malheur de dire que je chantais ou que j’aimais ça à l’époque, je me serais fait chambrer tous les weekends… on m’aurait cassé les bonbons.” Alors, il se tait. Le rêve de scène est gardé secret, tandis que le rêve de stade semble s’imposer, jusqu’à un match d’essai décisif à 17 ans qui ne se passe pas comme prévu.

La Fracture et la “Débrouille”

Cette détermination à réussir, ce besoin viscéral de s’en sortir, ne vient pas de nulle part. L’enfance de Mathieu n’a pas été le long fleuve tranquille que son sourire pourrait laisser penser. Il évoque l’arrêt de la carrière de son père, un moment difficile où “les huissiers sont venus à la maison”. S’ajoute à cela le divorce de ses parents. “Comme dans beaucoup de familles, il y a eu des périodes un peu plus difficiles.”

À 15 ans, il tire une leçon de vie qui forgera l’homme qu’il deviendra : l’importance d’être “débrouillard”. Il ne veut plus dépendre de personne. “Je suis allé travailler à gauche à droite pour gagner un peu d’argent aussi, pour me payer mes fringues à la rentrée, pour me payer mes crampons de foot.” Il fait des petits boulots, travaille dans des fast-foods, fait des stages de vente. Il sait déjà qu’il a “plus de facilité que les autres à se mettre en scène”, un talent repéré par ses maîtresses d’école lors des spectacles de fin d’année. Mais le chemin vers la scène est encore long.

Le Risque Insensé : L’Identité Falsifiée

C’est là que l’histoire de M. Pokora prend un tournant digne d’un film. À 17 ans, il voit l’opportunité de sa vie : le casting de l’émission “Popstar”. Il y a un problème majeur : il faut avoir 18 ans. L’ambition est trop forte, la faim de réussir trop grande. Il prend alors une décision radicale, et illégale : “J’avais que 17 ans à quelques mois près… j’aurais pas pu participer au casting de Popstar si j’avais pas trafiqué ma carte d’identité.”

Ce mensonge, ce risque fou, fonctionne. Il passe les auditions, séduit le jury et le public, et se retrouve en finale. Et puis, il gagne. C’est la consécration, mais aussi le moment où la réalité le rattrape brutalement. “Ils ont découvert que j’avais pas 18 ans le jour où j’ai gagné, qu’on a dû signer des contrats et il fallait donner son numéro de sécurité sociale… et là, il y a la date de naissance.” L’équipe de production découvre la supercherie. Heureusement, la situation se règle en coulisses : “On a dû un peu refaire tout, signer par mes parents.” L’anecdote, aujourd’hui drôle, montre une détermination hors norme, celle d’un jeune homme prêt à tout pour saisir sa chance.

“Pokora” : Plus qu’un Nom, une Leçon de Vie

Le succès est immédiat. Mathieu Tota devient M. Pokora. Et ce nom n’est pas un hasard. Il est le fruit d’une rencontre décisive, juste après sa victoire, et d’une promesse qu’il s’est faite à lui-même. “Je suis d’origine polonaise, Pokora veut dire humilité en polonais.” Ce sera son premier tatouage, un rappel permanent de ses origines.

Il raconte : “Quand j’ai gagné Popstar, on avait une nounou (une chaperonne). Elle m’a dit : ‘La chose la plus importante si tu es amené à durer, c’est de rester humble, de pas oublier d’où tu viens. Tous les gens que tu croises en montant, tu les recroiseras en descendant.’” Cette phrase le marque au fer rouge. Elle devient sa philosophie, son garde-fou contre un succès qui aurait pu lui monter à la tête.

La Chute : L’Humiliation de l’Échec

Il y a 17 ans, Matt Pokora faisait ses débuts

Il n’imaginait pas que cette philosophie serait testée si rapidement et si violemment. Après le succès fulgurant du groupe Linkup, M. Pokora se lance en solo. Il est jeune, ambitieux, et rêve de “faire comme les Américains”. Il s’envole pour les États-Unis, travaille avec les plus gros producteurs de l’époque. Il revient avec un album dont il est fier, mais qui détonne dans le paysage français.

La réception est glaciale. L’album est un échec commercial cuisant. “Mais qui pue à la mode”, se souvient-il des critiques. À 21 ans, le coup est terrible. “C’est dur d’entendre ça. Je m’attendais à être soutenu justement par la presse… qu’ils se disent ‘voilà on a enfin un petit gamin qui a réussi à attirer les plus gros producteurs américains, on va le pousser.’” Mais c’est l’inverse qui se produit. “À ce moment-là, j’ai l’impression que mon ambition a été prise pour de la prétention.”

Il se sent incompris, déguisé. “J’ai l’impression à cette époque-là d’être déguisé. C’est dans mes clips, je mettais des lunettes de soleil, des chaînes un peu bling-bling… le côté un peu RnB américain. Et en plus, dans la vie de tous les jours, je suis vraiment pas du genre à mettre des lunettes.”

La Reconstruction : “Repartir en Bas”

C’est le moment de vérité. L’artiste aurait pu sombrer, disparaître comme tant d’autres avant lui. Mais il repense à sa “débrouille”, à son père, aux huissiers. Il refuse d’abandonner. “Jamais je me suis dit ‘c’est foutu, c’est fini’.” Il serre les dents et active le mode “guerrier”. “La seule chose que je me suis dit, c’est : ‘Mec, il va falloir que tu aies les reins solides parce que là, il va falloir accepter de repartir en bas, de repartir à la première marche et de tout reconstruire.’”

Cette traversée du désert est fondatrice. Il se remet en question, travaille deux fois plus dur, et prend des risques que personne ne lui conseille. Il participe à la première saison de “Danse avec les stars”. “Personne savait si ça allait marcher. J’aurais pu couler avec si ça avait pas marché.” Il gagne, et le public le redécouvre : plus humble, plus authentique, plus proche. Il enchaîne avec la comédie musicale “Robin des Bois”, un autre pari risqué. “Pour surprendre les gens, pour aller montrer encore autre chose.”

Le “Showman Timide” et l’Héritage de Cloclo

C’est là que naît le M. Pokora que l’on connaît aujourd’hui : le performeur hors pair. Une dualité s’installe, celle du “grand showman timide”. “Dans la vie de tous les jours, je suis plutôt du genre à rentrer la tête dans les épaules et à marcher tête baissée dans la rue. Pas par peur qu’on me reconnaisse, juste parce que je suis plutôt très réservé.” Mais dès qu’il est “au travail”, il devient “quelqu’un d’autre”, un leader capable d’être dur avec ses équipes.

La comparaison avec Claude François, d’abord surprenante pour lui, devient un compliment. Il étudie l’artiste et se reconnaît, non pas dans l’obsession de l’image, mais dans l’obsession de la performance. “Je suis obsédé par le fait d’avoir envie que les gens, quand ils viennent à mes spectacles, ils en aient pour leur argent. Et je suis obsédé par la performance… je veux faire des choses que des chanteurs français populaires n’ont jamais fait.”

M Pokora : l'étonnante histoire derrière son nom de scène - Cosmopolitan.fr

L’Humilité comme Moteur

Aujourd’hui, au sommet de sa carrière, comment garde-t-il les pieds sur terre ? En se souvenant de la leçon de la “nounou”. Il dit oui à chaque photo, chaque vidéo. “Moi je dis oui à chaque fois. Et je pense que si on venait plus me demander ces choses-là, je commencerai à angoisser.” La peur de l’indifférence, la peur que tout s’arrête, est son meilleur garde-fou. “Notre angoisse, ce serait justement qu’on vienne plus nous demander d’autographe.”

Il refuse le cinéma de star, les gardes du corps, les lunettes noires. “Plus tu es cool quand tu marches dans la rue, plus tu vis ta vie tranquillement, et plus les gens vont t’aborder tranquillement.”

Il conclut avec la philosophie qui résume tout son parcours. Il se voit comme “un exemple du tout est possible”. “Je viens de Strasbourg, ma mère n’était pas dans l’industrie de la musique… Je suis allé me bouger les fesses.” Son message à sa génération est simple, et il est le seul à pouvoir le dire avec autant de légitimité : “La seule chose qu’on rate est celle qu’on ne tente pas.” C’est sa devise. “Il suffit de vouloir, de travailler, de respecter les autres, d’être humble et de se remettre en question énormément.” L’histoire d’un gamin qui a truqué son identité pour entrer par la petite porte, qui a connu l’échec cuisant, et qui s’est reconstruit marche après marche, pour devenir, enfin, “Pokora”.