Et si Anastasia n’avait jamais échappé à son destin ? Et si personne ne l’avait fait ? Pendant près d’un siècle, le sort de la dernière famille impériale russe a alimenté livres, films et même procès royaux. En 1920, une femme retrouvée dans un canal à Berlin prétendit être Anastasia, son histoire capturant le monde entier et déclenchant des décennies de bataille judiciaire. Des tombes furent découvertes, mais tous les corps n’étaient pas là, les sceptiques pointant du doigt l’absence du tsarévitch Alexis. L’Église orthodoxe refusa de croire la science, même le prince Philip fournit son ADN à la recherche de réponses. Puis, en 2007, une seconde tombe fut découverte dans une forêt russe : des os brûlés, un garçon, une fille. De nouveaux tests ADN, plus de silence de la part de l’Église. Mais pour les scientifiques, le message était clair : tous les Romanovs étaient morts cette nuit-là, en 1918. Aucun survivant, aucun sauvetage secret, juste la trahison, les baïonnettes et un siècle de mensonge.

L’Ascension d’une Dynastie

L’histoire des Romanov ne commença pas dans la grandeur, mais dans le désespoir. En 1613, la Russie était en ruine. L’époque des troubles, période dévastatrice de chaos politique, famines, invasions étrangères et révoltes civiles, avait laissé le pays sans dirigeant légitime. La dynastie des Riourikides, qui gouvernait depuis plus de 700 ans, s’était effondrée après la mort du tsar Fédor Ier en 1598, un souverain faible et sans héritier. Dans les années qui suivirent, le trône fut occupé par des imposteurs, des prétendants soutenus par des puissances étrangères et des boyards (nobles) qui se disputaient violemment le pouvoir. Les armées polonaises et suédoises envahirent le pays, la capitale était en ruine, le peuple russe, épuisé par la guerre et la famine, réclamait l’ordre.

Dans ce vide de pouvoir surgit une figure improbable : Mikhaïl Fiodorovitch Romanov, un garçon timide de 16 ans vivant dans un monastère avec sa mère. Malgré sa jeunesse et son inexpérience, Mikhaïl possédait un atout de poids : il était le petit-neveu de la première épouse d’Ivan le Terrible, Anastasia Romanovna. Ce lien de sang avec l’ancienne dynastie lui conférait une légitimité. Mais plus important encore, le Zemski Sobor (assemblée nationale de nobles, clergés et citoyens) vit en lui quelqu’un capable d’unir une nation fracturée, sans menacer immédiatement l’élite. En mars 1613, on lui offrit la couronne. D’abord terrifié, il refusa, mais sa mère lui aurait dit : “Il faut accepter, mon fils. Mieux vaut périr avec le peuple que laisser le peuple périr sans tsar.” Mikhaïl accepta, et ainsi naquit la dynastie Romanov, qui régnerait sur la Russie pendant 304 ans.

Les premiers Romanov réussirent à consolider le pouvoir, et à la fin du 17e siècle, la monarchie était forte et centralisée. Puis vint Pierre le Grand, l’un des souverains les plus transformateurs de l’histoire russe et européenne. Impétueux, colérique et obsédé par la modernisation, Pierre voyagea incognito en Europe pour apprendre les tactiques militaires, la construction navale et l’ingénierie. De retour en Russie, il entraîna le pays dans la modernité, souvent par la force. Il reforma l’armée, bâtit une marine et fonda une nouvelle capitale tournée vers l’Occident : Saint-Pétersbourg. Sous Pierre, la Russie devint un empire et les Romanov ses monarques absolus.

Puis vint Catherine la Grande, une princesse allemande qui s’empara du trône en renversant son mari Pierre III. Brillante calculatrice et philosophiquement éclairée, Catherine étendit les frontières de la Russie par la guerre et la diplomatie. Elle introduisit également un âge d’or pour les arts, la littérature et l’éducation, même si son règne resta marqué par le servage, les rébellions et l’inégalité croissante. Au 19e siècle, la dynastie Romanov fut confrontée à des contradictions croissantes : la Russie était un empire immense et riche, s’étendant de la Pologne au Pacifique, du cercle Arctique à l’Asie centrale, mais profondément inégal, brutalement répressif et socialement stagnant. L’autocratie, l’orthodoxie et le nationalisme étaient les piliers du trône, alors que l’Europe évoluait vers la réforme et l’industrialisation.

Alexandre Ier, acclamé pour avoir vaincu Napoléon en 1812, mourut dans des circonstances mystérieuses, alimentant des rumeurs d’abdication secrète. Son successeur Nicolas Ier devint le symbole de la répression, écrasant brutalement l’insurrection des décembristes en 1825 et consolidant un État policier. À la fin du 19e siècle, les idées révolutionnaires se répandaient. La théorie marxiste gagnait du terrain, des sociétés secrètes se formaient même au sein de la famille Romanov. Des voix libérales avertissaient de l’effondrement imminent si des réformes n’étaient pas entreprises. Pourtant, lors du couronnement de Nicolas II en 1896, il semblait aveugle à ces changements. Dévot, doux et douloureusement indécis, il n’avait pas été élevé pour gouverner, et cela se voyait.

Son règne débuta dans le scandale avec la tragédie de Khodynka, où près de 1 400 personnes furent piétinées à mort lors des festivités de son couronnement à cause d’un contrôle de foule défaillant. Au lieu de se rendre immédiatement auprès des victimes, Nicolas assista à un bal. Le public le surnomma “Nicolas le Sanglant”. Les signes d’avertissement ne firent que s’aggraver. En 1904, la Russie entra dans la guerre russo-japonaise, une aventure militaire mal planifiée qui se termina par une défaite humiliante. Cette perte déclencha la Révolution de 1905, avec grèves, mutineries et manifestations à l’échelle nationale. Nicolas répondit en créant à contrecœur une Douma, un organe parlementaire qu’il dissout fréquemment lorsqu’elle ne se pliait pas à ses souhaits. La réforme n’était jamais sincère, le changement était toujours retardé.

Au milieu de toute cette instabilité, la vie personnelle de Nicolas subissait également de fortes pressions. Sa femme Alexandra Fiodorovna, petite-fille de la reine Victoria, née en Allemagne, était profondément impopulaire auprès du peuple russe. Elle vouait une dévotion au mystique Raspoutine, qui prétendait posséder des pouvoirs de guérison capables d’atténuer les souffrances de leur unique fils Alexis, né avec l’hémophilie. L’influence grandissante de Raspoutine à la cour, combinée aux rumeurs de débauche, de corruption et de manipulation, alimentait les scandales et renforçait la méfiance du public envers la monarchie.

Puis survint la catastrophe ultime : la Première Guerre mondiale. La Russie entra en guerre en 1914, aux côtés de la Grande-Bretagne et de la France contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Mais le pays n’était pas préparé. Des soldats furent envoyés au front sans fusil, les vivres vinrent à manquer, les infrastructures s’effondrèrent. Plus d’un million de soldats russes périrent au cours des trois premières années. Les civils moururent de faim, les grèves paralysaient les villes. En 1915, Nicolas prit une décision fatale : il quitta Petrograd pour commander personnellement l’armée. Alexandra se retrouva alors à gérer les affaires intérieures, ce qui ternit encore davantage l’image de la monarchie.

En février 1917, l’empire était au bord du gouffre. À Petrograd, les émeutes de la faim se transformèrent en manifestations massives. Travailleurs, soldats et étudiants envahirent les rues, l’armée se mutina, la Douma se déclara autorité légitime. La révolution était là. Le 15 mars 1917, sous une pression immense, le tsar Nicolas II abdiqua. Il rédigea une courte note désignant son frère Mikhaïl comme successeur. Mikhaïl refusa. Pour la première fois depuis plus de 300 ans, la Russie se retrouva sans tsar. Nicolas espérait l’exil, de préférence en Grande-Bretagne. Au début, le roi George V, son cousin, accepta. Mais sous la pression de politiciens britanniques inquiets des troubles sociaux à venir, l’offre fut retirée. Les Romanov furent laissés dans l’incertitude, transférés de résidence surveillée en résidence surveillée : d’abord à Tsarskoïe Selo, puis à Tobolsk et enfin à Ekaterinbourg. Lorsque les bolcheviques prirent le pouvoir en octobre 1917, ils ne virent pas les Romanov comme de simples monarques déchus, mais comme des symboles potentiels de contre-révolution. Tant que la famille vivait, l’ancien monde avait un visage, et en pleine guerre civile, les symboles pouvaient tuer. Le destin des Romanov était scellé. La dynastie née du chaos allait retomber dans celui-ci.

Une nuit d’horreur à un mur de sous-sol de l’oubli

À l’été 1918, les Romanov n’étaient plus simplement en résidence surveillée ; ils étaient des prisonniers. Après avoir été déplacés de captivité en captivité suite à l’abdication de Nicolas II, toute la famille impériale fut conduite dans la ville industrielle d’Ekaterinbourg, au cœur des monts Oural. Leur dernière demeure était une maison ordinaire de commerçants, désormais lourdement fortifiée et rebaptisée par les bolcheviques “la maison à usage spécial”. De l’extérieur, rien ne laissait deviner l’horreur à l’intérieur. Mais à l’intérieur, c’était un tombeau scellé.

Les Romanov étaient surveillés jour et nuit par les gardes rouges, dépourvus de titres, de privilèges et de liberté. Leur quotidien se réduisait à l’angoisse. La santé de la tsarine Alexandra se détériorait rapidement, aggravée par le stress et l’isolement. Leur fils unique Alexis souffrait de violentes hémorragies internes dues à son hémophilie. Les grandes duchesses Olga, Tatiana, Maria et Anastasia tentaient de maintenir le moral par la lecture, la prière, la couture et de maigres fragments de vie normale. Mais le changement était palpable : les gardes devenaient plus hostiles, les rations alimentaires diminuaient, la fenêtre sur le monde extérieur se fermait définitivement.

La menace réelle n’était pas dans ces murs ; elle venait de l’horizon. L’Armée blanche anti-bolchevique avançait sur Ekaterinbourg. Lénine et la direction soviétique craignaient qu’en cas de sauvetage, les Romanovs deviennent un symbole pour les contre-révolutionnaires. Pire encore, vivants, ils auraient pu servir de monnaie d’échange dans la diplomatie internationale. Une décision fatale fut prise à huis clos : éliminer la famille.

Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, le commandant Iakov Iourovski arriva avec son équipe d’exécuteurs. Vers 1h30 du matin, il réveilla les Romanov sous prétexte d’une évacuation due aux combats proches. Nicolas, méfiant mais obéissant, suivit l’ordre. Toute la maisonnée – Nicolas, Alexandra, leurs cinq enfants et quatre domestiques dévoués – fut conduite au sous-sol. On leur demanda de s’asseoir pour une photo destinée à démentir les rumeurs de fuite. Deux chaises furent apportées pour la tsarine et le fragile Alexis. Alors que la famille s’installait, Iourovski entra avec onze hommes et lut à voix haute : “Le Soviet des Ourales vous a condamnés à mort.” Avant que Nicolas ne comprenne pleinement, une balle l’atteignit en pleine poitrine.

La pièce se transforma en chaos. Le massacre fut désorganisé, les exécuteurs, souvent ivres ou paniqués, peinaient dans la pièce étroite et enfumée. Les balles ricochaient sur les murs, les cris résonnaient. La tsarine fut abattue, suivie des domestiques. Mais les balles ne tuèrent pas immédiatement les filles. Ignorant des exécuteurs, les jeunes femmes avaient cousu des pierres précieuses – diamants et émeraudes – dans leurs corsets et leurs bodys. Ces bijoux, destinés à préserver leur fortune, déviaient désormais les balles comme une armure. L’horreur s’intensifia. Les jeunes femmes gémissaient sur le sol ensanglanté, blessées mais vivantes. Certains exécuteurs s’enfuirent pour vomir, d’autres rechargèrent leurs pistolets. Iourovski ordonna l’usage des baïonnettes. Olga fut poignardée au visage, Maria abattue à bout portant. Anastasia survécut peut-être le plus longtemps, des témoins affirmant avoir entendu des gémissements longtemps après les tirs.

Même après leur mort, les Romanov ne connurent pas le repos. Leurs corps furent dépouillés de leurs vêtements et biens, transportés dans la forêt de Koptiaki. Là, les bolcheviques tentèrent de se débarrasser des cadavres dans une mine abandonnée, mais la fosse était trop peu profonde et les membres dépassaient. La panique s’empara d’eux. Iourovski ordonna une mutilation supplémentaire : les corps furent aspergés d’essence et d’acide sulfurique pour les rendre méconnaissables. Certains furent partiellement brûlés, les crosses de fusil fracassèrent des visages, les hommes frappèrent les cadavres à la pelle et à la hache pour hâter la décomposition. Les restes mutilés furent ensuite enterrés dans des fosses peu profondes. Par crainte d’être découverts, Iourovski sépara les corps d’Alexis et d’une des filles, probablement Maria, pour les enterrer ailleurs. Le régime soviétique annonça seulement l’exécution de Nicolas, aucune mention de sa famille. On prétendit que la tsarine et les enfants avaient été emmenés dans un lieu sûr. Ce mensonge persista des années, servant à semer la confusion parmi les Alliés et à permettre le déni. Mais il donna naissance à la légende.

L’Âge des Imposteurs et la Quête de la Vérité

Du chaos de l’exil et de la guerre surgirent d’innombrables rumeurs. Anastasia avait-elle survécu ? Alexis avait-il été emmené par des loyalistes ? Des mémoires de bolcheviques défecteurs évoquaient des exécutions ratées et des miracles. Les cercles d’émigrés russes murmuraient des récits de sauvetages secrets et de trésors enfuis. La presse occidentale s’en délectait, des imposteurs apparurent à travers l’Europe, et à mesure que l’Union Soviétique renforçait son emprise, une question persistait : quelqu’un avait-il survécu ?

Dans le brouillard des rumeurs et du désespoir apparut une femme qui allait redéfinir la création de mythes au 20e siècle : Anna Anderson. En 1920, elle fut retirée, froide, silencieuse et à peine vivante, d’un canal à Berlin après une tentative de suicide. Pendant des mois, elle refusa de donner son nom. Lorsqu’elle le fit enfin, ce fut un choc : elle prétendait être la Grande Duchesse Anastasia Nikolaïevna, la plus jeune fille du tsar Nicolas II. La revendication semblait presque trop fantastique pour être crue. Pourtant, dans un monde avide de survivants, on commença à l’écouter. Anderson portait des cicatrices, déclarait des pertes de mémoire et apparaissait émotionnellement fragile – des traits que certains considéraient compatibles avec un traumatisme. Elle possédait également des connaissances intimes de la vie au palais et des manières étonnamment similaires à celles de la vraie Anastasia. Des sympathisants royaux, des émigrés et d’anciens domestiques vinrent lui rendre visite. Certains la rejetèrent immédiatement, mais d’autres – notamment Ernst Ludwig, grand-duc de Hesse, oncle maternel d’Anastasia, et Gleb Botkin, fils du médecin assassiné de la famille – crurent en elle.

Commence alors l’un des procès d’identité les plus bizarres et prolongés de l’histoire. Pendant des décennies, les tribunaux allemands se penchèrent sur la question : Anna Anderson était-elle vraiment Anastasia ? Les audiences se déroulèrent de 1938 à 1970. Experts en graphologie, analystes de comparaison faciale, psychologues et membres survivants de la famille Romanov furent appelés à témoigner. L’affaire devint une obsession internationale, médiatisée et immortalisée dans des pièces, romans et films. Anderson vécut la majeure partie de sa vie ultérieure aux États-Unis, épousant Jack Manahan, un professeur excentrique de Virginie. Même en déclin de santé, elle ne renonça jamais à sa prétention jusqu’à sa mort en 1984. Elle affirma : “Je suis Anastasia.”

Mais la vérité, comme souvent, attend la science. En 1994, dix ans après sa mort, un échantillon de tissu prélevé lors d’une procédure médicale fut analysé. Grâce à l’ADN mitochondrial, les résultats furent concluants : Anna Anderson n’était pas Anastasia. Elle était en réalité Franziska Schanzkowska, ouvrière polonaise avec des antécédents documentés de troubles mentaux. Ses prétentions n’étaient qu’un fantasme tragique, peut-être délirant. Mais à ce moment, cela importait peu. Son histoire avait déjà pris racine dans l’imaginaire collectif, et le mythe d’Anastasia persistait à Hollywood et dans la culture populaire.

Alors que le mensonge d’Anderson s’effondrait, un mystère plus sobre se jouait en Russie. En 1979, deux historiens amateurs, Alexander Avdonin et Guely Ryabov, localisèrent secrètement une sépulture près de Koptiaki, à la périphérie d’Ekaterinbourg. Guidés par des récits chuchotés de soldats bolcheviques, ils commencèrent à creuser et découvrirent ce qu’ils croyaient être les Romanov. Mais le régime soviétique était toujours en place, et la peur des représailles du KGB était profonde. Ils enterrèrent à nouveau les restes et attendirent. Ce n’est qu’en 1991, après la chute de l’URSS, que la tombe fut officiellement exhumée. Neuf squelettes furent récupérés. Les experts légistes confirmèrent qu’il s’agissait de Nicolas II, Alexandra, trois filles et quatre domestiques. Mais deux figures clés manquaient : le tsarévitch Alexis et une fille, Maria ou Anastasia. Cette absence raviva toutes les théories et tous les espoirs : quelqu’un avait-il survécu ?

Le gouvernement russe invita des scientifiques internationaux à vérifier les restes dans l’un des projets d’identification ADN les plus vastes de l’époque. L’ADN mitochondrial, transmis de mère en enfant, fut extrait et comparé à des parents vivants des Romanovs. Le prince Philip, duc d’Édimbourg et arrière-neveu d’Alexandra, fournit un échantillon. Les résultats furent sans équivoque : les os appartenaient aux Romanov, mais avec deux individus manquants. Les spéculations continuèrent. Puis en 2007, près de deux décennies plus tard, une seconde sépulture fut découverte à seulement 70 mètres de la première. Dans une tombe plus petite et hâtivement creusée gisait les os calcinés et fragmentés de deux individus : un garçon de 12 à 15 ans et une fille de 15 à 19 ans. Les experts légistes firent de nouveau appel à l’ADN. Cette fois, l’ADN-Y et mitochondrial fut utilisé. L’équipe compara les résultats avec les restes de la première tombe et avec les mêmes descendants vivants des Romanovs. La correspondance fut irréfutable : le garçon était Alexis Nikolaïevitch, l’héritier souffrant du trône russe ; la fille, selon le développement osseux et l’ADN, était très probablement Maria (bien qu’une minorité d’experts ait d’abord pensé qu’il pouvait s’agir d’Anastasia). Le dernier morceau du puzzle était enfin en place.

La Vérité et le Déni

Mais au lieu d’apporter la clôture, cette découverte accentua les divisions. Plutôt que de se réjouir de la clarté scientifique, l’Église orthodoxe russe hésita. Bien qu’ayant canonisé la famille Romanov comme “porteurs de passion” en 2000, reconnaissant leur foi et leurs souffrances, elle tarda à admettre que les restes trouvés étaient véritablement ceux des martyrs impériaux. Les responsables de l’Église invoquèrent des “preuves insuffisantes” et mirent en doute la chaîne de garde, même si les experts mondiaux confirmaient l’authenticité sans l’ombre d’un doute.

Les conspirations se multiplièrent. Certains nationalistes russes et conservateurs religieux affirmèrent que les restes étaient faux, “plantés” par des gouvernements étrangers ou manipulés par des forces anti-russes – une accusation grotesque et fausse qui alimenta la propagande antisémite dans certains milieux. Pendant ce temps, le président Vladimir Poutine vit une utilité politique dans les Romanov. Il commença à façonner un récit mêlant nostalgie impériale et fierté soviétique, une mythologie qui transformait Nicolas II en saint et en symbole de la souffrance nationale. L’Église accompagna le mouvement dans une certaine mesure, mais les tensions restèrent. Aux yeux de nombreux dirigeants orthodoxes, la vérité scientifique, surtout lorsqu’elle provenait de laboratoires occidentaux, restait suspecte. Même aujourd’hui, plus d’un siècle après leur exécution brutale, les Romanovs restent pris dans la politique, le mythe et un deuil non résolu.

La vérité est connue, mais tous ne veulent pas l’accepter. Leurs corps ont été retrouvés, leur identité confirmée. Et pourtant, la mémoire des Romanovs continue de servir des agendas bien éloignés de cette famille silencieuse et terrifiée conduite dans un sous-sol un soir de juillet 1918. Leur histoire ne s’est pas terminée par un miracle ; elle s’est terminée par le meurtre, l’acide, le silence et le déni. Pourtant, dans ce silence, le monde a bâti des légendes, et certains refusent encore de les laisser tomber. Au final, la science nous a donné des réponses, mais pas celles que l’on espérait. Aucun sauvetage secret, aucune princesse cachée, juste la tragédie confirmée jusqu’aux dernières os.