Marne-la-Coquette, novembre 2017. La nuit est tombée sur la résidence de la Savannah. Alors que le monde retient son souffle, priant pour le rétablissement de l’idole des jeunes, un drame intime se joue derrière les volets clos. Johnny Hallyday, affaibli par la maladie mais l’esprit plus lucide que jamais, décide de briser l’omerta. Dans un dernier sursaut de vérité, il livre les noms de ceux qui, sous les projecteurs ou dans l’ombre des coulisses, ont laissé des cicatrices indélébiles sur son cœur. Voici le récit de ces haines secrètes et de ces blessures silencieuses.

Le Crépuscule d’une Idole : “Je n’ai plus le temps de faire semblant”

Il est 2h47 du matin, ce 12 novembre 2017. La maison est plongée dans le silence, Laeticia et les filles dorment. Johnny, lui, est descendu au salon. Pieds nus, une dernière Gitane à la main, il contemple l’obscurité du jardin. Sa voix est cassée, son souffle court, mais le feu dans ses yeux brûle encore d’une intensité terrifiante. C’est à cet instant précis qu’il décide de se libérer d’un fardeau qu’il porte depuis des décennies.

“Il y en a cinq,” murmure-t-il. “Cinq que je n’ai jamais pu supporter. Pas détester, c’est trop simple. Ne pas supporter, comme on ne supporte pas un miroir qui vous renvoie une image qu’on refuse de voir.”

Ces cinq hommes sont des géants, des légendes, des “frères” pour certains. Pourtant, pour Johnny, ils furent les architectes de ses plus grandes douleurs secrètes.

Michel Sardou : Le Frère Ennemi

Le premier nom qui tombe est celui de Michel Sardou. Pour le public, ils étaient les meilleurs amis du monde, les complices des années 70, partageant vacances à Saint-Tropez et nuits blanches. Mais pour Johnny, Sardou est “le frère qui m’a poignardé tous les jours pendant 50 ans”.

L’origine de la rupture définitive est connue : une blague douteuse de Sardou sur les filles de Johnny, Jade et Joy, qualifiées de “Viêt-cong” lors d’une émission. Johnny n’a jamais pardonné. “Il m’a craché dessus,” confie-t-il, les larmes aux yeux, en regardant un vieux concert de son ancien ami. Mais la blessure est plus profonde. Johnny souffrait d’un complexe d’infériorité artistique face à Sardou. Il se voyait comme le showman, la bête de scène, tandis que Sardou était perçu comme “l’artiste qui pense”.

“Lui, il avait le droit de dire que je chantais faux. Mais pas lui… parce que je l’ai porté dans mon cœur.” Johnny est mort avec la certitude amère que cette amitié n’était qu’une longue trahison, laissant un goût de cendres là où il y avait eu tant de rires.

Claude François : La Haine Pure et Réciproque

Si la relation avec Sardou était teintée d’amour déçu, celle avec Claude François était, selon les mots de Johnny, “de la haine pure”. Une haine viscérale, chimique.

“Je l’ai détesté, vraiment. Il était tout ce que je voulais être et que je n’étais pas : propre, discipliné, parfait.”

La rivalité entre les deux hommes était légendaire, mais Johnny révèle l’ampleur de cette guerre psychologique. Il raconte comment Claude le regardait avec un “sourire de vaincu” lorsqu’il passait après lui sur scène et retournait le public avec sa violence rock’n’roll, là où Claude avait offert un show millimétré. Mais le plus choquant reste cet aveu terrible : Johnny a parfois souhaité la disparition de son rival. “Quand il est mort, j’ai eu honte. J’ai eu honte d’avoir souhaité qu’il disparaisse. Mais je l’ai souhaité, je te le jure.” Une confession d’une honnêteté brutale qui montre à quel point la compétition les dévorait.

Jean-Jacques Goldman : La Jalousie de l’Estime

Le cas de Jean-Jacques Goldman est différent. Ici, pas de haine, mais une envie sourde, douloureuse. Goldman représente tout ce que Johnny n’a jamais réussi à obtenir : le respect unanime.

En 2016, regardant les Enfoirés à la télévision, Johnny, perfusé, lâche : “Regarde-le… Il n’a pas besoin de hurler, pas besoin de feu d’artifice. Et tout le monde l’aime comme un père. Moi, on m’a aimé comme on aime un feu d’artifice.”

Johnny sentait que malgré ses millions de fans, il lui manquait cette aura de “grand homme”, d’auteur-compositeur respecté par les intellectuels comme par les ouvriers. Goldman avait cette pureté, cette intégrité qui renvoyait Johnny à ses propres excès et à son image de “chanteur pour camionneurs”. “C’est la seule chose que je regrette vraiment,” avoue-t-il. Être admiré, c’est bien ; être respecté, c’est mieux.

Johnny : derniers jours à Marnes-la-Coquette

Serge Gainsbourg : Le Génie Méprisant

Avec Gainsbourg, Johnny se sentait “minuscule”. Malgré leur collaboration sur l’album Rock’n’Roll Attitude et le chef-d’œuvre “Quelque chose de Tennessee”, Johnny a toujours senti une condescendance de la part de l’homme à la tête de chou.

“Il me donnait des miettes de génie et gardait le pain pour lui,” analyse Johnny. Il se souvient de soirées où Serge, ivre, lui lançait devant tout le monde : “Tu as une voix en or, mon grand, mais tu chantes comme un camionneur américain qui aurait trop bu.”

Johnny riait avec les autres, mais rentrait chez lui pour pleurer. Il se sentait traité comme une sous-catégorie, un interprète doué mais vulgaire. Même à l’enterrement de Gainsbourg, Johnny avoue avoir ressenti un soulagement coupable : “Je n’avais plus à être petit à côté de lui.”

Eddy Mitchell : La Cruauté du Plus Proche

Enfin, il y a Eddy. Schmoll. Le vieil ami de la Trinité. Pour Johnny, c’est la blessure la plus vive, car c’était la plus quotidienne. “Eddy, c’était le pire. Parce que c’était le plus proche.”

Johnny révèle qu’il s’est toujours senti jugé par Eddy Mitchell. Eddy, le connaisseur de cinéma, le puriste du blues, le Parisien classe. Johnny, le “plouc”, le “beauf” en chemise à paillettes. Lors de la tournée des Vieilles Canailles, les piques d’Eddy, déguisées en humour, étaient des poignards. “Tu es sûr que tu vas tenir le rythme, pépère ?”

Devant les caméras, ils jouaient les complices. Dans l’intimité, Johnny voyait dans le regard d’Eddy un mépris qu’il ne supportait plus. “Il ne m’a jamais défendu. Jamais. Frère, mon cul.” Ces mots, prononcés quelques semaines avant sa mort, témoignent d’une rancœur tenace envers celui qui était censé être son plus fidèle allié.

Johnny Hallyday et Eddy Mitchell, les vieilles canailles

Le Dernier Soupir d’un Homme Seul

Cette confession nocturne n’était pas un règlement de comptes haineux, mais un acte de libération. Johnny Hallyday, l’homme aux mille conquêtes et aux stades remplis, voulait partir léger. Il voulait qu’on sache qu’il n’était pas seulement une idole en acier trempé, mais un homme vulnérable, blessé par le regard des autres, assoiffé d’une reconnaissance qu’il pensait ne jamais avoir totalement obtenue.

En révélant ces secrets, Johnny redevient humain. Il descend de son piédestal pour nous montrer que la gloire ne protège ni de la jalousie, ni de la solitude, ni du manque d’amour. Son dernier message est un appel à l’authenticité : “Dis-leur que j’ai eu mal. Dis-leur que j’étais un homme.”

Aujourd’hui, ces mots résonnent avec une force particulière. Ils nous rappellent que derrière la légende, il y avait Jean-Philippe Smet, un cœur sensible qui a chanté pour se faire aimer, jusqu’à son dernier souffle.