Dans un silence quasi absolu, à l’âge vénérable de 99 ans, s’est éteint Léon Landini, une figure héroïque de la Résistance française. Aucune alerte en une des journaux télévisés, aucun hommage national grandiose, juste la discrète mention de quelques sites militants et la douleur contenue de ceux qui l’ont connu. Pourtant, cet homme fut torturé par la Gestapo à seulement 16 ans, condamné à mort par le régime de Vichy, et a risqué sa vie pour libérer la France. Jusqu’à son dernier souffle, il n’a jamais cessé de dénoncer ce qu’il appelait les “trahisons morales de la République” et ceux qui, selon lui, manipulaient la mémoire de la Résistance. Son intransigeance et sa fidélité à des idéaux inaltérables lui ont valu à la fois le respect des siens et l’oubli des institutions officielles.

L’histoire de Léon Landini est celle d’un combat perpétuel, non seulement contre l’occupant nazi et le régime collaborationniste, mais aussi contre l’amnésie sélective et la réécriture de l’histoire. Une histoire qui, aujourd’hui, nous oblige à nous interroger sur la manière dont la France honore (ou ignore) ses véritables héros.

De l’Ombre du Fascisme à la Lumière de la Résistance

Lyon. Léon Landini, le premier résistant évadé de la prison Montluc, nous a  quittés

Né le 9 avril 1926 à Saint-Raphaël, dans le Var, Léon Landini grandit dans un foyer modeste, imprégné d’idéaux de justice et de résistance. Fils d’Aristide Landini, un maçon italien qui avait fui le fascisme de Mussolini, le jeune Léon fut très tôt sensibilisé aux purges politiques et à la nécessité de s’engager contre la tyrannie. Ces valeurs profondes le mènent, dès 1942, à l’âge de 16 ans, à rejoindre les FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans – Main-d’Œuvre Immigrée), une branche armée de la Résistance communiste composée principalement de travailleurs immigrés.

À Lyon, Landini prend part à des actions audacieuses de sabotage contre les troupes nazies et les infrastructures ferroviaires allemandes. C’est lors d’une de ces opérations qu’il est arrêté par la police française collaborationniste. Détenu, torturé, et battu par la Gestapo, il ne cède rien, gardant le silence et protégeant ses camarades. Il survit à cet enfer, mais en porte toute sa vie les cicatrices, visibles et invisibles, qui forgeront son caractère indomptable.

Un Communiste Fidèle, une Voix Dérangeante

Après la guerre, contrairement à nombre de ses camarades devenus députés ou ministres, Léon Landini choisit de rester dans l’ombre médiatique. Il rejoint le Parti communiste français et milite activement dans diverses associations, intervenant dans les lycées pour témoigner de son expérience et de la vérité historique. Il devient par la suite président du PRCF (Pôle de Renaissance Communiste en France).

Sa parole, droite et passionnée, n’a jamais été consensuelle. Il fustigeait sans relâche le capitalisme, dénonçait la montée de l’extrême droite et alertait contre l’oubli historique. Ses interventions, souvent perçues comme dérangeantes dans un paysage médiatique aseptisé, le maintinrent à l’écart des projecteurs officiels. Pourtant, dans les cercles militants et chez les historiens de la Résistance, Landini était une figure de proue, incarnant une parole libre et intransigeante, issue du terrain. Son refus de se compromettre, son mépris affiché pour les compromis politiciens, lui valurent à la fois le respect des siens et le silence des institutions. Il n’a jamais cherché les honneurs, mais s’indignait que le sacrifice de ses camarades tombés soit instrumentalisé par les gouvernants à des fins partisanes.

Les Inpardonnables : Cinq Trahisons Morales

Léon Landini, dernier FTP-MOI, s'est éteint

C’est cette fidélité inébranlable à ses principes qui le poussa à nommer publiquement ceux qu’il ne pardonnerait jamais. Pour Landini, le pardon n’était pas un acte de faiblesse, mais une trahison envers ceux qui avaient donné leur vie. Il s’est dressé contre ce qu’il considérait comme des falsifications de l’histoire et des compromissions morales, visant notamment cinq figures ou idéologies politiques majeures :

    Nicolas Sarkozy : La Mémoire Volée de Guy Môquet. En 2007, lorsque Nicolas Sarkozy, alors président, rend hommage à Guy Môquet, jeune résistant fusillé, sans évoquer l’engagement communiste du jeune martyr, Landini explose d’indignation. Il publie alors une lettre ouverte accusant le chef de l’État d’avoir “volé la mémoire de ses camarades à des fins politiciennes”. Pour Landini, c’était un acte impardonnable, une tentative de domestiquer l’histoire pour mieux servir un discours politique.
    Manuel Valls : La Compromission Morale. Plus tard, lorsque Manuel Valls, ancien Premier ministre, exprime son soutien à la politique d’Israël lors de bombardements sur Gaza, Landini “voit rouge”. Pour lui, ce n’est plus un simple débat diplomatique, mais une “compromission morale” inacceptable. Il déclare publiquement : “Un homme qui se prétend républicain et qui cautionne les crimes d’un État ne mérite pas notre respect.” Ces propos, jugés excessifs par certains, étaient pour Landini une question de cohérence avec l’idéal de justice qu’il avait défendu toute sa vie. Il ne pouvait accepter le silence face à ce qu’il appelait l’oppression contemporaine.
    Marine Le Pen et le Rassemblement National : L’Héritage de la Haine. Le mépris de Landini envers l’extrême droite était encore plus tranché. Marine Le Pen et le Rassemblement National représentaient à ses yeux la continuité d’une idéologie qu’il avait combattue les armes à la main. Il affirmait avec force : “Le Front National reste un danger pour notre République. Je ne leur pardonnerai jamais l’héritage de haine qu’il perpétue.” Pour lui, l’extrême droite n’était pas une opinion parmi d’autres, mais une menace directe contre l’héritage des résistants et les valeurs fondamentales de la République.
    Alain Finkielkraut : La Stigmatisation et le Climat de Peur. En 2016, dans un affrontement inattendu sur France Culture, Landini s’oppose frontalement au philosophe Alain Finkielkraut au sujet des politiques de sécurité et des discours stigmatisants envers les musulmans. Tandis que Finkielkraut plaidait pour un “discours de vérité sur l’islam”, Landini y voyait un écran de fumée pour justifier des mesures liberticides. L’échange fut tendu, et Landini quitta le plateau furieux, accusant le philosophe d’alimenter un climat de peur utile au pouvoir.
    Philippe Pétain : L’Indignité de la Réhabilitation. Enfin, et de manière peut-être la plus profonde, Landini manifestait un refus absolu de tout discours tendant à relativiser la responsabilité de Philippe Pétain. Pour le résistant, le Maréchal de Vichy était “l’homme qui a signé la condamnation de mes camarades”. Lorsqu’un débat parlementaire évoque la possibilité de reconnaître le rôle de Pétain dans la Première Guerre mondiale, Landini publie un texte glaçant : “Honorer celui qui a livré nos camarades à la Gestapo… ceux qui le réhabilitent aujourd’hui insultent nos morts.” Sa position était claire : “Ceux qui veulent blanchir Vichy insultent nos morts.” Ce qui frappait dans ces prises de position, c’était leur constance et leur radicalité. Même à plus de 90 ans, Léon Landini continuait de signer des tribunes, d’écrire aux ministres, et de participer à des colloques universitaires. Il n’y avait aucune aigreur personnelle dans ses propos, mais une fidélité inébranlable à des principes. Là où d’autres ont évolué, tempéré, ou renoncé, lui est resté droit.

La Solitude d’une Sentinelle de l’Histoire

Ce refus du compromis le rendit à la fois admiré et isolé. Ses adversaires idéologiques ne lui répondaient plus ; ils l’ignoraient, le laissaient parler dans le vide, espérant que le temps finirait par faire taire cette voix incommode. Les dernières années de Léon Landini furent marquées par une solitude à la fois choisie et imposée. Vivant dans une maison simple près de Nice, il poursuivait ses engagements à distance, répondant aux sollicitations par courriel ou par lettre manuscrite, mais sans plus apparaître en public. Le monde avait changé, et les médias ne tendaient plus le micro aux anciens résistants que pour des commémorations “stériles”. Landini, lui, ne voulait pas être un témoin muet ; il refusait les cérémonies sans discours, les hommages creux, les médailles données par des gouvernements qu’il réprouvait.

“Ce n’est pas la notoriété que je cherche, mais la vérité,” avait-il dit à un journaliste. Ce qu’il redoutait par-dessus tout, c’était l’effacement progressif de l’histoire réelle. Il répétait souvent que les plus jeunes finiraient par croire que la Résistance avait été une aventure consensuelle, que les collabos n’avaient été qu’une poignée honteuse, et que la mémoire officielle ferait de Pétain un vieux monsieur mal compris. Ces perspectives l’insupportaient. Il ne supportait pas la banalisation des discours racistes ni le relativisme face à la violence d’État. Il refusait les invitations à débattre avec des figures du Rassemblement national : “Je ne dialogue pas avec ceux qui veulent effacer mes morts,” avait-il écrit à un producteur de télévision.

Une Mort Silencieuse, un Leg Retentissant

En 2018, alors que l’Assemblée nationale rendait un hommage officiel aux derniers survivants de la Résistance, Landini ne fut pas invité, son nom pas même mentionné. Une omission ou une mise à l’écart volontaire ? Il écrit alors une lettre poignante à ses anciens camarades : “Ce n’est pas moi qu’ils veulent faire taire, c’est ce que nous avons été. Ils peuvent m’oublier, mais tant qu’il me restera une voix, je parlerai.”

Le 21 septembre, à l’âge de 99 ans, Léon Landini s’est éteint dans le calme absolu de sa maison de Saint-Laurent-du-Var. Aucune alerte presse, aucun bandeau défilant à la télévision. Seuls quelques sites militants relayèrent brièvement la nouvelle : “Le dernier FTP-MOI s’en est allé.” Il était seul, sans témoin, dans une pièce modeste où trônaient encore des affiches de la Résistance, des portraits de ses camarades fusillés et un petit poste de radio. Ses voisins, ne l’ayant pas vu sortir depuis trois jours, prévinrent les autorités. Les secours le trouvèrent allongé, un livre ouvert sur la poitrine – une biographie de Missak Manouchian. Aucune famille proche ne se manifesta immédiatement ; Léon Landini n’avait ni enfant ni conjoint vivant. Sa vie, il l’avait donnée à un combat, et ce combat l’avait accompagné jusqu’au bout.

Le jour de l’enterrement, seule une vingtaine de personnes se réunirent au cimetière : d’anciens camarades, des historiens engagés, un ou deux journalistes indépendants. Aucun représentant de l’État, pas de drapeau officiel, pas de discours de ministre. Un jeune militant lut un extrait de ses lettres publiques : “Je ne pardonne pas à ceux qui réécrivent l’histoire, je ne pardonne pas à ceux qui taisent les noms des bourreaux.”

La mort silencieuse de Léon Landini, loin des caméras, pose une question dérangeante : pourquoi certains héros disparaissent-ils sans hommage, alors que d’autres, moins irréprochables, sont célébrés avec faste ? Est-ce la radicalité de ses convictions qui a effrayé la République, ou bien avons-nous collectivement préféré oublier les figures trop dérangeantes ? Le patrimoine de Léon Landini n’est pas un héritage matériel, mais un legs moral. Il nous oblige, il nous rappelle que la vérité historique ne se plie pas aux modes politiques, que le devoir de mémoire ne s’accommode pas de l’amnésie sélective. À travers ses combats, il a incarné une fidélité sans concession à des principes que notre époque peine à porter haut.

Faut-il tout pardonner au nom de l’unité nationale ? Le silence d’État vaut-il l’absolution de l’histoire ? Et surtout, à force d’ignorer ceux qui ont résisté pour nous, ne sommes-nous pas en train de perdre la boussole morale de notre pays ? Léon Landini repose en paix, sans mausolée ni plaque dorée, mais avec l’intégrité intacte de ceux qui n’ont jamais renoncé. Il laisse une mémoire indocile, une voix que rien n’a pu faire taire, une interpellation puissante à la conscience collective.

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