Pour des millions de fans à travers le monde, elle était “Simply the Best”. Tina Turner, la Reine du Rock ‘n’ Roll, incarnait une énergie brute, une résilience à toute épreuve et un succès planétaire. Avec ses jambes assurées pour des millions, sa voix rocailleuse et ses performances scéniques électrisantes, sa vie semblait être le triomphe ultime sur l’adversité. Mariée à l’homme merveilleux qu’était Erwin Bach, vivant paisiblement dans un manoir en Suisse, tout laissait croire qu’elle avait enfin trouvé le bonheur parfait après une vie de combats.

Mais sous cette façade scintillante se cachait une réalité bien plus sombre. Près d’un an après son décès, son mari, Erwin Bach, se confie enfin, confirmant les rumeurs qui circulaient sur les luttes intenses que Tina a menées dans l’ombre, loin des projecteurs. Ses confessions dessinent le portrait d’une femme qui n’a jamais, jamais cessé de se battre, même lorsque son corps la trahissait de la manière la plus cruelle.

L’histoire d’amour entre Tina et Erwin Bach était celle d’un conte de fées moderne. Ils se sont rencontrés en 1986, et leur relation, qui a duré plus de trois décennies, semblait être la récompense paisible qu’elle méritait tant. Leur mariage en 2013, dans leur somptueuse demeure au bord du lac de Zurich, devait sceller cette union idyllique. Mais le destin, implacable, a frappé presque immédiatement.

Seulement trois semaines après avoir dit “oui”, Tina a été victime d’un AVC sévère. La femme qui avait dansé sur toutes les scènes du monde se retrouvait incapable de marcher. Ce fut sa première grande bataille de fin de vie. Avec la détermination qui la caractérisait, elle a dû tout réapprendre, pas à pas, soutenue par un Erwin dévoué. Mais ce n’était que le début d’une série d’épreuves médicales terrifiantes.

En 2016, le diagnostic est tombé : cancer intestinal. Face à cette nouvelle, Tina, méfiante de la médecine conventionnelle après tant de traumatismes, a d’abord opté pour des traitements homéopathiques. Malheureusement, cette décision a eu des conséquences désastreuses, provoquant une insuffisance rénale sévère. Ses reins lâchaient.

La situation est devenue si désespérée que Tina, vivant en Suisse, un pays où le suicide assisté est légal, a commencé à l’envisager. Elle s’est inscrite auprès d’une organisation, se préparant au pire, ne voulant pas vivre une vie branchée à des machines. C’est à ce moment précis, alors qu’elle touchait le fond du désespoir, qu’Erwin Bach a prouvé la profondeur de son amour. Dans un acte d’une générosité absolue, il lui a offert un de ses reins.

La greffe, qui a eu lieu en 2017, a été un succès. “Tina portait littéralement une partie de son mari en elle”, un symbole puissant de leur lien indéfectible. Ce sacrifice ultime d’Erwin a non seulement sauvé la vie de Tina, mais il a aussi mis en lumière la gravité de son état, une réalité qu’elle avait largement gardée privée.

Cette résilience face à la mort n’était pas nouvelle. Elle était l’aboutissement d’une vie entière passée à survivre. Née Anna Mae Bullock le 26 novembre 1939, dans le Tennessee, sa vie a commencé dans la pauvreté. Métayère, elle cueillait le coton aux côtés de ses parents. L’instabilité a commencé tôt, lorsque ses parents l’ont laissée, elle et ses sœurs, chez des grands-parents stricts pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le traumatisme fondateur est survenu à l’âge de 11 ans. Sa mère, fuyant une relation abusive avec son père, a brusquement abandonné la famille. Tina s’est sentie “profondément non désirée et non aimée”, une blessure qui ne se refermera jamais tout à fait. Peu de temps après, son père s’est remarié et a déménagé, laissant une fois de plus les enfants derrière lui. Ces abandons successifs ont forgé en elle une indépendance féroce. La tragédie a encore frappé lorsque sa demi-sœur et deux cousins sont morts dans un accident de voiture.

Arrivée à Saint-Louis à l’adolescence, elle a rencontré l’homme qui allait à la fois créer sa légende et presque la détruire : Ike Turner. Fascinée par son groupe, la jeune Anna Mae, alors âgée de 18 ans, a saisi un micro pendant une pause et a ébloui Ike. Il l’a prise sous son aile, mais cette protection avait un prix. Avant même leur relation amoureuse, elle est tombée enceinte du saxophoniste du groupe, Raymond Hill, qui l’a abandonnée à son tour. Sa mère, horrifiée, l’a mise à la porte. C’est Ike qui lui a offert un toit.

Leur relation professionnelle est devenue un succès fulgurant avec “A Fool in Love”. C’est là qu’Ike a créé “Tina Turner”, allant jusqu’à déposer la marque. Ce n’était pas un cadeau ; c’était une chaîne. Il lui a dit que s’il elle partait, il la remplacerait par une autre “Tina Turner”.

Leur mariage en 1962 à Tijuana a donné le ton. Au lieu d’une nuit de noces, Ike l’a emmenée dans un bordel pour assister à un spectacle. La violence est rapidement devenue son quotidien. La première fois qu’elle a exprimé une réticence, il l’a frappée avec un tendeur à chaussures en bois. Elle est souvent montée sur scène avec des lèvres contusionnées et des yeux au beurre noir, cachant sa douleur derrière un sourire et une énergie frénétique. L’infidélité constante d’Ike, sa toxicomanie et son contrôle total ont poussé Tina à bout. En 1968, elle a tenté de mettre fin à ses jours en avalant une surdose de Valium.

Le point de rupture est arrivé en 1976 à Dallas. Après une énième dispute violente, alors qu’Ike la battait, elle a trouvé le courage de s’enfuir. En sang, avec seulement 36 centimes et une carte de crédit de station-service en poche, elle a couru à travers une autoroute pour trouver refuge.

Son divorce, finalisé en 1978, l’a laissée sans rien, ou presque. Elle a renoncé à tout – l’argent, les droits d’auteur – ne demandant que deux voitures Jaguar et, surtout, le droit de garder son nom. Ce nom, “Tina Turner”, qu’Ike avait créé pour la contrôler, est devenu son arme de libération.

La décennie suivante a été une traversée du désert. Elle était considérée comme une “relique du passé”, jouant dans des cabarets et des petits clubs. Elle vivait de bons alimentaires, terrorisée par les hommes de main d’Ike qui tiraient sur sa maison. C’est durant cette période sombre qu’elle a trouvé la force dans le bouddhisme, une pratique spirituelle qui l’a guidée et lui a donné la clarté nécessaire pour continuer.

Le retour a été lent, mais spectaculaire. Saisissant l’opportunité de l’ère MTV, elle a commencé à reconstruire sa carrière, d’abord en Europe où elle était immensément populaire. Puis, en 1984, à l’âge de 45 ans, est arrivé l’album “Private Dancer”. Ce fut un raz-de-marée mondial. Des tubes comme “What’s Love Got to Do with It” l’ont propulsée au sommet, faisant d’elle l’une des plus grandes stars de la planète. Elle avait non seulement survécu, elle avait triomphé.

Même au sommet de sa gloire, elle restait humble, voire complexée, disant souvent qu’elle était “bâtie comme un poney” et qu’elle ne ferait pas tourner une seule tête dans sa ville natale. Le monde, lui, était à ses pieds.

Sa rencontre avec Erwin Bach en 1986 a été le début de son chapitre le plus paisible. Pourtant, même là, la tragédie n’était jamais loin. En 2018, alors qu’elle se remettait à peine de sa greffe de rein, son fils aîné, Craig – celui qu’elle avait eu avant Ike – s’est suicidé. Une douleur immense, un deuil de plus à porter.

La mort de Tina Turner le 24 mai 2023, à 83 ans, a choqué le monde. Mais au vu des révélations d’Erwin Bach, l’étonnant n’est pas qu’elle soit partie, mais qu’elle ait tenu si longtemps. Ses derniers jours ont été paisibles, dans son manoir suisse, avec une pancarte sur sa porte qui disait : “Ne sonnez pas avant midi”.

Les confessions d’Erwin Bach ne sont pas de simples anecdotes ; elles redéfinissent son héritage. Tina Turner n’était pas seulement une icône du rock. Elle était une guerrière qui a combattu l’abandon, la violence conjugale, le racisme, l’âgisme, un AVC, un cancer et une insuffisance rénale. Et à chaque fois, elle a trouvé la force de se relever. Son mari, par son silence respectueux puis par son sacrifice ultime, a été le gardien de cette force incroyable. Elle était, et restera, tout simplement la meilleure.