Le “Grand Détournement” : Comment 270 Milliards d’Euros de Fonds Publics Sont Captés par les Milliardaires et Multinationale, Révèle une Enquête Choc

Dans un pays où la dette publique atteint des sommets vertigineux, où les services publics peinent à maintenir leur niveau de performance, et où chaque citoyen est appelé à la rigueur budgétaire, une enquête retentissante vient bousculer les certitudes et soulever une question brûlante : l’argent de nos impôts est-il réellement utilisé pour le bien commun, ou est-il en partie “détourné” au profit des plus grandes fortunes et des multinationales ? C’est la question que posent Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre dans leur livre-enquête explosif, “Le grand détournement : comment milliardaires et multinationales captent l’argent de l’État”, qui décrit ni plus ni moins qu’un “hold-up” de 270 milliards d’euros, une somme colossale qui se volatilise chaque année.

Matthieu Aron, grand reporter à la Nouvelle HS, déjà connu pour son travail sur “Les infiltrés” et l’influence des cabinets de conseil sur l’État, revient avec sa co-autrice Caroline Michel-Aguirre sur un sujet encore plus effarant. Leur point de départ est simple et interpellant : comment se fait-il que, malgré un niveau d’imposition élevé, nos services publics souffrent et l’État soit si lourdement endetté ? En plongeant dans les comptes publics et en suivant la piste de nos impôts, les auteurs ont mis en évidence une ligne budgétaire souvent ignorée, mais aux montants gigantesques : les aides aux entreprises. En additionnant et en reconstituant le puzzle, ils sont arrivés à ce chiffre astronomique de 270 milliards d’euros, déroutés par an, en 2023, selon les derniers chiffres disponibles.

Aides aux entreprises : "On ne mesure jamais leur efficacité réelle",  affirment Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre | France Inter

L’Opacité d’un Système à 270 Milliards d’Euros par An

Comment expliquer une telle somme ? Les auteurs décomposent ce montant en trois tiers principaux. Le premier tiers concerne la “baisse ou la réduction des cotisations patronales” : les employeurs paient moins, et c’est l’État qui compense. Le deuxième tiers est constitué de “réductions fiscales”, les fameuses niches fiscales pour les entreprises. Enfin, le troisième tiers, le plus opaque, est un ensemble de “subventions et de soutiens financiers”. Ce dernier segment est si complexe que même les fonctionnaires le décrivent comme une “jungle”, avec pas moins de 2200 dispositifs différents.

Ce qui frappe le plus les enquêteurs, et qui constitue le cœur de leur dénonciation, c’est l’absence quasi totale de contrôle et d’évaluation de ces aides. “Ces aides ne sont absolument pas contrôlées, on ne mesure jamais si elles sont efficaces,” s’indigne Matthieu Aron. Une situation qu’il qualifie de “quasi démocratique”. L’opacité est telle que l’on ne sait pas quelles aides fonctionnent et lesquelles sont inutiles. Caroline Michel-Aguirre le souligne : “On ne peut pas dire ce qui marche ou ce qui ne marche pas.”

Cette absence d’évaluation globale signifie que, si certaines petites et moyennes entreprises (PME) ou startups ont légitimement besoin de ces aides, d’autres en bénéficient de manière discutable. Des multinationales réalisant des bénéfices colossaux, payant parfois peu ou pas d’impôts en France, voire délocalisant leurs activités après avoir été aidées, profitent de ce système sans qu’aucun bilan ne soit dressé. Une commission d’enquête parlementaire du Sénat, dont les auteurs ont écouté 87 heures d’auditions, a confirmé ce constat d’impuissance des fonctionnaires à fournir des chiffres précis, parlant d’un “maquis”.

Les Géants du CAC 40, Grands Bénéficiaires

L’enquête ne se contente pas de chiffres globaux, elle pointe du doigt des exemples concrets, révélant comment des entreprises emblématiques bénéficient de sommes considérables.

STM Microélectronique : Ce géant des semi-conducteurs, basé en Suisse, a perçu 487 millions d’euros d’aides en 2023, alors qu’il n’a payé que 100 000 euros d’impôts en France la même année. Un décalage flagrant qui soulève des questions sur la pertinence de ces soutiens.

Michelin : Le célèbre fabricant de pneumatiques aurait touché 130 millions d’euros d’aides, tout en annonçant des licenciements. Un paradoxe qui a conduit les auteurs à s’interroger sur la destination réelle de ces fonds. En réalité, une partie des subventions de Michelin a servi à acheter des machines-outils performantes pour une usine en Vendée, machines qui se sont retrouvées en Roumanie ou en Espagne après la fermeture de l’usine. Face à cette révélation, le PDG de Michelin, “très embêté” devant la commission d’enquête, se serait même engagé à rembourser ces sommes.

LVMH et Bernard Arnault : Le cas le plus emblématique, et peut-être le plus choquant, est celui de LVMH, le groupe de luxe dirigé par Bernard Arnault, la première fortune de France. L’entreprise aurait perçu 275 millions d’euros d’aides publiques, alors qu’elle réalisait 15,2 milliards d’euros de bénéfices nets la même année. Ce chiffre, selon les auteurs, “aurait dû être gravé au front du palais du Luxembourg.”

Face à ces accusations, LVMH a répondu en affirmant que ces 275 millions d’euros doivent être mis en perspective avec les 3 milliards d’euros d’impôts que le groupe paie chaque année, se positionnant régulièrement parmi les plus grands contributeurs fiscaux en France. Cependant, pour Matthieu Aron, la question n’est pas la légalité, mais la “légitimité”. LVMH, avec 15 milliards d’euros de bénéfices et 6,8 milliards de dividendes versés à ses actionnaires (dont 3 milliards pour Bernard Arnault seul), a-t-il réellement besoin de ces 275 millions d’euros d’aides ? La question est d’autant plus pertinente “à un moment où tout le monde doit se serrer la ceinture.”

Le Grand Détournement de la TVA : Qui Paie la Facture ?

Un des aspects les plus déroutants de cette enquête est la manière dont ces aides sont financées. Les auteurs révèlent que les 270 milliards d’euros ne sortent pas de nulle part : “C’est nous les impôts,” affirme Matthieu Aron. Plus précisément, la réduction des cotisations patronales, dont bénéficie majoritairement LVMH, est compensée par une part de la TVA. Une “partie de la TVA a été détournée de sa fonction initiale qui était de payer les services publics français pour la prendre, pour compenser la baisse des cotisations patronales.”

Concrètement, cela signifie que lorsque vous achetez une paire de chaussures, une partie de la TVA que vous payez sert à financer les cotisations patronales des entreprises en France. Un mécanisme de “grand détournement” que la plupart des Français ignorent, et que les auteurs eux-mêmes ont mis du temps à comprendre.

Un Choix Politique Hors de Contrôle, Amplifié par Macron

Pourquoi un tel système a-t-il été mis en place et est-il laissé sans contrôle ? Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre expliquent qu’il s’agit d’un “choix politique” initié il y a une dizaine d’années, visant à “baisser le coût du travail” et à “stimuler l’activité en injectant” de l’argent. C’est ce que l’on appelle la “politique de l’offre”, basée sur la théorie du “ruissellement” : aider les entreprises en espérant que la richesse ruisselle ensuite sur l’ensemble de la société.

Ce système, déjà existant, s’est “accéléré” sous la présidence d’Emmanuel Macron, même s’il était déjà “assez hors de contrôle avant”. En 20 à 25 ans, les dépenses sont passées de 30 milliards à près de 300 milliards d’euros, sans qu’il y ait une “expertise de la pertinence de chaque dépense.”

Le problème, c’est que cette politique n’a pas vraiment marché. Les auteurs citent l’exemple du CICE (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi), mis en place sous François Hollande et amplifié par Emmanuel Macron, atteignant 90 milliards d’euros par an. Une étude de 2024 a montré qu’à court terme, cela avait créé environ 100 000 emplois, mais qu’à long terme, cela ne fonctionne plus. Et le plus grave, c’est qu’une fois mis en place, ces dispositifs sont devenus impossibles à “débrancher”, s’accumulant et contribuant à la dette abyssale de la France.

Un Mensonge d’État et des Risques Constitutionnels

L’enquête révèle également un malaise profond au sein même du gouvernement concernant l’état réel des finances publiques. Michel Barnier, l’actuel Premier ministre, a publiquement interpellé son prédécesseur, Gabriel Attal, sur le déficit qu’il a trouvé en arrivant. Les auteurs ont eu accès à une lettre “secrète”, signée de la main de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie pendant sept ans, datée du 6 avril 2024 et adressée à Emmanuel Macron. Dans cette lettre, Bruno Le Maire “implore pratiquement le chef de l’État de dire enfin la vérité” aux Français, demandant une “opération vérité” et une imposition des “superprofits” avant les élections européennes, afin d’éviter les accusations d’”insincérité.”

Pourtant, la vérité n’a pas été dite. Les Français ont voté deux fois – aux européennes puis aux législatives après la dissolution – “sans connaître l’état réel de nos finances publiques.” Ce n’est que trois mois plus tard, en octobre, que l’on a appris que le déficit atteignait 6%, une situation “hors de contrôle.” Les hauts fonctionnaires du ministère des Finances auraient même eu “quasiment les larmes aux yeux” en présentant le budget à la Cour des comptes, sachant que les présentations n’étaient pas “honnêtes.” C’est un “choix politique” de ne pas dire la vérité, un choix lourd de conséquences, qui, selon Bruno Le Maire, pourrait même entraîner des “risques constitutionnels.”

“Le grand détournement” est plus qu’un simple livre-enquête ; c’est un cri d’alarme sur un système opaque et potentiellement dangereux pour la démocratie et les finances publiques françaises. Il met en lumière l’urgence de revoir en profondeur la politique d’aides aux entreprises, d’exiger une transparence et une évaluation rigoureuses, et de garantir que l’argent des contribuables serve réellement l’intérêt général. La balle est désormais dans le camp du gouvernement et des citoyens, qui, armés de ces révélations, peuvent exiger des comptes et un changement de cap.

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