Dans le théâtre tendu et souvent imprévisible de la communication politique, certaines phrases, à peine prononcées, provoquent l’effet d’une déflagration. Elles exposent une faille, un décalage, une incompréhension si profonde entre les dirigeants et le peuple qu’elles en deviennent instantanément virales et symboliques. Brigitte Macron, Première dame habituée à une communication maîtrisée, vient d’en faire l’amère expérience. Interrogée sur l’extrême difficulté à faire accepter la très contestée réforme des retraites, sa réponse a laissé la nation sidérée : elle a comparé l’effort demandé… à la crise du Covid-19.

“Moi tout ce que je peux dire c’est que les Français dans la difficulté ont toujours réagi positivement”, a-t-elle commencé, avant de poursuivre sur un terrain glissant. “Si je prends le Covid, la manière dont ils ont réagi sur les gestes barrières, sur le confinement… les Français se sont toujours adaptés.” La conclusion de ce parallèle est implicite, mais assourdissante : si le peuple a pu supporter une pandémie mondiale et la privation de ses libertés fondamentales, il peut bien accepter de travailler deux années supplémentaires.

C’est ce qu’on appelle un dérapage. Un “dérapage” non pas au sens d’un écart de langage vulgaire, mais au sens d’une perte totale de contact avec la réalité du sentiment populaire. La vidéo de cet échange, où l’on voit le visage incrédule du journaliste qui l’interroge, résume à elle seule la pensée de millions de Français. La logique est, en effet, tout sauf “impeccable”. Elle est même perçue comme une provocation, un signe de mépris pour les sacrifices passés et les angoisses présentes.

Pour comprendre l’ampleur de la polémique, il faut déconstruire cette comparaison. D’un côté, le Covid-19. Une crise sanitaire mondiale, soudaine, imprévisible. Un ennemi invisible qui a fauché des vies et mis l’économie mondiale à genoux. Le confinement, les masques, les gestes barrières n’ont pas été un “choix”. Ils ont été une nécessité subie, un effort de guerre collectif pour sauver des vies, basé sur un impératif de santé publique et une forme d’unité nationale face à l’inconnu. Les Français se sont adaptés, certes, mais dans la douleur, l’anxiété et avec le sentiment d’un sacrifice partagé pour un bien commun supérieur : la survie collective.

De l’autre côté, la réforme des retraites. Qu’on soit pour ou contre, elle n’a rien d’une fatalité virale. C’est un choix politique, économique et social. Un choix porté par un gouvernement, contesté par tous les syndicats et par une majorité écrasante de la population, comme le rappelle le journaliste (“Mais là sur la retraite, ils sont majoritairement contre, hein”). Mettre sur le même plan une pandémie mortelle et une réforme structurelle visant à équilibrer les comptes (un objectif lui-même débattu) est une faute de communication majeure.

Là où le Covid exigeait une solidarité passive (rester chez soi), la réforme exige un effort actif et permanent (travailler plus longtemps) dont les bénéfices ne sont pas immédiatement visibles, si ce n’est pour la “soutenabilité du système”. Suggérer que l’obéissance sanitaire d’hier devrait justifier l’acceptation politique d’aujourd’hui est perçu comme une manipulation de la mémoire collective. C’est oublier les “gilets jaunes”, les grèves massives, et la défiance croissante envers une verticalité du pouvoir qui avait déjà été critiquée pendant la gestion de la pandémie.

Mais la “masterclass”, comme la surnomment ironiquement les internautes, ne s’arrête pas là. Dans la foulée, Brigitte Macron tente d’adresser un message d’espoir à la jeunesse, visiblement consciente de leur angoisse principale. “Ce que me disent les plus jeunes”, confie-t-elle, “c’est qu’ils me disent ‘Nous, de toute façon, on n’aura pas de retraite’”.

C’est le reflet d’une anxiété générationnelle profonde, d’une rupture du pacte social où les jeunes ont le sentiment de payer pour un système dont ils ne bénéficieront jamais pleinement. La réponse de la Première dame se veut rassurante : “Donc moi ce que j’ai envie de dire aux jeunes, tout est fait pour que vous ayez une retraite.”

Là encore, la communication échoue. Au lieu de rassurer, la phrase sonne creux. Elle est perçue comme une formule convenue, une caresse sur la tête d’une génération qui ne demande pas des promesses, mais des garanties structurelles. Le commentaire sarcastique qui fuse dans la vidéo – “On vous prend pour des cons et ça vous va” – illustre parfaitement le cynisme ambiant. La jeunesse n’est pas “contre” la retraite par principe ; elle est sceptique quant à sa propre capacité à l’atteindre après une vie de carrières hachées, de précarité et, désormais, un horizon repoussé.

Ce double raté expose une déconnexion profonde. Le rôle d’une Première dame est complexe. Elle n’est pas élue, elle n’est pas aux commandes, mais chaque mot qu’elle prononce est politique. Elle est censée incarner le “soft power”, l’empathie, le lien humain que la rigidité de la fonction présidentielle peine parfois à établir. Quand ce lien se brise, quand la Première dame elle-même semble réciter les éléments de langage du pouvoir exécutif, le sentiment d’être “pris pour des cons” se généralise.

La réaction ne s’est pas fait attendre. En quelques heures, les réseaux sociaux se sont enflammés, le mot “dérapage” s’affichant en tendance. Les oppositions politiques, de gauche comme de droite, se sont emparées de l’occasion pour dénoncer “l’indécence” et la “déconnexion totale” de l’Élysée. Ce n’est plus seulement la réforme qui est attaquée, c’est l’arrogance perçue de ceux qui la défendent, de ceux qui, depuis leur “tour d’ivoire”, semblent ne pas comprendre la fatigue d’un peuple.

Car c’est bien de fatigue qu’il s’agit. Une fatigue post-pandémique, une fatigue inflationniste, une fatigue démocratique. Les Français ont le sentiment d’avoir déjà “donné” – leur liberté pendant le Covid, leur pouvoir d’achat face à l’inflation. Demander “2 ans de plus” dans ce contexte, c’est l’effort de trop. Utiliser le Covid comme levier de justification, c’est la provocation de trop.

En fin de compte, cette simple phrase, “Après 2 ans de masque, 2 ans de travail en plus”, résume le fossé. Elle transforme un débat économique complexe en une transaction punitive. Elle ignore la colère sociale qui a paralysé le pays pendant des mois, les manifestations historiques, le recours à l’article 49.3 pour faire passer la loi sans vote. Elle balaie d’un revers de main la légitimité de l’opposition populaire au nom d’une “capacité d’adaptation” dont les Français estiment avoir déjà trop fait la preuve.

Brigitte Macron a peut-être voulu bien faire, tenter d’apaiser, de replacer l’effort dans une perspective historique de résilience nationale. Mais elle a touché un nerf à vif. Elle a rappelé aux Français non pas leur force, mais leur lassitude, et le sentiment que les efforts, en fin de compte, pèsent toujours sur les mêmes. Dans le climat social actuel, cette gaffe de communication n’est pas anecdotique ; elle est symptomatique d’une fracture qui ne cesse de s’élargir.