Nous sommes le 13 janvier 2013. Sur le célèbre canapé rouge de Michel Drucker, l’ambiance est électrique, chargée d’une émotion palpable. L’invitée principale est une icône, une légende vivante, l’Anglaise préférée des Français : Jane Birkin. Mais ce jour-là, l’émission “Vivement Dimanche” ne sera pas une simple rétrospective. Elle va devenir un document historique, un moment de télévision si rare qu’il en est presque irréel. “On ne les voit jamais ensemble”, lance Michel Drucker pour annoncer la surprise. Et la surprise est de taille : pour la première fois, le clan Birkin est au complet. Jane est rejointe par ses trois filles : Kate Barry, Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon.

Quatre femmes, quatre artistes, quatre destins liés par le sang, l’amour, l’art, et comme elles le confesseront ce jour-là, une immense et “magique” pudeur.

Ce moment, qui capture un instantané de bonheur familial et de reconnaissance mutuelle, est devenu, avec le temps, un trésor national. Il est empreint d’une tendresse infinie, mais aussi, avec le recul, d’une poignante mélancolie. Car moins d’un an plus tard, en décembre 2013, le destin frappera tragiquement cette famille, emportant Kate Barry, l’aînée, l’œil du clan. Revoir cette émission aujourd’hui, c’est comprendre l’alchimie unique de cette dynastie d’artistes, unie sous le regard bienveillant de leur mère.

Kate Barry : L’œil discret du clan

La première à prendre la parole, c’est elle. L’aînée. La plus discrète. Kate Barry, fille du compositeur de légende John Barry (le père des musiques de James Bond) et de Jane. Ce qui frappe d’emblée, comme le souligne un blog de l’époque, c’est sa “ressemblance troublante” avec sa mère. Pourtant, Kate s’est construite en marge de l’héritage écrasant du cinéma et de la chanson.

Sur le canapé rouge, elle parle de son propre “travail”. Kate est devenue une photographe de renommée internationale. Elle évoque avec une fierté tranquille une exposition à venir à Kyoto, au Japon, le premier festival international de photographie de la ville. Elle y présentera des photos de sa famille – Charlotte, Lou, Jane – mais aussi d’autres figures comme Diane Kruger ou Sofia Coppola.

Avec une humilité désarmante, elle explique que cet art n’est pas venu naturellement. “Contrairement à Charlotte, à Lou, à toute la famille, toi la comédie, c’était pas ton truc”, lui fait remarquer Michel Drucker. “Non, non”, répond-elle doucement. Elle raconte son parcours : une école de stylisme d’abord, puis la photographie qui s’est imposée “professionnellement à l’âge de 30 ans à peu près”. Pour Kate, la photo était une continuité logique, une manière de “créer un univers autour de femmes”. Elle était l’observatrice, celle qui capturait l’émotion des autres, trouvant, comme le dit Jane, “systématiquement ce qu’il y a de plus émouvant chez quelqu’un”.

Charlotte Gainsbourg : L’héritière évidente

À côté d’elle, Charlotte Gainsbourg, l’héritière. Fille de l’union mythique de Birkin et Serge Gainsbourg, elle est celle qui a plongé le plus tôt dans l’arène familiale. Elle raconte ce qui l’a façonnée : une enfance passée dans les coulisses, sur les plateaux de tournage de ses parents. “Ils nous emmenaient sur ces plateaux et que je regardais jouer, à qui je faisais apprendre un peu son texte”, se souvient-elle. “Tous les toutes les coulisses, on y avait droit et ça m’a forcément, c’est ça qui m’a donné envie”.

Pour Charlotte, le chemin était tracé, presque évident. Elle était là, “cachée derrière la caméra”, observant, absorbant tout. De cette observation est née l’une des carrières les plus riches du cinéma et de la chanson française. Cette émission de 2013 la montre comme le pilier central entre ses deux sœurs, le pont entre la discrétion de Kate et l’énergie nouvelle de Lou. Des années plus tard, c’est elle qui reprendra la caméra, non plus cachée, mais pour filmer sa mère dans le documentaire poignant “Jane par Charlotte”, continuant ce dialogue intime commencé sur les tournages de son enfance.

Lou Doillon : La voix qui s’est fait attendre

Et puis, il y a la benjamine, Lou Doillon, fille du réalisateur Jacques Doillon. En ce début 2013, elle est la révélation. Après des années à être “la fille de” et une carrière d’actrice et de mannequin, Lou a enfin osé. Elle s’est lancée dans la chanson. Et quel lancement ! Michel Drucker annonce fièrement qu’elle est nommée deux fois aux Victoires de la Musique pour son premier album, “Places”.

Elle interprète d’ailleurs une chanson en direct, en anglais. Mais ce qui touche, c’est sa confession. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? “Il y avait peut-être aussi une trouille”, avoue-t-elle, un “mélange de choses”. Elle explique qu’elle écrivait seule, et que cela lui “faisait beaucoup de bien déjà comme ça”, sans “une envie d’y aller pour de vrai”. C’est cette “pudeur”, ce mot qui revient sans cesse, qui l’a retenue. Elle qui, ironiquement, possède une voix si singulière, presque cassée, due, comme elle le révélera plus tard, à une malformation des cordes vocales appelée “kissing nodules”. Ce défaut est devenu sa plus grande force.

“Une pudeur qui est assez magique”

Au-delà des carrières individuelles, ce qui émane de ce canapé rouge, c’est un amour collectif. Mais un amour pudique. “Il y a une pudeur qui est assez magique”, analyse un des participants de l’émission, “et je pense que ça peut tenir d’ailleurs que comme ça”. C’est peut-être là le secret du clan Birkin. Dans un monde d’ego surdimensionnés, cette famille d’artistes a survécu grâce à un respect mutuel et une discrétion qui force l’admiration.

Chacune a trouvé sa voie sans empiéter sur celle de l’autre. Kate a choisi l’image fixe, Charlotte l’image en mouvement et l’héritage musical, Lou la scène rock. Et Jane, au centre, les regardant avec une fierté qui déborde.

Cette émission du 13 janvier 2013 n’était pas un simple “Vivement Dimanche”. C’était un portrait de famille, une capsule temporelle. C’était la capture d’un moment d’équilibre parfait, d’un alignement des planètes où l’amour, le travail et la pudeur coexistaient en parfaite harmonie. C’était Jane, Kate, Charlotte et Lou. Ensemble. Pour une dernière fois devant les caméras. Et c’est précisément cette rareté, cette fin tragique que personne ne pouvait anticiper, qui transforme aujourd’hui cette archive en un moment de télévision absolument inoubliable et profondément émouvant.