Quand les premières notes de “Celebration” retentissent, un réflexe universel s’empare de nous. Que ce soit lors d’un mariage, d’une victoire sportive ou d’une simple fête de quartier, cet hymne de Kool & The Gang est la bande-son de la joie pure. Leur musique est synonyme de fête, de “good times”, de nuits endiablées. Pourtant, derrière les paillettes, le groove irrésistible et les sourires de façade, se cache une épopée de soixante ans marquée par des conflits internes déchirants, des tragédies personnelles et une série de pertes qui a méthodiquement décimé le groupe légendaire. L’histoire de Kool & The Gang n’est pas seulement celle d’un succès planétaire ; c’est une leçon de résilience face à une douleur presque insoutenable.
Pour comprendre l’empire, il faut revenir à ses fondations modestes. Tout commence non pas sur une piste de danse, mais dans les clubs de jazz enfumés du New Jersey au début des années 60. Deux frères, Robert et Ronald Bell, sont bercés dès leur plus jeune âge par les vinyles de Miles Davis et Dave Brubeck que leur père, boxeur professionnel et grand amateur de jazz, passe en boucle. La musique est leur échappatoire dans un quartier où les gangs font la loi. Ironiquement, c’est pour se faire respecter de ces mêmes gangs que Robert adoptera le surnom qui définira sa vie : “Kool”.http://img.youtube.com/vi/4VrJOzw3KGY/maxres1.jpg

En 1964, les frères Bell, passionnés et talentueux, s’associent à des amis du quartier : Robert “Mickens” à la trompette, Dennis “Dee Tee” Thomas au saxophone, Ricky Westfield aux claviers, George Brown à la batterie et Charles Smith à la guitare. Robert “Kool” Bell, déterminé à faire partie de l’aventure, apprendra la basse sur le tas. Ensemble, ils forment les “Jazz Birds”. Ils écument les clubs, faisant même la première partie de légendes comme Pharao Sanders. Mais le jazz, bien qu’étant leur premier amour, ne paie pas assez.
Le groupe évolue, change de nom, devient “Soul Town” pour tenter de reproduire la magie de la Motown, puis “Cool and the Flames”. Ce dernier nom pose problème : il ressemble trop aux “Famous Flames” de l’icône James Brown. Ils optent finalement pour “Kool & The Gang”. Un nom qui claque, qui impose le respect et qui annonce la couleur.
Leur premier album éponyme en 1969 est principalement instrumental, encore imprégné de leurs racines jazz. Mais la décennie 70 va les voir muter. Le funk émerge, et Kool & The Gang va en devenir l’un des piliers. L’année 1973 marque un tournant décisif avec l’album Wild and Peaceful. Le monde découvre des pépites instrumentales brutes et hypnotiques : “Funky Stuff”, “Hollywood Swinging” et, bien sûr, l’incontournable “Jungle Boogie”. Ce riff de cuivres sauvage et ce grognement (“Get down, get down!”) deviendront cultes, ressuscités des décennies plus tard par Quentin Tarantino dans Pulp Fiction. L’année suivante, “Summer Madness”, extrait de Light of Worlds, prouve leur génie mélodique. Cette piste atmosphérique et planante trouvera sa place dans deux bandes originales de films majeurs : Rocky et Saturday Night Fever.
Kool & The Gang est alors au sommet du funk. Ils sont respectés, samplés, mais il leur manque une chose pour conquérir le grand public : une voix.
À la fin des années 70, le disco domine le monde. Le manager du groupe leur suggère de trouver un chanteur principal pour franchir un nouveau cap, à l’instar de Earth, Wind & Fire ou des Commodores. Le groupe, d’abord réticent, finit par auditionner un jeune chanteur charismatique à la voix de velours : James “JT” Taylor. L’alchimie est immédiate.
Pour polir ce nouveau son, ils font appel au producteur brésilien Eumir Deodato. Son travail est chirurgical : il simplifie les arrangements, réduit la complexité jazz-funk et met la voix soyeuse de Taylor au premier plan. Le résultat est une déflagration commerciale. L’album Ladies’ Night (1979) est un triomphe. Les singles “Too Hot” et la chanson-titre, inspirée par les soirées féminines du célèbre Studio 54, deviennent des classiques instantanés.

Mais ce n’est rien comparé à ce qui arrive en 1980. L’album Celebrate! contient l’arme de destruction massive musicale : “Celebration”. Cette chanson transcende les genres, les frontières et les générations. Elle devient l’hymne mondial de la joie. L’inspiration de Ronald Bell pour ce titre est aussi profonde qu’inattendue. Converti à l’islam, il lisait le Coran lorsque son attention fut attirée par un passage décrivant Dieu annonçant aux anges la création de l’homme, et les anges célébrant cette nouvelle. Il voulut capturer ce sentiment universel de gratitude et de fête. Mission accomplie.
Les années 80 sont une suite ininterrompue de succès. “Get Down on It”, “Steppin’ Out”, “Joanna”, “Fresh”, “Misled” et la ballade intemporelle “Cherish”. Cette dernière est écrite lors d’un séjour aux Caraïbes, inspirée par un moment de plénitude familiale. Kool & The Gang est alors l’un des plus grands groupes au monde. Mais au sommet de l’Olympe, les tensions apparaissent.
En 1987, la nouvelle tombe comme un couperet : James “JT” Taylor quitte le groupe. Officiellement, la séparation est amicale, un simple désir de poursuivre une carrière solo. La réalité, révélée bien plus tard, est celle d’une lutte d’ego féroce. Taylor, devenu le visage et la voix du groupe, aurait réclamé plus de crédit pour le succès massif. Les membres fondateurs, ceux qui avaient trimé depuis les années 60, se sont sentis trahis. “C’était comme se disputer avec ses frères”, confiera Taylor, amer, expliquant qu’on lui avait fait sentir qu’il n’avait “jamais vraiment fait partie du groupe”.
Le départ de Taylor marque la fin de l’âge d’or. Le groupe continue avec de nouveaux chanteurs, mais la magie n’opère plus de la même manière. Le public s’était attaché à cette voix. Taylor reviendra pour une tournée de réunion entre 1995 et 1999, mais le cœur n’y est plus vraiment, et les succès commerciaux ne sont plus au rendez-vous.
Alors que le succès s’estompe, la tragédie, elle, frappe à la porte. Et elle va frapper fort, encore et encore. La grande famille de Kool & The Gang commence à se fissurer, non pas à cause de conflits, mais à cause de la mort.
La série noire commence en 2006 avec le décès du guitariste Charles Smith, à 57 ans. En 2010, c’est le trompettiste Robert “Mickens” qui s’éteint à 59 ans. Le tromboniste Clifford Adams, qui les avait rejoints plus tard, décède d’un cancer en 2015.
Mais le coup le plus dur reste à venir. En 2020, Ronald “Khalis” Bell, le frère de “Kool”, le cofondateur, le génie musical derrière tant de leurs hits (dont “Celebration”), meurt soudainement à 68 ans. Le pilier créatif du groupe n’est plus. Robert Bell est dévasté. Moins d’un an plus tard, en 2021, le saxophoniste Dennis “Dee Tee” Thomas, autre membre fondateur de la première heure, décède dans son sommeil à 70 ans. L’hécatombe se poursuit en 2023 avec la mort du batteur originel, George Brown, emporté par un cancer du poumon.

En l’espace de quelques années, presque tout le noyau dur, les amis d’enfance du New Jersey, a disparu. “Ça n’a pas été facile. Nous essayons de continuer, mais mon frère et Dennis étaient des piliers”, confiait un Robert Bell endeuillé à Rolling Stone.
Aujourd’hui, Robert “Kool” Bell est le dernier membre originel encore sur scène. À plus de 70 ans, il continue de porter l’héritage, de faire vivre la musique, de célébrer la vie malgré le deuil. Le groupe qui tourne aujourd’hui sous le nom de Kool & The Gang est composé de musiciens talentueux, certains étant là depuis plus de 25 ans, mais le cœur historique du groupe s’est éteint.
En 2023, pour marquer leurs 60 ans de carrière, un 34e album est sorti : People Just Wanna Have Fun. Un titre qui sonne comme un mantra, un défi lancé à la tragédie. Cet album a une saveur particulière, douce-amère : il contient certains des tout derniers enregistrements de Ronald Bell et Dennis Thomas, un adieu musical, un dernier tour de piste.
L’histoire de Kool & The Gang est celle d’un paradoxe incroyable : celle d’un groupe qui a vendu plus de 70 millions d’albums en créant la musique la plus joyeuse et la plus festive qui soit, tout en vivant en coulisses un drame humain d’une tristesse infinie. Ils nous ont appris à célébrer les bons moments, mais leur propre parcours nous rappelle la fragilité de ces moments. Et si, finalement, la plus grande leçon de Kool & The Gang n’était pas “Celebration”, mais “Cherish” ? Chérir l’instant présent, chérir ceux qu’on aime, avant que la musique ne s’arrête.
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