Il y a des chansons qui passent, et puis il y a celles qui restent. Celles qui transcendent les générations, les origines et les parcours pour toucher directement ce que nous avons de plus universel : le cœur. “Les yeux de la mama” de Kendji Girac est de cette trempe. Bien plus qu’un simple succès commercial issu de son album “Ensemble”, ce titre est devenu un véritable phénomène de société, un hymne national dédié à toutes les mères. Lorsque le jeune prodige gitan monte sur la scène de “La fête de la chanson française” pour l’interpréter, le temps se suspend. L’émotion n’est pas feinte ; elle est brute, palpable, presque douloureuse dans sa sincérité. Car pour Kendji, cette chanson n’est pas une performance. C’est une prière, une déclaration à genoux, un hommage vibrant à celle qui est son “soleil dans l’existence” : sa mère, Carmen.

Pour comprendre la puissance de ce morceau, il faut remonter aux racines de l’artiste. Kendji Maillé, né Girac, n’est pas un produit fabriqué par l’industrie musicale. Il est l’héritier d’une culture, celle des “gens du voyage” catalans, où la famille n’est pas un concept, mais le centre de gravité de toute une vie. Avant de devenir le phénomène que la France a découvert et plébiscité lors de la troisième saison de The Voice, Kendji a grandi à Saint-Astier, en Dordogne. Sa vie se partageait entre la maison sédentaire et la caravane, toujours prête à “repartir sur les routes”, comme l’a confié son père. C’est dans ce cocon, entouré de “vingt ou cent caravanes”, au son des guitares qui se transmettent “de père en fils”, que le jeune Kendji a été façonné.

Et au cœur de ce cocon, il y avait Carmen. Sa “mama”.

“Les yeux de la mama” n’est pas une construction poétique. Chaque mot est pesé, chaque phrase est un souvenir. “Quand j’ai froid, elle se fait lumière / Comme un soleil dans l’existence / Quand j’ai mal, elle se fait prière / Elle me dit tout dans un silence”. Ces paroles, d’une simplicité désarmante, décrivent avec une justesse inouïe le don de soi d’une mère, cet amour inconditionnel qui répare, qui guide et qui protège. Kendji l’a co-écrite en pensant spécifiquement à la sienne. Il a souvent raconté en interview à quel point sa mère avait été et restait son pilier.

Dans un monde où le succès peut si facilement faire tourner les têtes, Kendji a gardé la sienne vissée sur ses épaules. Et c’est à sa mère qu’il le doit. Il raconte que, même au sommet de sa gloire, c’est elle qui le ramène à la réalité, qui le protège des “folies des grandeurs” mentionnées dans la chanson. Le succès, l’argent, les disques de platine… rien ne remplace le regard de sa mère. “Elle est la splendeur des splendeurs / Elle est la sève, elle est le miel / C’est son sang qui coule dans mes veines / Et des souvenirs par centaines”.

La charge émotionnelle de cette chanson est telle que Kendji lui-même est souvent submergé lorsqu’il la chante. Le public se souvient notamment de son passage bouleversant dans l’émission “La boîte à secrets”. Ce soir-là, pensant faire une surprise, il voit soudain sa propre mère, Carmen, accompagnée de Jenifer, sa première coach, monter sur scène pour lui chanter “Les yeux de la mama”. L’image du jeune homme, si solaire et confiant d’habitude, s’effondrant en larmes, incapable de contenir son émotion, a fait le tour du web. Elle disait tout. Elle montrait l’homme derrière l’artiste, le fils avant la star. Cet instant télévisuel a confirmé ce que des millions de gens ressentaient déjà : cette chanson est vraie.

Ce qui rend ce titre si puissant, c’est son universalité. Kendji a écrit une chanson pour sa mère, mais il a donné une voix à des millions de fils et de filles. Il a mis des mots sur un sentiment que beaucoup peinent à exprimer. “Oh mon Dieu, laissez-les-moi / Les beaux yeux de la mama / Enlevez-moi même tout le reste / Mais pas la douceur de ses gestes”. Ce refrain est un cri du cœur, une peur enfantine et éternelle de perdre son repère le plus fondamental.

Cette authenticité est la marque de fabrique de Kendji Girac. Il n’a jamais renié ses origines, bien au contraire. Il les revendique. Il parle avec fierté de sa culture gitane, de sa foi, et de ses valeurs. Dans une interview, il partageait une anecdote touchante : sa mère le surnommait “papillon” quand il était petit, à cause de ses longs cils. Des détails intimes comme celui-ci nourrissent son œuvre et créent une connexion rare avec son public. Il n’est pas une icône inaccessible ; il est ce “cousin”, ce “fils”, ce “petit-fils” que tout le monde aimerait avoir.

Sa performance à “La fête de la chanson française”, comme toutes ses interprétations de ce titre, est un moment de communion. Quand les premières notes de guitare retentissent, un frisson parcourt l’assemblée. Ce n’est plus un concert, c’est une messe. Les visages se ferment, les yeux s’humidifient. Chacun pense à sa propre mère, à celle qui est là ou à celle qui n’est plus. Kendji Girac a réussi ce tour de force : transformer une déclaration personnelle en un patrimoine émotionnel collectif.

Aujourd’hui, Kendji est lui-même devenu père. Sa fille, Eva Alba, a bouleversé sa vie et lui a inspiré d’autres chansons, comme “Eva”, où il exprime ses propres peurs et espoirs de parent. Mais cette nouvelle paternité n’a fait que renforcer sa compréhension de l’amour que lui porte sa propre mère. Il mesure désormais l’ampleur du sacrifice, de la dévotion et de la force qu’il faut pour être ce “soleil dans l’existence”.

“Les yeux de la mama” a cessé d’appartenir à Kendji Girac. Elle appartient désormais au répertoire de la chanson française, au même titre que les classiques de ses aînés. C’est une chanson qui sera chantée pendant des décennies, lors des fêtes de famille, des mariages, et, bien sûr, de la fête des Mères. Elle est la preuve que la musique, lorsqu’elle est portée par une sincérité absolue, peut devenir un baume, un réconfort, et un pont entre les cœurs.

En regardant Kendji chanter, les yeux fermés, transporté par sa propre mélodie, on ne voit plus l’artiste aux millions d’albums vendus. On voit un fils qui dit “je t’aime” à sa mère de la plus belle façon qu’il connaisse. Et en faisant cela, il nous donne à tous la permission de faire de même. Il nous rappelle qu’avant tout le reste, avant la gloire et les paillettes, il y a l’essentiel : “Elle m’a porté avant le monde / Elle me porte encore chaque seconde / Elle m’emportera avec elle / Je lui serai toujours fidèle.”