Les plateaux de télévision français sont devenus des arènes modernes, des rings où les mots sont des poings et où chaque débat est un combat pour la suprématie narrative. Dans ce colisée médiatique, peu d’affrontements ont été aussi symboliques et révélateurs que ceux opposant Olivier Véran, l’ancien ministre de la Santé devenu le visage de la gestion de crise gouvernementale, et Jordan Bardella, le président du Rassemblement National et figure montante de l’opposition. Récemment, un échange particulièrement explosif a résumé à lui seul la nouvelle grammaire politique de l’après-Covid. Acculé, Véran a tenté l’arme de disqualification massive : l’accusation d’”antivax”. Mais la réplique de Bardella, puisant dans la mémoire douloureuse des confinements, s’est avérée être un K.O. dévastateur.

Le débat, houleux dès les premières secondes, s’est immédiatement cristallisé sur la pandémie. Bardella, offensif, a ouvert les hostilités en dégainant ce que le narratif de la vidéo appelle “sa liste de la honte” contre le gouvernement. Il a frappé là où la mémoire collective saigne encore. “Cette première partie de crise, les soignants que vous avez envoyé en première ligne, ils n’avaient pas de masque !” a-t-il lancé, ravivant l’image d’une nation prise au dépourvu. “Ils n’avaient pas de protection… obligés de se mettre des sacs poubelles pour pouvoir se protéger !”.

L’attaque est chirurgicale. Elle ne vise pas seulement une erreur logistique ; elle vise la crédibilité fondamentale d’un gouvernement qui, après avoir minimisé l’utilité des masques, a présidé à une pénurie humiliante. Pour Olivier Véran, chaque mention de cette période est un rappel de l’impréparation et des contradictions qui ont marqué le début de la pandémie.

Se sentant “acculé par cette liste d’échecs”, le ministre a tenté une contre-attaque. Il a choisi de ne pas répondre sur le terrain des masques – un terrain miné – mais de déplacer le combat sur un plan moral, en utilisant l’accusation devenue l’arme atomique du débat public : “l’antivax”. Le transcript le montre sortant “la carte la plus sensible”. En qualifiant une proposition de son adversaire (non détaillée dans l’extrait, mais peu importe la proposition) de “non seulement injuste”, “contraire à la Constitution” et “pas humaine”, il a tenté de le dépeindre comme un danger pour la santé publique, un irresponsable jouant avec “nos vies”.

Cette stratégie, bien que courante, révèle une fébrilité. L’accusation d’”antivax” est devenue un anathème, une étiquette conçue pour clore le débat avant même qu’il n’ait lieu, pour disqualifier l’interlocuteur en le rangeant dans le camp des “complotistes” et des irrationnels. C’était une tentative de reprendre la hauteur morale, de se repositionner en défenseur de la science et de la vie contre l’obscurantisme. Mais Bardella n’est pas tombé dans le piège.

La séquence qui a suivi a démontré une maîtrise stratégique redoutable. Le débat a glissé (ou a été monté pour montrer) vers les thèmes de prédilection du Rassemblement National : la pauvreté, le chômage, et la priorité nationale. Bardella a martelé les chiffres d’une France qui souffre : “10 millions de pauvres, 6 millions de chômeurs, et un Français sur quatre qui n’arrive plus à se nourrir correctement”. Il a opposé cet “altruisme qui dépasse les frontières” à la nécessité de “penser d’abord aux familles françaises”. C’était le pivot classique : vous nous parlez de crises sanitaires ou internationales, nous vous parlons de la crise du portefeuille et de l’identité.

Mais le véritable coup de grâce, le “K.O. final” promis par le titre de la vidéo, est venu plus tard, sur un autre sujet, mais en utilisant la même logique. Alors que Véran (ou un contradicteur) accusait Bardella de vouloir “donner mandat à des policiers de courir après des gens qui portent le voile” – une accusation d’autoritarisme et de police des mœurs – Bardella a saisi l’ouverture.

Il n’a pas défendu la mesure. Il n’a pas nié. Il a fait ce que le narrateur appelle un coup de “mémoire”.

D’un ton glacial, il a rétorqué : “Vous avez bien couru après des gens pendant des mois pour vérifier s’ils avaient le papier sur l’attestation !”.

L’effet sur le plateau a été sismique. En une phrase, Bardella a retourné l’accusation d’autoritarisme contre son émetteur. Il a continué, implacable : “…pour pouvoir sortir et pouvoir respirer 5 minutes dans la rue !”. La formule est brillante. Elle ne parle pas de confinement, elle parle de “respirer”, un besoin fondamental que le gouvernement avait soumis à une “attestation” bureaucratique. “Donc c’est pas à vous,” a-t-il conclu, “quand il s’agissait d’enfermer 4 millions…”.

C’est là que réside le génie tactique de ce K.O. Bardella a transformé la gestion de crise de Véran, autrefois présentée comme une nécessité scientifique et responsable, en une preuve d’hypocrisie autoritaire. Il a dit à Véran : “Comment osez-vous me faire la leçon sur la liberté et le contrôle policier, vous qui avez présidé au plus grand contrôle de masse de l’histoire récente ? Vous qui avez demandé aux Français un papier pour aller acheter du pain ?”

Cette réplique a touché une corde sensible non seulement chez l’adversaire, mais chez des millions de Français. Elle a validé le ressentiment de ceux qui se sont sentis infantilisés, contrôlés et punis pendant des mois. Elle a rappelé que la “gestion sanitaire” avait eu un coût immense en termes de libertés individuelles, un coût que beaucoup n’ont pas oublié.

Comme le conclut le narrateur de la vidéo, “le débat politique ressemble souvent à une partie d’échecs où la mémoire est la meilleure des stratégies”. Cet échange en est l’illustration parfaite. Olivier Véran est, et restera sans doute, politiquement enchaîné à la mémoire des attestations, des confinements et du pass vaccinal. Il a beau tenter de se positionner en humaniste ou en rationaliste, son adversaire pourra toujours lui opposer le souvenir de ces “sacs poubelles” et de ces “5 minutes pour respirer”.

Cet affrontement montre que la crise du Covid-19 est loin d’être un chapitre clos. Elle est devenue un arsenal politique inépuisable. Pour le gouvernement et ses représentants, c’est un bilan à défendre, une période où des “vies ont été sauvées”. Pour l’opposition, c’est une mine d’or d’exemples d’échecs, d’arrogance et d’hypocrisie.

L’accusation d’”antivax” lancée par Véran était une tentative de clore le débat moralement. La réponse de Bardella sur l’attestation était une manière de le rouvrir brutalement, en rappelant que la morale, en politique, est souvent une question de perspective, et que celui qui contrôle le passé – ou du moins, la mémoire du passé – contrôle souvent le présent. Dans cette arène, ce soir-là, Bardella n’a pas seulement gagné un point ; il a infligé un K.O. en rappelant à son adversaire que les Français n’ont pas la mémoire courte.