Il est des destins qui ressemblent à des montagnes russes, où les sommets vertigineux de la gloire côtoient les abîmes les plus sombres de la tragédie humaine. Jean-Marie Bigard, l’homme qui a fait rire la France entière, celui qui a rempli le Stade de France, n’échappe pas à cette règle cruelle. À 70 ans, l’heure n’est plus aux blagues, mais aux aveux. Et la réalité, crue, dévoilée par ses proches et par lui-même, est celle d’une vie bien plus “misérable” et douloureuse que l’on ne pouvait l’imaginer.

L’image publique est tenace : celle d’un “beauf” sympathique ou vulgaire selon les avis, d’un gueulard invétéré, d’un colosse insubmersible. Pourtant, lorsque les projecteurs s’éteignent, le colosse a les pieds d’argile. Récemment, les confidences se sont multipliées, dessinant le portrait d’un homme hanté par le passé, miné par la maladie et rongé par une solitude existentielle que même l’amour de son épouse, Lola Maroa, peine parfois à combler.

Les racines de la douleur : Une enfance brisée

Pour comprendre la faille béante qui habite Jean-Marie Bigard, il faut remonter à ses origines, dans ce petit village de l’Aube, Fontaine-Luyères. Issu d’une famille ouvrière, le jeune Jean-Marie connaît la précarité. Si les étés chez les grands-parents ont le goût de la liberté, les automnes ramènent la grisaille et la contrainte scolaire, pour laquelle il se sent inadapté. “Allergique à l’engagement”, dira-t-il.

Mais le véritable drame se joue à l’aube de sa vie d’adulte. À 20 ans, l’âge de tous les possibles, le ciel lui tombe sur la tête. Sa mère, Gisèle, son pilier, est emportée par un cancer. La douleur est insondable. “J’avais l’impression que le monde s’effondrait”, confiera-t-il. Le sort s’acharne avec une violence inouïe : un an plus tard, son père, Marcel, est assassiné dans des circonstances mystérieuses. Orphelin, désorienté, Bigard porte en lui deux cicatrices indélébiles, deux fantômes qui ne le quitteront jamais. Cette double tragédie a forgé son caractère : une rage de vivre, certes, mais aussi une mélancolie de fond, un sentiment d’injustice permanente.

De la galère à la gloire : La revanche du “raté”

Avant d’être la star que l’on connaît, Bigard a connu la misère noire. Monté à Paris avec son ami Tex, il a vécu l’humiliation des castings ratés, la pauvreté, le rejet. Il a été barman, gérant de boîte de nuit, cherchant sa place sans jamais la trouver. Lorsqu’il monte enfin sur les planches du Point Virgule en 1984, c’est pour jouer devant des salles quasi vides. Mais la joie est là. “Je ne gagne pas d’argent, mais je joue”, dit-il.

La consécration viendra avec “La Classe” sur FR3. Le succès est foudroyant. Bigard invente un style, le stand-up à la française, direct, physique, sans tabou. Il devient le numéro 1. Mais la gloire est une drogue dure, et le maintien au sommet, une lutte de chaque instant.

La maladie et le déclin physique : Le corps qui lâche

Aujourd’hui, à 70 ans, le corps de l’ancien sportif (il fut professeur d’EPS et handballeur) lui présente l’addition. Une addition salée. Diabétique de longue date, victime d’AVC, souffrant de polyarthrite rhumatoïde, Jean-Marie Bigard vit avec la douleur chronique. En avril 2025, une grave chute l’envoie à l’hôpital, forçant l’annulation de ses spectacles.

Ces alertes de santé ne sont pas anodines. Elles confrontent l’humoriste à sa propre finitude. Lui qui a longtemps brûlé la chandelle par les deux bouts, notamment avec l’alcool, doit aujourd’hui se restreindre. “Je n’ai pas peur de la mort, mais j’ai peur de vivre avec une douleur prolongée”, avoue-t-il à Jordan De Luxe. Cette vulnérabilité physique accentue son isolement. Il ne peut plus courir, il ne peut plus vivre avec la même intensité, et cela le mine.

Les blessures du cœur : Famille et trahisons

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Si la santé vacille, le cœur, lui, est en miettes pour d’autres raisons. Sa vie sentimentale a été marquée par des déchirements. Son divorce avec Claudia, sa première épouse, a entraîné l’éloignement de son fils aîné, Sacha, parti vivre au Brésil. C’est une plaie ouverte. Ne pas voir grandir son fils est une torture quotidienne pour ce père aimant. “Chaque fois que je pense à Sacha, mon cœur se serre”, dit-il. La distance géographique est une douleur que rien n’apaise.

Avec Lola Maroa, sa seconde épouse, il a connu le bonheur d’être à nouveau père, mais aussi l’angoisse absolue. La naissance de leurs jumeaux, Jules et Bella, grands prématurés, a été un traumatisme. Entre la vie et la mort, ces bébés ont lutté, et leurs parents avec eux. Lola a raconté ce combat dans son livre, décrivant un Jean-Marie impuissant, au bord des larmes, devant ses couveuses.

À cela s’ajoute la solitude sociale. Bigard, avec ses prises de position tranchées (sur le 11 septembre, le Covid, la politique), s’est mis à dos une grande partie du métier. Il s’est senti “rejeté”, traité de paria. Les critiques de ses anciens amis, comme Laurent Ruquier ou François Cluzet qui l’a qualifié de “roi de l’impolitesse”, l’ont profondément blessé. “Je ne veux blesser personne, mais je ne peux pas prétendre être quelqu’un d’autre”, se défend-il. Il a cru que les amitiés du show-business étaient éternelles ; il a découvert qu’elles étaient souvent conditionnelles.

“Je me sens seul et incompris”

C’est peut-être l’aveu le plus terrible de cet homme qui a passé sa vie à faire rire les autres. À 70 ans, Jean-Marie Bigard se sent seul. Terriblement seul. “Il y a des jours où je fais rire tout le public, mais quand je rentre chez moi, j’ai l’impression que personne ne me comprend vraiment.”

Il souffre de son image. Il voudrait qu’on se souvienne de lui comme d’un pourvoyeur de joie, d’un homme généreux. Au lieu de cela, il a l’impression d’être devenu “une blague aux yeux des autres”, une caricature de lui-même. Cette dissonance entre ce qu’il est profondément — un homme sensible, cultivé, meurtri — et ce que la société renvoie de lui est une source de souffrance infinie.

L’épouse de Jean-Marie, Lola, est le témoin quotidien de cette “vie misérable” faite de douleurs physiques et morales. Elle voit l’homme derrière le masque, celui qui pleure ses parents disparus trop tôt, celui qui manque à son fils, celui qui a mal à ses articulations et à son âme.

Alors, que reste-t-il quand le rideau tombe ? Il reste un homme face à son destin, un survivant qui continue d’avancer malgré tout, porté par l’amour des siens qui sont encore là. Jean-Marie Bigard n’est pas qu’un comique vulgaire. C’est un personnage tragique, un héros balzacien perdu dans le monde médiatique du XXIe siècle. Et aujourd’hui, en lisant ces lignes, peut-être ne rirez-vous plus de la même façon en le voyant. Peut-être verrez-vous, au fond de ses yeux, la petite lueur triste de l’enfant de l’Aube qui attend toujours que l’automne passe.

Merci, Monsieur Bigard, pour les rires. Et courage pour les larmes.

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