C’est un visage que des millions de Français accueillent chaque jour à leur table, une présence solaire qui illumine l’heure du déjeuner avec la bonne humeur communicative des “12 coups de midi”. Jean-Luc Reichmann, à 64 ans, est plus qu’un animateur ; il est un membre de la famille. Pourtant, derrière ce sourire inébranlable et cette énergie débordante se cache une histoire de résilience, de drames intimes et de blessures profondes. Aujourd’hui, le silence se brise. L’homme, et non plus seulement l’animateur, se confie sur cet “état de santé” grave qui a bouleversé sa vie. Mais ne vous y trompez pas : la véritable gravité n’est pas celle d’une maladie récente, mais celle d’un passé qui l’a forgé dans la douleur.

Le 10 juillet 1984, Jean-Luc Reichmann n’est pas encore une star du petit écran. Il a 23 ans. C’est un jeune homme au sommet de sa forme physique, finaliste du championnat de France de karaté Shotokan Ryu. La vie lui sourit. Puis, en une fraction de seconde, tout bascule. Au guidon de sa moto, il est violemment percuté par une voiture à une intersection. Le choc est d’une violence inouïe.

Le futur animateur est plongé dans le coma. Le diagnostic est terrible : il a perdu sa rate, son corps est brisé. Commence alors une longue et douloureuse convalescence, confiné à un fauteuil roulant, loin des tatamis et des rires. “Cette période a été un grand traumatisme,” confiera-t-il bien plus tard. Se réveiller d’un coma et réaliser qu’on ne peut plus marcher est “un coup dur pour l’âme”. Il doit affronter des mois de physiothérapie, des nuits d’angoisse à l’hôpital, hanté par la peur de ne jamais “revenir à une vie normale”.

Ce drame physique, cette mutilation qui a laissé des cicatrices visibles – dont une grande sur son avant-bras gauche – n’est en réalité que la partie émergée d’un iceberg de souffrances que l’animateur a toujours portées en lui.

Car avant même que son corps ne soit brisé, c’est son estime de soi qui fut attaquée. Depuis sa naissance, Jean-Luc Reichmann porte sur son visage une “tache de vin”, un angiome sur le nez. Dans la cour d’école, cette particularité devient une cible. “Nez rouge”, “nez cassé” : les surnoms cruels fusent. La douleur est “constante”, ravivée à chaque déménagement imposé par le travail de son père, directeur de supermarché. Chaque nouvelle école est un nouveau tribunal, un nouveau jugement à affronter.

Cette blessure est si profonde que sa mère, Josette, tentera de la faire disparaître par des traitements au laser à l’hôpital. En vain. Pendant des années, l’homme de télévision complexé cachera ce qu’il vit comme une honte. Lorsqu’il anime “Les Z’amours” sur France 2 de 1995 à 2000, il la dissimule sous une épaisse couche de maquillage. Il faudra attendre son arrivée sur TF1 et la maturité pour qu’il prenne une décision qui deviendra un tournant : animer “Les 12 coups de midi” le visage nu, faisant de sa différence une force et un symbole d’acceptation pour des milliers de téléspectateurs.

Mais le “grave état” dont parle Reichmann n’est pas seulement physique ou psychologique. Il est aussi émotionnel. La plus grande tristesse de sa vie, sa “douleur indescriptible”, reste la perte de sa mère. Josette Vaillant, sa “lumière directrice”, celle qui l’a élevé près de Toulouse et lui a “inculqué l’amour de la vie et la résilience”, s’est éteinte le 7 août 2022. Son décès, survenu après celui de son père Pierre en 2016, a laissé un “vide incompressible”. L’homme qui fait rire la France à midi porte en lui un deuil profond.

Cette tristesse est intimement liée à une autre responsabilité, un autre combat silencieux qu’il mène depuis toujours : celui pour sa sœur cadette, Marie-Laure. Née sourde, elle a fait de Jean-Luc un “frère aîné” profondément protecteur. “Témoin des difficultés que Marie-Laure a endurées”, il s’est senti “impuissant” face aux barrières d’un monde peu adapté au handicap.

Pour communiquer avec elle, il a appris la langue des signes, un “voyage émotionnel” qui lui a fait prendre conscience de l’isolement de sa sœur. Cette douleur familiale est devenue un moteur. S’il est aujourd’hui le parrain dévoué de l’association CAP48, ce n’est pas par calcul de carrière, mais par conviction intime, par fidélité à ce combat fraternel.

C’est sur ce terreau de drames – l’accident, le harcèlement, le deuil, le handicap – que s’est construite l’incroyable carrière de Jean-Luc Reichmann. Sa résilience est sa marque de fabrique. Des débuts précaires à la radio libre toulousaine sous le pseudonyme de “Boogie Chou” aux voix off pour “Motus” ou “Les Guignols de l’info”, il a gravi chaque échelon avec la hargne de celui qui a failli tout perdre.

Le succès phénoménal des “Z’amours”, puis d’”Attention à la marche” (2001-2010), qui rassemblait près de 40% d’audience, aurait pu le satisfaire. Mais en 2010, l’annulation de cette dernière émission par TF1 est un “choc”, une “douleur professionnelle” qui le force à se réinventer. Il lance alors “Les 12 coups de midi”, un pari qui deviendra le plus grand phénomène des jeux télévisés de la décennie.

Parallèlement, il prouve son talent d’acteur au théâtre (“Nuit d’ivresse”) et surtout à la télévision avec la série “Léo Matteï, Brigade des mineurs”, un rôle de flic protecteur qui résonne étrangement avec sa propre histoire de protecteur de sa sœur.

Aujourd’hui, l’animateur est à la tête d’une famille recomposée de six enfants avec sa compagne Nathalie Lecoultre. Il jongle avec un “emploi du temps de tournage” démentiel, tentant de concilier sa vie de star et son rôle de père, admettant que ses enfants lui demandent “souvent de passer plus de temps à la maison”.

À 64 ans, Jean-Luc Reichmann a finalement brisé le silence, non pas pour se plaindre, mais pour admettre que le sourire qu’il affiche n’est pas un acquis, mais une conquête. Une victoire quotidienne sur le traumatisme de l’accident, sur les moqueries de l’enfance et sur la tristesse du deuil. Le “grave état” qu’il reconnaît est celui d’une vulnérabilité qu’il a transformée en une force de vie exceptionnelle.