L’émotion était palpable sur le plateau de “Vivement Dimanche” lorsque Hugues Aufray, légende intemporelle de la chanson française, s’est livré à une confession poignante, révélant un regret qui le hante depuis plus de six décennies. Au-delà de sa carrière exceptionnelle et de ses mélodies entraînantes, l’artiste a ouvert les portes de son intimité, partageant un pan de son histoire familiale marqué par la perte et la culpabilité. Ce témoignage déchirant offre un éclairage nouveau sur l’homme derrière l’artiste, un homme dont la résilience a été forgée par des épreuves personnelles profondes.

L’Écho de l’Enfance : Entre Tarn et Saint-Jean-de-Luz

Né à Neuilly, Hugues Aufray a connu une enfance bousculée par les aléas de la Seconde Guerre mondiale. Il évoque avec tendresse ses années passées dans le Tarn, un département qu’il qualifie de “magnifique”. C’est là, au collège de Sorèze, chez les Dominicains, qu’il a passé cinq années marquantes, celles de la guerre. Ce refuge en zone libre a été une période fondatrice, loin des bombardements annoncés de Paris. Son père, dont les affaires étaient basées en Espagne, avait pressenti le danger et avait cherché à mettre sa famille à l’abri, d’abord à Saint-Jean-de-Luz. Malheureusement, la guerre les rattrapera même là, avec l’arrivée des Allemands.

Ces souvenirs d’enfance sont illustrés par une photographie précieuse de Saint-Jean-de-Luz, une image figée dans le temps où l’on découvre le jeune Hugues aux côtés de ses frères et de sa petite sœur. Chacun de ses siblings était destiné à un parcours remarquable. Son frère Jean-Paul, devenu l’un des plus grands mathématiciens de physique quantique de son siècle aux États-Unis, et sa sœur Pascale Audret, une future comédienne au “plus beau visage du cinéma de l’après-guerre”, selon un cinéaste. Mais c’est le souvenir de Francesco, son autre frère, qui émeut particulièrement Hugues Aufray.

Francesco, l’Étoile Filante et le Regret Éternel

Francesco, pour qui leur mère avait souhaité la protection de Saint François d’Assise, était un être à part. Hugues décrit sa connexion incroyable avec les animaux, une sensibilité rare. Mais c’est sa voix qui était réellement exceptionnelle. Pierre Boulez lui-même avait reconnu son talent, affirmant qu’il possédait “la plus belle voix du monde” et qu’il ferait “une carrière monstrueuse aux États-Unis” en tant que chanteur d’opéra, malgré un début tardif dans la musique classique.

Malheureusement, le destin de Francesco fut tragiquement écourté. À l’âge de 27 ans, il a “choisi de quitter le monde” au Canada. Hugues Aufray évoque avec une douleur palpable ce départ, confessant son immense regret de ne pas l’avoir suivi. “Si je l’avais suivi, jamais il ne serait mort,” murmure-t-il, laissant transparaître une culpabilité qui n’a jamais vraiment trouvé de répit. Cette absence a marqué sa vie au fer rouge. La quête de la tombe de son frère, retrouvée après soixante ans, au Repos Saint-François d’Assise à Montréal, témoigne de la persistance de son chagrin et de son besoin de renouer avec ce lien brisé.

Sorèze, l’Évasion et la Révélation Équestre

Le collège de Sorèze, ce “village magique” comme il le nomme, représente pour Hugues Aufray une période de révélation personnelle. Malgré ses difficultés scolaires – il se décrit comme dyslexique, ayant eu du mal à apprendre à lire, à parler, et incapable d’apprendre le solfège – il a trouvé sa voie dans l’équitation. Dans cette école royale militaire, l’équitation était le “sport royal”. Contre toute attente, Hugues est devenu le meilleur cavalier pendant cinq ans, une prouesse qui a sans doute renforcé sa confiance en lui face à ses lacunes académiques. Cette période l’a profondément marqué, à tel point qu’il y a célébré ses 80 ans, revêtu du costume de Sorézois.

La Famille, un Reflet de Destins Uniques

La famille Aufray semble avoir été une lignée d’individus exceptionnels. Après la guerre, alors que l’un de ses frères rejoignait le maquis et la Résistance avant de s’engager dans l’armée du général Leclerc au Maroc, Francesco se tournait vers la musique classique, bien qu’il ait été prédestiné à une carrière lyrique.

Hugues Aufray évoque également ses parents, notamment sa mère, qu’il décrit comme “très jolie” et que l’on lui a un jour présentée comme une “reine”. Sa petite sœur, Pascale, était la “princesse”, dotée du “plus beau visage du cinéma de l’après-guerre”. Malheureusement, elle aussi a connu une fin prématurée, décédée très jeune dans un accident de voiture. Ces pertes successives ont sans doute laissé des cicatrices profondes dans le cœur de l’artiste.

Des Beaux-Arts aux Cabarets de Paris : La Naissance d’un Artiste

Après avoir passé son bac en Espagne en 1946, Hugues Aufray débarque à Paris en 1948 avec l’ambition d’entrer aux Beaux-Arts. Il n’a jamais voulu être chanteur, se considérant comme “handicapé à l’école” et se percevant comme un “imbécile”. Son père l’avait même dissuadé de cette voie artistique, lui prédisant la misère, à l’instar de Van Gogh ou Cézanne. Pourtant, le dessin et la sculpture étaient ses échappatoires naturelles, comme il le confie en citant Coluche : “Dans la vie, il faut laisser faire les enfants ce qu’ils font naturellement.”

Avant de se lancer dans l’art, il effectue un “merveilleux” service militaire chez les chasseurs alpins à Annecy, dont il porte encore fièrement le costume. Il exprime d’ailleurs sa tristesse face au manque d’engagement des jeunes d’aujourd’hui, regrettant que le service militaire, qu’il considère comme une forme d’éducation, ne soit plus valorisé.

Sans les moyens financiers pour les Beaux-Arts, Hugues Aufray se tourne vers les cabarets de Paris. Ayant appris à jouer de la guitare en Espagne, il découvre un “pouvoir d’attraction” inattendu sur les jeunes. Il commence à jouer de la guitare et se fait repérer dans un restaurant en difficulté. Il parvient à attirer des foules, non seulement de Paris, mais du “monde entier”, d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Allemagne, de Suisse, d’Italie. C’est là qu’il rencontre un Arménien qui se faisait passer pour un Espagnol et qui lui enseigne la “guitare manouche”. Il exhibe même avec fierté l’une des toutes premières guitares électriques de France.

Ce témoignage d’Hugues Aufray n’est pas seulement le récit d’une vie extraordinaire ; c’est aussi une ode à la résilience, à la passion et à l’amour filial, teinté d’un regret indélébile qui continue de façonner sa mémoire. Sa sincérité et son émotion ont touché le cœur de tous, rappelant que derrière chaque artiste se cache une histoire, souvent plus complexe et plus émouvante que l’image publique que l’on connaît.