Le temps est un fil tendu, parfois cruel, parfois d’une douceur infinie. Pour Hugues Aufray, icône de la chanson française, le temps semble avoir glissé sans jamais avoir de prise. À 95 ans, le “Santiano” de nos cœurs navigue toujours, l’œil vif et la guitare en bandoulière. Pourtant, ce dimanche 4 mai, dans le cadre intime du “Portrait de la Semaine” d’Audrey Crespo-Mara sur TF1, une simple phrase, presque un souffle, a fissuré l’image de l’éternel jeune homme pour révéler une réalité poignante, un dilemme humain qui touche au cœur de son histoire d’amour avec sa femme, Murielle.

Invité à se confier sur ce bonheur retrouvé et enfin officialisé, Hugues Aufray parlait avec tendresse de Murielle Méjevant, cette femme qui partage sa vie depuis 2005 et qu’il a épousée le 2 septembre 2023. C’est alors qu’il a lâché, presque malgré lui : “On n’a pas d’enfant… pour l’instant.”

“Pour l’instant.” Trois mots suspendus, chargés de tout le poids d’un désir inassouvi, d’un espoir peut-être fou. Trois mots qui ont immédiatement fait résonner le silence qui a suivi. Car comment interpréter ce “pour l’instant” de la part d’un homme de 95 ans, uni à une femme de 45 ans sa cadette ? Était-ce une porte entrouverte sur un projet secret, un lapsus révélateur d’une discussion intime, ou simplement la trace mélancolique d’un rêve que le temps a rendu impossible ?

Conscient de l’onde de choc provoquée par ses propres mots, le chanteur s’est immédiatement repris, avec cette objectivité lucide qui le caractérise. La réalité a repris ses droits, balayant le rêve d’un revers de main. “Je pense que c’est quelque chose qu’il faut oublier parce que je suis âgé,” a-t-il nuancé. “C’est possible, mais je ne sais pas si c’est souhaitable… pour l’enfant.”

En une fraction de seconde, Hugues Aufray venait de résumer le drame silencieux qui se joue peut-être au sein de son couple : le choc entre l’amour et la biologie, entre le désir et la raison.

Pour comprendre cette tension, il faut remonter le fil de cette histoire d’amour hors norme. Nous sommes en 2005. Hugues Aufray, alors âgé de 76 ans, est une légende vivante. Il rencontre Murielle, une jeune femme de 31 ans. C’est un “coup de foudre” dans un train, comme il le raconte lui-même. Une évidence. Mais la situation est complexe. Le chanteur est marié depuis 1951 à Hélène Faure, la mère de ses deux filles, Marie (aujourd’hui 67 ans) et Charlotte (64 ans). Bien que séparé de fait, il a toujours refusé de divorcer, par respect, par loyauté envers la femme qui l’a soutenu à ses débuts.

Commence alors pour Murielle ce qu’elle a elle-même qualifié de “sacrifice”. Pendant 18 ans, elle restera dans l’ombre, acceptant cette “double vie” que lui impose l’homme qu’elle aime. 18 ans à attendre, à “tenir le coup par amour pour lui”, comme elle le confiait en février 2024. C’est une vie passée à mettre ses propres désirs en sourdine.

Et parmi ces désirs, le plus puissant de tous : celui de la maternité. Car Murielle, comme elle l’a expliqué, avait un principe, une condition non négociable : “Je voulais être marié avant d’avoir un enfant.” Une volonté respectable, qui ancre le désir d’enfant dans un cadre légitime et stable. Mais cette condition était suspendue à un événement qu’elle ne maîtrisait pas : le veuvage d’Hugues Aufray.

Pendant près de deux décennies, Murielle a donc vu le temps passer. Sa jeunesse, son horloge biologique, tout était en pause, offert sur l’autel d’un amour plus grand que les conventions. Le “sacrifice” dont elle parle n’est pas un vain mot. C’est celui d’une femme qui aurait “probablement encore” pu porter un enfant, comme le mentionne le reportage, mais qui a choisi d’attendre l’homme qu’elle aimait.

Le destin finit par s’accomplir en octobre 2022, avec le décès d’Hélène Faure. Moins d’un an plus tard, en septembre 2023, Hugues Aufray tient sa promesse. Il épouse Murielle. Un mariage qui sonne comme une évidence, mais aussi comme une reconnaissance. “Murielle m’a offert sa jeunesse,” déclarait-il avec une gratitude palpable, “je lui devais ce mariage.”

Ce mariage, c’était la réparation d’une vie d’attente. C’était enfin donner à Murielle la place qui lui revenait de droit, la sortir de l’ombre pour la mettre en pleine lumière, à son bras. Mais ce mariage, s’il comblait une attente sociale et amoureuse, arrivait peut-être trop tard pour l’autre attente, l’attente viscérale : celle d’un enfant.

C’est là que le “pour l’instant” d’Hugues Aufray prend toute sa dimension tragique. Maintenant qu’ils sont mariés, la condition de Murielle est remplie. Mais c’est Hugues, désormais, qui pose les limites. Le temps qu’il a fallu pour qu’ils puissent s’unir est le même temps qui a rendu leur projet parental quasi impossible.

Sa lucidité est à la fois admirable et déchirante. “Aujourd’hui, c’est un peu tard,” avait-il déjà admis en février, ajoutant que ce serait “même dangereux pour l’enfant.” Le chanteur ne pense pas seulement aux risques d’une “grossesse gériatrique” pour sa femme, bien que réels. Il pense à l’enfant lui-même. “Pas si c’est souhaitable pour l’enfant.”

Quelle vie offrirait un père de 95, 96 ou 97 ans ? Quelle responsabilité que de mettre au monde un orphelin en devenir ? Hugues Aufray, déjà père et grand-père, connaît le poids de la parentalité. Il sait ce qu’elle exige d’énergie, de présence, de futur. Son amour pour Murielle est immense, mais son sens des responsabilités semble l’être tout autant. Il refuse de faire passer un désir d’adulte, ou la réparation d’un sacrifice, avant le bien-être d’un enfant à naître.

Cette histoire n’est donc pas celle d’un caprice de star vieillissante. C’est le drame profondément humain d’un amour qui a dû choisir entre la loyauté à un passé (son refus de divorcer d’Hélène) et la construction d’un futur (un enfant avec Murielle). En voulant honorer les deux, Hugues Aufray se retrouve aujourd’hui au crépuscule de sa vie, marié à la femme de sa vie, mais confronté à ce rêve qu’il ne peut plus lui offrir.

Le “pour l’instant” sonne alors comme l’écho d’une conversation inachevée entre eux, un soupir partagé face à l’inéluctable. C’est le symbole d’une jeunesse que Murielle lui a donnée et qu’il ne peut lui rendre sous la forme d’une nouvelle vie.

Leur bonheur, visible, éclatant lors de leur mariage, n’en est pas moins teinté de cette mélancolie. Ils sont heureux, enfin réunis aux yeux de tous, mais ils portent en eux ce deuil silencieux, celui de la famille qu’ils n’agrandiront jamais. L’icône de “Stewball” et de la jeunesse éternelle nous rappelle, par cette confidence, que même les légendes sont soumises aux lois du temps. Son histoire avec Murielle est magnifique, un conte de fées moderne sur la patience et la dévotion, mais elle s’achève sur cette note douce-amère, ce “pour l’instant” qui restera, sans doute, suspendu pour l’éternité.