Il y a des amours qui défient le temps, la logique et même la maladie. Et puis, il y a l’amour de Françoise Hardy et Jacques Dutronc. Une histoire unique, tissée de paradoxes, de silences, de distance et d’un lien indéfectible. Aujourd’hui, alors que la France retient son souffle face au combat public de Françoise Hardy contre un mal implacable, c’est elle qui, d’une voix brisée par les traitements, lance un cri d’alarme. Mais pas pour elle. Pour lui. Une déclaration choc, une supplique presque irréelle qui a secoué le public : “J’espère qu’il sera en mesure de respecter mon interdiction de partir avant moi.”

Ces mots, lourds de sens, ont été prononcés par l’icône de 79 ans lors d’un entretien au Journal du Dimanche. Ils révèlent une angoisse qui la ronge plus encore que sa propre souffrance : la peur panique de voir Jacques Dutronc, son roc apparent, son partenaire de toujours, s’éteindre le premier. “Il m’inquiète surtout”, a-t-elle confié, “car il est plus fragile qu’il en a l’air”.

Pour comprendre la puissance de cette déclaration, il faut mesurer l’abîme de douleur dans lequel vit Françoise Hardy depuis des années. Son combat n’est plus un secret. L’interprète de “Message personnel” lutte contre plusieurs cancers depuis près de deux décennies. Un premier lymphome en 2004, puis un cancer du pharynx. Mais plus que la maladie elle-même, ce sont les “effets secondaires épouvantables” de ses traitements qui ont transformé sa vie en “cauchemar”.

Elle l’a décrit avec une franchise désarmante : “Les 45 radiothérapies que l’on m’a envoyé de gauche à droite du bas de la tête et des 10 autres de haut en bas ont détruit ce qui permet d’irriguer la bouche, la gorge, le nez, les oreilles, les yeux, le cuir chevelu.” Le résultat est une existence de souffrance quotidienne. Privée de salive, elle peine à manger, à déglutir, à vivre. Sa surdité s’aggrave. Chaque jour est une épreuve.

Cette souffrance est telle que Françoise Hardy est devenue l’une des voix les plus puissantes en France en faveur du droit à mourir dans la dignité. Elle ne cache pas son désir de “partir bientôt et de façon rapide”, suppliant publiquement le président de la République de faire évoluer la loi sur l’euthanasie. Elle se décrit comme “passant le plus clair de son temps à souffrir”, prisonnière d’un corps qui la trahit.

Alors, comment cette femme, qui appelle la mort de ses vœux, peut-elle être terrifiée à l’idée qu’un autre parte avant elle ? La réponse tient en deux mots : Jacques Dutronc.

L’homme à l’éternel cigare et aux lunettes noires a toujours cultivé une image de dandy ironique, de rockeur dilettante, presque indestructible. Retiré dans sa forteresse de Monticello, en Corse, loin de l’agitation parisienne que Françoise n’a jamais quittée, il semblait couler des jours paisibles, rythmés par ses chats et ses passions. Une image. Juste une image.

Car la déclaration de Françoise Hardy n’est pas sortie de nulle part. Elle est venue confirmer une inquiétude qui grandissait en silence depuis décembre 2022. L’événement qui a mis le feu aux poudres ? La tournée “Dutronc & Dutronc”.

Initié par leur fils Thomas, ce projet fou avait réuni le père et le fils sur scène pour une série de concerts exceptionnels. Un triomphe. Des salles combles, une communion palpable entre le public et ce duo complice, Jacques semblant retrouver une seconde jeunesse sous le regard admiratif de son fils. Françoise Hardy elle-même, trop faible pour se déplacer, avait décrit son immense regret de ne pouvoir y assister.

Et puis, soudainement, l’arrêt. Le dernier concert a eu lieu le 21 décembre 2022. Toutes les dates prévues pour 2023 ont été brusquement annulées. La raison officielle est restée vague, mais les rumeurs ont commencé à enfler. Thomas Dutronc avait lui-même glissé que son père, approchant les 80 ans, “s’inquiétait de ne pas tenir le coup”. Loin du continent, son père “n’est pas facile”, avait-il admis.

C'est à l'amour auquel je pense (Stereo Mix)

La vérité, qui a fuité par bribes, est plus crue. Le corps de Jacques ne suivait plus. Des sources décrivent un homme dont les mains, autrefois si agiles sur sa guitare, le font désormais souffrir. Sa voix, si mordante, se fait rare. La machine, poussée un peu trop loin pour cet ultime tour de piste, a dit stop. “Il est plus fragile qu’il en a l’air”, a confirmé Françoise. Elle sait. Mieux que personne.

Leur relation est le ciment de cette histoire. Mariés en 1981, ils vivent séparés depuis la fin des années 80. Mais ils n’ont jamais divorcé. “Je suis sa veuve avant l’heure”, disait-elle parfois avec un humour teinté de noirceur. Ils sont le couple séparé le plus uni de France. Un lien téléphonique quotidien, une préoccupation constante l’un pour l’autre, et Thomas, leur fils, comme trait d’union vivant et aimant.

C’est Thomas qui fait le va-et-vient entre la mère malade à Paris et le père reclus en Corse. C’est lui qui porte le poids de la santé déclinante de ses deux parents, deux monstres sacrés de la chanson française. Françoise Hardy, en parlant de sa propre mort, a souvent évoqué non pas sa peur de mourir, mais son angoisse face au “chagrin” qu’elle causerait à Thomas, et à Jacques.

Ce que sa déclaration au JDD révèle, c’est l’inverse. C’est la peur insupportable du chagrin que lui lui causerait. Dans son esprit, malgré son propre calvaire, elle est encore celle qui veille. Elle ne peut concevoir un monde où il ne serait plus là pour décrocher le téléphone. L’idée de sa propre fin est une chose ; l’idée de la sienne est une autre, bien plus terrifiante. C’est une inversion poignante des rôles. Celle qui se bat pour le droit de partir est celle qui supplie l’autre de rester.

Cette “interdiction de partir” n’est pas une boutade de dandy. C’est le cri du cœur d’une femme qui a tout supporté – les infidélités, l’éloignement, la maladie – mais qui ne supporterait pas cette absence-là. C’est la dernière amarre à laquelle elle se raccroche.

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Aujourd’hui, le silence règne. Françoise Hardy continue son combat, de plus en plus affaiblie. Jacques Dutronc reste silencieux dans sa retraite corse, loin des scènes qu’il a tant aimées. La fin de la tournée a sonné comme un baisser de rideau, pas seulement sur une carrière, mais peut-être sur une époque.

La peur de Françoise Hardy est devenue celle de millions de Français. Ces deux-là, qu’on croyait éternels, sont entrés ensemble dans le dernier acte de leur vie. Et dans cette tragédie intime, c’est l’icône de la mélancolie qui nous offre la plus bouleversante des leçons d’amour : même au seuil de la nuit, le seul véritable enfer, c’est la peur de perdre l’autre.