C’est l’histoire d’un sourire qui cachait des larmes, d’un nom qui ouvrait des portes tout en fermant celle du bonheur, d’une vie passée à courir après une reconnaissance qui ne viendra jamais vraiment. Franck Fernandel, le fils du monstre sacré du cinéma français, s’est éteint en 2011 dans une solitude glaciale, emportant avec lui le fardeau d’avoir été, jusqu’à son dernier souffle, “le fils de…”. Retour sur le destin brisé d’un homme qui a tenté d’exister face au soleil, et qui a fini par se brûler les ailes.

Il est des héritages qui ressemblent à des malédictions. Naître Contandin, c’est porter sur ses épaules le poids de la gloire, celle de Fernand, l’immortel Don Camillo, l’homme au sourire chevalin qui a fait rire des générations entières. Mais pour Franck, né en 1935, ce patronyme n’a pas été un tremplin, mais une cage dorée dont il ne s’est jamais véritablement échappé. Si le public garde de lui l’image sympathique d’un chanteur de charme aux yeux clairs, la réalité de sa fin de vie, révélée dans toute sa crudité, dessine le portrait d’un homme rongé par l’amertume, l’alcool et les regrets.

“Tu ne seras jamais lui” : La blessure originelle

Dès ses premiers pas, Franck comprend que sa vie ne lui appartient pas tout à fait. Il est le “dauphin”, le prince héritier d’un royaume de rires et de succès. Mais comment exister quand votre père est un monument national ? Comment trouver sa voix quand celle du paternel résonne dans tous les foyers de France ?

Franck a essayé. Oh, il a essayé de toutes ses forces. Il s’est lancé dans la chanson, ce domaine où son père excellait aussi, mais où il espérait imposer sa propre sensibilité. Avec des titres comme Fanny, Les yeux d’un ange ou L’amour interdit, il a connu son heure de gloire dans les années 60 et 70. Une voix de crooner, un physique de jeune premier… Sur le papier, tout y était. Mais dans le regard du public, et pire encore, dans celui de la critique, il restait une pâle copie, une extension un peu fade du génie paternel.

Le cinéma, cruel miroir, n’a fait qu’accentuer ce malaise. En tournant aux côtés de son père dans L’Âge ingrat ou En avant la musique, Franck s’est exposé à la comparaison directe. Et la sentence fut terrible. Là où Fernandel crevait l’écran par sa simple présence, Franck semblait s’effacer, transparent, presque excusé d’être là. Cette impression d’illégitimité, ce syndrome de l’imposteur, ne le quittera jamais. Il confiera plus tard n’avoir jamais “véritablement souffert” de cette popularité, mais ses actes et sa déchéance raconteront une toute autre histoire.

La descente aux enfers : L’alcool comme refuge

Quand la lumière des projecteurs s’est tamisée, quand les disques se sont moins vendus et que le téléphone a cessé de sonner pour des rôles, les démons de Franck se sont réveillés. L’ombre du père, même après la mort de ce dernier en 1971, continuait de planer, immense, étouffante.

C’est dans l’alcool que Franck Fernandel a cherché l’oubli. L’oubli de ce nom trop lourd, l’oubli de ses propres échecs perçus. La boisson est devenue une compagne fidèle et destructrice. En 1996, un premier scandale éclate : il est arrêté en état d’ivresse au volant. L’image du “fils modèle” se fissure publiquement. Mais le pire est à venir.

Le tournant dramatique survient en 1999. Franck, le gestionnaire des droits de l’œuvre immense de Fernandel, se retrouve devant la justice, non pas pour une affaire de gros sous, mais pour un drame intime sordide : abandon de famille. Incapable de faire face à ses obligations, perdu dans ses addictions, il est condamné et passera même un bref séjour derrière les barreaux. La prison. Pour le fils de Fernandel. L’humiliation est totale, absolue. La chute est vertigineuse pour celui qui a grandi dans les villas luxueuses et les coulisses des plus grands théâtres.

File:Franck-Fernandel-1962-Italie.png - Wikimedia Commons

Une famille déchirée : Le drame de Vincent et Manon

Cette déchéance personnelle a eu des répercussions terribles sur sa vie privée. Franck Fernandel laisse derrière lui une famille en miettes. Ses deux enfants, Vincent et Manon, ont été les victimes collatérales de cette guerre intérieure. Après de longues années de conflits, la fratrie a été séparée, une blessure béante dans le cœur d’un père. Vincent vivait avec lui, témoin privilégié et sans doute douloureux de la dérive paternelle, tandis que Manon restait avec sa mère, Corinne Delahaye.

Cette scission familiale a hanté Franck jusqu’à la fin. Lui qui rêvait sans doute de reproduire le clan soudé des Contandin s’est retrouvé au centre d’un éclatement familial. Vincent Fernandel, devenu aujourd’hui le gardien de la mémoire, parle de son père avec tendresse mais lucidité, n’éludant pas les zones d’ombre, cette tristesse infinie qui habitait l’homme derrière l’artiste.

Une fin solitaire et une ultime séparation

Le 8 juin 2011, Franck Fernandel s’éteint à l’âge de 75 ans, dans sa villa de Marseille. Mais même dans la mort, le destin semble s’acharner à souligner sa solitude. Alors que l’on aurait pu imaginer le fils rejoignant le père pour l’éternité, il n’en est rien. Fernandel repose au cimetière de Passy à Paris, dans une tombe digne de son rang. Franck, lui, a été incinéré, et ses cendres reposent dans une case du columbarium du Père Lachaise (case 9266 pour être précis).

Comme un symbole ultime, père et fils sont séparés, chacun dans son silence. Franck n’aura pas réussi à “tuer le père” symboliquement de son vivant, et la mort ne les a pas réunis.

Photo : Franck Fernandel en 1968. - Purepeople

Aujourd’hui, que reste-t-il de Franck Fernandel ? Quelques chansons douces qui passent parfois sur les ondes nostalgiques, quelques films rediffusés tard le soir… Mais surtout, l’histoire tragique d’un homme qui n’a jamais su qui il était vraiment. Était-il un artiste ? Était-il simplement “le fils de” ? Cette question l’a torturé jusqu’à la folie, jusqu’à l’ivresse.

Son histoire est une leçon cruelle sur la célébrité, sur l’hérédité, et sur la difficulté de se construire soi-même quand les fondations ont été posées par un géant. Franck Fernandel n’était pas un héros, ni un maudit. C’était un homme fragile, broyé par une machine à rêves qui, pour lui, s’est transformée en cauchemar.

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