Il est l’un des derniers seigneurs de la chanson française. Une voix de rocaille, un regard de velours, une silhouette qui a traversé les époques, du rock’n’roll enfiévré des “Chaussettes Noires” à la sagesse ironique du crooner. À 82 ans, Eddy Mitchell est plus qu’un chanteur ; il est un monument, un repère dans le paysage culturel français. C’est pourquoi l’annonce de son hospitalisation, il y a quelques jours, a provoqué une onde de choc. L’icône, que l’on pensait indestructible, a montré un signe de fragilité. Une “grosse pneumonie” l’a cloué au lit, forçant “Schmoll” à une pause brutale.

Dans une rare et poignante interview accordée à “Sept à Huit” sur TF1, l’interprète de “Couleur Menthe à l’eau” a tenu à rassurer ses fans. Mais derrière les mots apaisants, c’est une véritable révolution personnelle, des “révélations bouleversantes” sur sa santé, qu’il a partagées avec une franchise désarmante.

La nouvelle est tombée comme un couperet : l’hospitalisation n’avait rien d’anodin. Cette pneumonie, aggravée par des décennies d’un mode de vie “rock’n’roll”, a servi d’électrochoc. “Ça va doucement, ça va. J’ai fait une pneumonie”, a-t-il confié, affaibli mais lucide. Conscient que son corps lui envoyait un ultimatum, Eddy Mitchell, le bon vivant, l’amoureux des bonnes choses et des “excès” légendaires, a pris une décision radicale, presque impensable pour ceux qui suivent sa carrière.

Depuis un mois, il a mis fin à deux habitudes qui étaient devenues sa signature, aussi sûrement que sa voix grave : fumer et consommer de l’alcool.

La décision, il la doit aux médecins. Mais il la commente avec cette ironie mordante qui le caractérise : “Ils disent qu’il ne faut pas fumer, qu’il ne faut pas boire… enfin, qu’il ne faut rien foutre, quoi !”. Ce trait d’humour, typique de Monsieur Eddy, cache mal la violence du sevrage et l’ampleur du sacrifice. Car le chanteur ne parle pas d’un petit verre de temps en temps. Dans un élan de vérité, il a lâché ce que beaucoup soupçonnaient sans oser le chiffrer : sa consommation pouvait atteindre “jusqu’à deux bouteilles de whisky par jour”.

Une confession fracassante. Il ne s’agissait plus de plaisir, mais d’une “manie”, d’une compulsion. L’alcool, comme la cigarette qu’il fumait depuis l’âge de 14 ans, était un compagnon de route, un carburant. Aujourd’hui, ce carburant est devenu un poison. L’arrêt est total. “L’alcool, c’est terminé”, a-t-il martelé. C’est, à 82 ans, une véritable révolution. Le crooner qui chantait “Il ne rentre pas ce soir” a décidé de prendre soin de lui, de choisir la vie, aussi sobre soit-elle devenue.

Ce combat contre le tabac révèle d’ailleurs toute la complexité de l’artiste, son lien presque mystique avec son art. Ce n’est pas la première fois qu’Eddy Mitchell tente d’arrêter la cigarette. Il y a quelques années, il avait déjà essayé, mais le résultat fut… catastrophique. Artistiquement, du moins. Sans la nicotine, sa voix, cette voix de baryton éraillée qui a fait sa légende, s’était transformée. “J’avais une voix de fluet”, a-t-il déjà raconté. Le comble pour le crooner. Le paradoxe est terrible : pour retrouver son instrument de travail, pour redevenir “Eddy Mitchell”, il s’était remis à fumer. Sa voix était, littéralement, forgée dans la fumée.

Aujourd’hui, le choix est différent. La santé a pris le pas sur le mythe. La pneumonie sévère l’a rappelé à l’ordre. L’homme, Claude Moine, a décidé qu’il était temps de sauver sa peau, quitte à laisser sa voix se reposer. Cette décision courageuse, cette confession d’une vulnérabilité qu’on ne lui connaissait pas, rend le personnage encore plus humain, encore plus attachant. Il n’est plus le “dur à cuire” de ses chansons, mais un homme de 82 ans qui affronte ses démons avec une dignité poignante.

Cette période de convalescence et d’introspection est aussi, inévitablement, un moment de souvenirs. Et comment parler d’Eddy sans évoquer son “éternel complice”, son frère de rock, Johnny Hallyday. Dans l’interview, l’émotion était palpable lorsqu’il a évoqué la fameuse tournée des “Vieilles Canailles”, ce trio magique qu’il formait avec Johnny et Jacques Dutronc.

Ce fut le dernier tour de piste de Hallyday, déjà rongé par la maladie. Eddy Mitchell s’est souvenu d’une soirée inoubliable, un moment de grâce suspendu dans le temps. Ce soir-là, Johnny, “malgré sa chimio”, était sur scène, transcendé par l’amitié et la musique. “C’était une belle soirée”, a murmuré Eddy, la voix chargée de nostalgie. “Il a oublié qu’il était en chimio”. Il avait retrouvé son “sourire éclatant”.

Ce souvenir dit tout de leur relation. Une amitié fusionnelle, capable de faire oublier la maladie, la douleur, la mort qui rôde. Ces deux-là ont tout partagé : les débuts du rock en France, les succès, les échecs, et ces excès qui les ont définis et, pour l’un d’eux, consumé. En arrêtant l’alcool et le tabac, Eddy ne fait pas seulement un choix pour lui-même ; il rend peut-être aussi, inconsciemment, hommage à son ami parti trop tôt, en choisissant la voie de la raison que Johnny n’a pas pu ou pas voulu emprunter.

Alors, que reste-t-il à Eddy Mitchell, privé de ses “vices” et de son plus vieil ami ? L’essentiel : la musique et la lucidité. L’hospitalisation a retardé la sortie de son quarantième album, “Amigos”, mais elle ne l’a pas annulée. La retraite ? Très peu pour lui. Il ne remontera pas sur scène dans l’immédiat, mais il reste un créateur.

Il a simplement décidé de lever le pied, de filtrer les projets. Fini, les rôles de “vieux bougons” qu’on lui propose sans cesse au cinéma. Il a donné. Il aspire à autre chose. Peut-être à la tranquillité de Saint-Tropez, où il vit la moitié de l’année et où, avec son pragmatisme teinté d’humour noir, il a déjà “réservé” sa place au cimetière.

Mais avant cet adieu, Monsieur Eddy s’offre un nouveau chapitre. En se sevrant de l’alcool et du tabac, il ne tire pas un trait sur sa vie passée ; il se donne les moyens de la prolonger. Il reste fidèle à lui-même : “lucide, sincère, et toujours prêt à partager avec son public”. Il vient de nous prouver, une fois de plus, qu’il n’est pas seulement une “Vieille Canaille”. Il est un grand homme.