Lorsque l’on croise aujourd’hui Alexandre Samaan dans les couloirs des urgences de Tours, blouse blanche et stéthoscope autour du cou, il est difficile d’imaginer le chemin qu’il a dû parcourir pour en arriver là. À 27 ans, ce jeune homme originaire de Syrie savoure un rêve d’enfant devenu réalité : celui de soigner et d’aider les autres en tant que médecin. L’histoire qu’il porte en lui est celle d’un exil, d’une reconstruction et d’une volonté inébranlable.

 

Il aime à raconter un souvenir qui lui est particulièrement cher : “Quand j’étais petit, j’avais écrit sur un bout de papier que je voulais devenir médecin. Je ne savais pas que ce mot simple, ce rêve d’enfant, allait guider toute ma vie. Ma mère a récemment retrouvé ce papier, et j’ai été très ému en le revoyant.” Ce petit mot griffonné par un enfant est devenu le fil rouge d’une existence marquée par la guerre, la peur, mais aussi l’espoir et la ténacité.

 

 

Alexandre est né à Rableh, une petite ville de Syrie, dans une famille modeste. Son enfance, relativement paisible au départ, est bientôt bouleversée par l’éclatement du conflit. Alors qu’il est encore adolescent, les bombardements deviennent une réalité quotidienne. Le bruit sourd des explosions, les immeubles qui s’effondrent, les cris dans les rues s’inscrivent à jamais dans sa mémoire. “Un jour, une voiture a explosé à deux cents mètres de mon lycée. J’ai vu des morts, des membres arrachés, du sang sur le sol. À partir de là, j’avais peur de sortir de chez moi.” Ces images, qu’aucun adolescent ne devrait jamais avoir à affronter, l’ont marqué profondément et ont renforcé en lui le désir de consacrer sa vie à sauver des vies.

 


 

À 16 ans, il prend une décision radicale. Après plusieurs refus de demandes d’asile, il choisit de quitter clandestinement son pays. Ce départ précipité est un arrachement, mais aussi l’unique chance d’échapper à un quotidien devenu insoutenable. Son périple est long et semé d’embûches : Turquie, Grèce, Autriche, Allemagne… Chaque étape apporte son lot de dangers et de privations. Il garde en mémoire un épisode particulièrement éprouvant : “J’ai passé deux jours allongé sur le toit d’un camion avec quatre autres personnes. Nous n’avions pas le droit de bouger, pas le droit de parler. Je devais uriner dans une bouteille. Quand je suis enfin descendu, mes jambes ne me portaient plus. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.” Derrière cette scène d’une intensité dramatique se cache une vérité simple : la quête d’un avenir, coûte que coûte.

 

 

Son arrivée en France, à Toulouse, marque un tournant. Il intègre une classe de première et découvre un univers totalement nouveau. La langue française, qu’il ne maîtrise pas encore, devient à la fois un défi et un moteur. Brillant en sciences, il redouble d’efforts pour combler son retard linguistique et finit par décrocher un baccalauréat scientifique avec mention Très bien. Cette réussite, loin d’être un hasard, est le fruit d’un travail acharné et d’une résilience forgée par l’adversité.

 

Porté par ce succès, Alexandre tente le concours de médecine à Limoges. Sa première tentative se solde par un échec frustrant : cinquante places le séparent de l’admission. Beaucoup auraient abandonné, mais lui choisit de persévérer. L’année suivante, il retente sa chance et se hisse parmi les quarante premiers. Cette victoire a pour lui une saveur particulière : elle symbolise non seulement une réussite académique, mais surtout la preuve qu’il a sa place dans ce pays qui l’a accueilli.

 

 


 

Les années d’études s’enchaînent sans redoublement. Alexandre effectue ses stages avec rigueur, multiplie les gardes et découvre les multiples facettes du métier. Très vite, il se sent attiré par les urgences, un service exigeant mais qui correspond à son tempérament. “Dans ce service, j’aime le premier contact avec le patient, l’adrénaline, le travail d’équipe. On est souvent en sous-effectif, parfois épuisés, mais heureux car on se sent utiles.” Ces mots traduisent à la fois la fatigue et la passion d’un métier qu’il a choisi par vocation.

 

 

Mais son intégration en France ne se limite pas à la médecine. Dans son pays d’origine, Alexandre a grandi dans une société où “les murs ont des oreilles” et où prendre la parole pouvait être dangereux. En France, il découvre une liberté nouvelle : celle de s’exprimer sans crainte. Ce changement le pousse à participer à Eloquentia, un concours d’éloquence organisé à Limoges. Contre toute attente, il remporte la finale locale en mai dernier. “Enfant, le silence m’était imposé. À l’âge adulte, j’ai décidé que le silence serait un choix. Raconter mon histoire lors de ce concours a été l’une des émotions les plus fortes de ma vie.”

 

Ce concours marque un autre tournant. Alexandre devient président de l’antenne Eloquentia Limoges, accompagne d’autres jeunes dans leur prise de parole et participe même à la demi-finale d’un concours international à Paris. Cet engagement traduit son désir de donner aux autres ce qu’il a lui-même reçu : la confiance et la possibilité de s’exprimer librement.

 


 

Aujourd’hui, en parallèle de sa carrière médicale, Alexandre a entamé les démarches pour obtenir la nationalité française. Pour lui, devenir médecin en France est une façon de rendre à ce pays ce qu’il lui a offert. “Je me sens enfin légitime. Ce pays m’a beaucoup donné. Être médecin est ma manière de lui rendre la pareille.” Ces mots résument un parcours où l’exil et la douleur ont laissé place à la gratitude et à l’espérance.

 

 

Le jeune adolescent clandestin, réfugié sur le toit d’un camion, est devenu un médecin urgentiste reconnu et un orateur respecté. Son histoire illustre la force de la résilience humaine et la puissance d’un rêve d’enfant que rien n’a pu éteindre. Alexandre incarne aujourd’hui l’idée qu’un parcours brisé peut se reconstruire, qu’une enfance marquée par la guerre peut déboucher sur une vie tournée vers les autres. Son récit nous rappelle que derrière chaque réfugié se cache une histoire, un potentiel, un rêve qui ne demande qu’à éclore.