C’est une scène d’une intensité rare, même pour les habitués des joutes verbales de l’Assemblée nationale. L’air était électrique, presque irrespirable, alors que Jean-Philippe Tanguy, figure de proue du Rassemblement National, s’est emparé du micro pour livrer ce qui restera sans doute comme l’une des diatribes les plus virulentes et les plus commentées de cette session parlementaire. Loin de la langue de bois habituelle, le député a choisi l’offensive totale, une stratégie de la terre brûlée rhétorique qui n’a épargné personne : ni la gauche, ni la Macronie, ni même les Républicains, relégués au rang de spectateurs dupés de cette tragi-comédie politique.

Ce qui frappe d’emblée, c’est l’énergie brute qui se dégage de l’intervention. Jean-Philippe Tanguy n’est pas là pour négocier des virgules dans un texte de loi ; il est là pour marquer son territoire et, selon ses propres termes, dénoncer une “destruction systématique”. Dès les premières secondes, le ton est donné. Il ne s’agit pas d’un simple désaccord technique, mais d’une guerre idéologique ouverte. Le député RN accuse frontalement l’alliance de circonstance entre la gauche et les macronistes de saboter les derniers piliers de l’économie française qui tiennent encore debout.

La défense acharnée des classes moyennes

Le cœur de l’argumentation de Tanguy repose sur une défense passionnée, presque viscérale, des classes moyennes supérieures. Pour lui, ces Français sont devenus la cible privilégiée, le gibier d’une chasse fiscale ouverte par une gauche qu’il juge obsédée par la “haine de la réussite”. Il convoque les fantômes du passé, rappelant avec amertume la célèbre déclaration de François Hollande qui fixait le seuil de la richesse à 4 000 euros. Pour Tanguy, cette phrase n’est pas une simple anecdote historique, c’est le symbole d’une mentalité punitive qui refuse de mourir.

Il dépeint un tableau sombre de la France actuelle : un pays où l’on s’acharne à détruire les emplois, à précariser les travailleurs et à “pomper” ceux qui essaient de s’en sortir par l’effort. Sa rhétorique est celle de l’urgence. Il ne dit pas que la politique menée est inefficace, il dit qu’elle est destructrice. C’est une nuance de taille qui vise à mobiliser l’émotion de l’électeur, à lui faire ressentir que son mode de vie est directement menacé par les décisions prises dans l’hémicycle. L’accusation est lourde : on sacrifie ceux qui produisent pour satisfaire une idéologie égalitariste qui, selon lui, nivelle par le bas.

La trahison politique : Macronistes et LR dans le viseur

Mais là où Jean-Philippe Tanguy excelle dans l’art de la provocation politique, c’est lorsqu’il s’attaque à la dynamique des alliances. Il dresse le portrait cruel d’une Macronie à genoux, “de retour à la niche”, contrainte de se soumettre aux exigences des socialistes après les avoir trahis il y a dix ans. L’image est forte, humiliante même. Il décrit une majorité présidentielle prête à “tout abandonner, tout lâcher” pour survivre, sacrifiant ses principes sur l’autel du compromis parlementaire.

Et au milieu de ce jeu de dupes, il désigne une victime collatérale, qu’il affuble d’un qualificatif aussi imagé qu’insultant : les “super cocus”. Cette flèche, destinée aux Républicains (LR), est plantée avec une précision chirurgicale. En les qualifiant de “méga cocus”, il cherche à souligner leur impuissance et leur naïveté supposée face à une recomposition politique qui se fait sans eux, voire contre eux. C’est une tentative claire de siphonner l’électorat de droite, en présentant le RN comme la seule véritable opposition crédible face au bloc central et à la gauche.

Le procès des “Cultureux” : Un moment de rupture

On va s'épuiser": Jean-Philippe Tanguy défend la pause faite par l'Assemblée  nationale ce week-end - Yahoo Actualités France

Le point d’orgue de l’intervention, et sans doute le moment qui a le plus cristallisé les tensions, est l’attaque frontale contre le monde de la culture. Tanguy reprend à son compte une critique populiste classique mais redoutablement efficace : le décalage entre les élites culturelles et le peuple travailleur. “Ça commence toujours par les ouvriers, les damnés de la terre, et ça finit toujours par défendre les journalistes, le monde du cinéma, les cultureux”, lance-t-il avec mépris.

Le terme “cultureux” n’est pas choisi au hasard. Il est chargé de connotation, réduisant les artistes et intellectuels à une caste privilégiée, déconnectée des réalités, vivant “sur le dos des contribuables”. L’accusation est grave : la gauche utiliserait “la misère du monde” comme paravent moral pour, en réalité, “enrichir les copains”. Cette phrase résonne comme un coup de tonnerre. Elle vise à délégitimer toute la politique culturelle de l’opposition en la réduisant à du clientélisme déguisé. Pour Tanguy, défendre le cinéma ou la presse, ce n’est pas défendre l’exception culturelle française, c’est protéger des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.

La riposte : L’ombre de Bolloré

Face à une telle charge, la réplique ne pouvait pas se faire attendre. L’opposant (dont la voix trahit une indignation contenue) tente de retourner l’argument de la paranoïa contre l’extrême droite. Il attaque sur le terrain de la cohérence, soulignant l’ironie de voir le RN s’attaquer au financement du cinéma alors que le principal acteur privé du secteur n’est autre que le groupe Canal+, propriété de Vincent Bolloré.

La contre-attaque est habile : en liant Tanguy aux intérêts de Bolloré, l’opposant tente de démasquer ce qu’il perçoit comme une imposture. Si Tanguy veut casser le financement public, n’est-ce pas pour laisser le champ libre au monopole privé de son allié médiatique supposé ? L’argument vise à transformer le “défenseur du peuple” en “VRP d’un milliardaire”.

Le rire comme arme finale

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La réaction de Jean-Philippe Tanguy face à cette accusation est révélatrice de sa stratégie de communication. Loin de se justifier ou de s’énerver, il choisit l’ironie. “Je pense que ça le fera beaucoup rire”, rétorque-t-il en parlant de Bolloré. Ce rire est une arme. Il sert à balayer l’argument adverse sans avoir à y répondre sur le fond. Il minimise l’attaque, la rendant presque ridicule par son détachement.

Il conclut par une pirouette sarcastique, félicitant ironiquement son adversaire pour avoir “donné une seconde vie au Parti Socialiste”, comparant cette résurrection politique à la rénovation de “vieilles ruines”. La boucle est bouclée. Il a commencé par attaquer le fond (l’économie), il finit par ridiculiser la forme (l’alliance politique).

Conclusion : Un dialogue de sourds ?

Au-delà du spectacle et des petites phrases assassines, cet échange illustre la fracture abyssale qui divise l’Assemblée nationale. D’un côté, une vision qui privilégie la protection du “secteur productif” et des classes moyennes contre ce qu’elle perçoit comme un gaspillage public au profit d’une élite culturelle. De l’autre, une vision qui défend le rôle de l’État dans la culture et voit dans les attaques du RN une stratégie au service d’intérêts privés puissants.

Jean-Philippe Tanguy, dans ce moment de “pétage de plombs” maîtrisé, a réussi son coup médiatique. Il a imposé ses thèmes, ses mots (“cultureux”, “cocus”) et son rythme. Qu’on l’applaudisse ou qu’on le hue, force est de constater qu’il a transformé l’hémicycle en une arène où les coups portés laissent des traces durables. Une chose est sûre : le calme n’est pas près de revenir sur les bancs de l’Assemblée.