De la reine d’Angleterre à Kate Middelton en passant par les Maharajas et les « Dollar Princesses » américaines, Cartier dévoile une histoire fabuleuse, à découvrir avec une exposition à ne surtout pas rater.

Qu’auraient dit les frères Cartier des droits de douanes américains imposés par Donald Trump? Il y un peu plus de cent-vingt ans, dans un monde déjà en plein bouleversements, la troisième génération d’un joaillier parisien va transformer la belle affaire familiale en une entreprise mondiale, qui saura faire face à tous les séismes qu’elle traversera : deux guerres mondiales, des crises économiques à répétition, la disparition des empires (et de leurs clientèle fortunée), l’émergence de nouvelles fortunes séduites par des nouveaux styles… Et si Cartier règne, avec sa boite rouge et ses blasons royaux sur le 13, rue de la Paix, si la mansion de la 5e avenue de New York – achetée, à l’époque, pour un collier de perles – est dans tous les esprits, c’est au Victoria & Albert Museum qu’il faut se rendre pour découvrir l’histoire, plus méconnue mais au moins aussi fabuleuse, de la branche londonienne de Cartier. Et se retrouver, au passage, devant quelques trésors prêtés, pour la première fois, par le Royal Trust.

La broche rose de la princesse Margaret, les clips en diamants et rubis de Queen Mum, la broche fleur au cœur composé d’un imposant diamant rose de la reine Elizabeth II, la tiare Halo portée par Kate Middleton le jour de son mariage scintillent dans la pénombre, parmi les trésors de quelques Maharadja et ceux de l’Américaine à jamais honnie par les Windsor : la duchesse du même nom. Frissons garantis, sous haute sécurité.

Quelques uns des trésors exposés à l’exposition « Cartier », au V&A, à Londres.

Couronnements, bals et «durbars» indiens…

Mais si ces pièces exceptionnelles – elles sont environ 350 – sont aujourd’hui réunies, c’est qu’elles illustrent aussi la manière dont Cartier a su s’imposer outre-Manche. Comment une entreprise française a-t-elle réussi à infiltrer l’aristocratie britannique au faîte de sa gloire, et une famille régnant alors sur un quart de la planète (la tiare Tutti Frutti de Lady Mountbatten, dernière vice-reine des Indes, est là aussi)? Si le primat créatif de Paris reste incontesté, Cartier est très vite perçu au Royaume-Uni comme une entreprise britannique : les pièces ont beau beaucoup voyager, des artisans français sont envoyés outre-Manche former des locaux.

Le plus grand diamant bleu jamais mis aux enchères sera vendu par Christie’s : découvrez les secrets de cette gemme à 50 millions de dollars, du Palais d’Indore via New York, la place Vendôme, et l’atelier du plus mystérieux des créateurs de joaillerie parisien…

« Il y a indéniablement une dimension très anglaise dès le début, à commencer par les ateliers, baptisés English Art Works, mais aussi dans ces cérémonies propres à la royauté britannique qui vont se succéder », explique Pierre Rainero, directeur style et patrimoine de Cartier. Il faut dire que les couronnements successifs – 1902, 1911, 1937, 1947… – les mariages, les durbar de Delhi (des cérémonies géantes pour célébrer l’intronisation d’un nouvel empereur ou d’une nouvelle impératrice des Indes), les grands bals (l’Empire Ball de 1930) tombent à point nommé pour qui sait fournir tiares, colliers et autres ornements de cheveux. Et quand le roi y va… tout le monde suit.

Jacques Cartier, le benjamin des trois frères, est en charge de

La façade de la boutique Cartier, à Londres.

Un prince francophile

Même si l’histoire de Cartier en Angleterre date du XIXe (Alfred, le père des trois frères, y viendra à plusieurs reprises, notamment pour y vendre, avec commission à la clé, les bijoux de la courtisane italienne Giulia Barucci, contribuant à sauver la maison des conséquences de la chute du second Empire), c’est Edouard VII, fils de la Reine Victoria, qui aurait incité Cartier à s’installer à Londres. Ce bon vivant habitué de Paris alors qu’il était titré Prince de Galles (son « fauteuil d’amour » est conservé au Musée des Arts Décoratifs) est un client de la rue de la Paix : il donnera à Cartier un brevet officiel de fournisseur dès 1904. Ses proches, du coup, aussi, comme en témoigne une exquise broche de style guirlande vendue à son ami Sir Ernest Cassel, banquier, mécène et conseiller de sa Majesté, exposée aujourd’hui au V&A.

Kate Middleton, alors duchesse de Cambridge, porte une tiare Cartier lors de son mariage au prince William le 29 avril 2011, à Londres.

Max Mumby/Indigo/Getty Images

Aristocrates et Princesses Dollar

Nul besoin que le sang bleu soit de naissance pour se rendre dans la boutique d’abord installée sur New Burlington Street, au-dessus de celle du grand couturier Worth (beau-père de… Louis Cartier) puis sur Bond Street en 1909. La duchesse de Manchester, qui apporte chez Cartier 1513 diamants pour sa tiare, est d’origine américano-cubaine : il suffit d’avoir vu Dowtown Abbey pour comprendre combien ces nouvelles fortunes, venues d’outre-Atlantique, étaient les bienvenues pour entretenir, et conserver, les nobles estates de la campagne anglaise… Aujourd’hui, la tiare trône en majesté à l’entrée de l’exposition, pas loin de celle du collier serti d’une émeraude géante de Lady Granard, une autre « Dollar Princess » fidèle à Cartier, qui fit modifier à Londres une tiare réalisée dans les ateliers de Paris.

Une proposition de Cartier pour la broche Williamson d’Elizabeth II, exposée au V&A, à Londres.

La reine Elizabeth II en compagnie de ses deux premiers enfants, le prince Charles et la princesse Anne. La souveraine prote la broche Williamson réalisée par Cartier.

Bettmann/Getty Images

Cartier, tastemaker londonien

Confié au benjamin de la fratrie, Jacques, 25 ans, Cartier Londres profite aussi de ses deux voyages en Asie, au cours desquels il rencontre, avec des succès parfois mitigés, le Maharaja de Patiala, le Gaekwad de Baroda, et les fournisseurs de plus belles perles du Golfe Persique. Dans cette capitale qui est celle d’un empire, les inspirations orientalistes ou encore égyptiennes (la tombe de Toutankhamon est découverte en 1922) font fureur, et Cartier sait y répondre. « Cartier est devenu le faiseur de goût : non pas un fournisseur, mais un véritable tastemaker, qui sait jouer avec les formes, avec la couleur », affirme la commissaire Helen Molesworth, en citant, entre autres, la tiare en diamants et opales de la marquise de Huntington, mais encore un modèle entièrement habillé d’aigues-marines au bleu léger, et un autre serti de citrines à la teinte cognac. Toutes datent de 1937, année du couronnement de George VI, qui verra plus d’une trentaine de commandes de ce genre affluer dans les English Art Works de Bond Street, au dessus du salon aux boiseries Louis XVI où défile une clientèle fortunée.

Cette tiare, sertie d’aigue-marine, a été réalisée dans les ateliers londoniens de Cartier. Elle fut commandée pour le couronnement de 1937.

Vincent Wulveryck@Cartier
Mais il ne s’agit pas ici de réduire Cartier à la production de pièces d’apparat aux styles souvent visionnaires. Les petits objets – vanity cases, boîtes à cigarettes… – en disent beaucoup sur ces années où les femmes, cigarette aux lèvres, gagnent en indépendance. Le tout petit chien pékinois taillé dans le quart rose, le duo de pingouins en agate, l’horloge de table – tous prêtés par Sa Majesté le roi Charles III, dixit les cartouches – en racontent aussi beaucoup sur le goût, très… anglais, des Windsor pour les bibelots et autres babioles précieuses qu’on imagine posées sur un bureau de Buckingham Palace ou une étagère à Sandringham, à côté, pourquoi pas, d’une de ces montres délirantes imaginées par le fils de Jacques, époque Swinging London.

La broche rose de la Princesse Margaret.

La Princesse Margaret, en 1964.

Mirrorpix/Getty Images

Archives émotionnelles

Il ne faut pas oublier de lire les documents d’archives. La missive envoyée par Cartier au roi, lui demandant la permission d’offrir à sa fille, la princesse Elizabeth, un petit bracelet orné d’une mini radio en or et diamants date de l’automne 1940 et laisse deviner la guerre tout juste commencée.

L’histoire du spectaculaire diamant rose qui symbolise l’histoire d’amour entre la famille royale et Cartier

La commissaire de l’exposition Cartier au Victoria and Albert Museum de Londres explique comment « l’élégance et la discrétion » de la maison ont permis à la broche Williamson, l’un des joyaux les plus appréciés de la reine Elizabeth, de voir le jour.

À l’entrée de l’exposition se trouve une autre lettre. Écrite vingt-cinq ans avant alors que vient d’éclater la Première Guerre, adressée par Jacques depuis Cherbourg où il est stationné à l’un de ses frères, elle commence par ces mots : « Il y aura donc toujours un optimiste dans notre famille, puisque malgré la tristesse de l’heure présente (…) tu persistes à penser probable la fin des hostilités. » Quand on a connu cela, ce ne sont pas de nouveaux droits de douanes qui devraient vous faire trembler… Ce soir du mois d’avril, on croisait aussi, devant le Victoria & Albert Museum, une star bien vivante. À 91 ans, Joan Collins était venue découvrir l’exposition. En grand forme, l’actrice britannique a même eu les honneurs d’une visite privée.

Une vitrine n’a pas manqué de l’intriguer : celle accueillant les bijoux de Wallis Simpson, dont la fameuse panthère posée sur un saphir bleu et la broche flamant rose. La comédienne star de la série Dynastie était ici on duty : comme elle l’annonçait il y a quelques mois, elle s’apprête à incarner dans un nouveau biopic les dernières années de la plus américaine de toutes les Duchesses de Windsor.

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Retrouvez le replay du tapis rouge du MET Gala 2025

« Cartier », au Victoria & Albert Museum, Sainsbury Gallery (accès par Cromwell Road, jusqu’au 16 novembre 2025. Réservation impérative sur : www.vam.ac.uk