L’air est encore lourd de cette nouvelle qui a traversé la Méditerranée comme une onde de choc, fissurant le cœur de millions de fans. Biyouna n’est plus. Baya Bouzar, de son vrai nom, cette force de la nature qui semblait éternelle, a tiré sa révérence le 25 novembre dernier à l’âge de 73 ans.

Mais alors que les hommages pleuvent, célébrant la comédienne, la chanteuse, la rebelle qui a brisé tous les tabous, un silence assourdissant se fait entendre en écho. Un silence qui ne concerne pas son art, mais ce qu’elle a protégé avec la férocité d’une lionne pendant plus d’un demi-siècle : sa famille. À l’heure où les projecteurs se sont éteints, le mystère de ses quatre enfants n’a jamais été aussi épais, transformant le deuil national en une énigme quasi policière.

Une vie sous les projecteurs, une famille dans l’ombre

Pour comprendre l’ampleur de ce mystère, il faut remonter le fil d’une carrière hors norme. Biyouna, c’était l’exubérance incarnée. De ses débuts de danseuse dans les cabarets algérois des années 70 à ses rôles cultes dans Nass Mlah City, en passant par ses triomphes parisiens et ses albums audacieux, elle a tout donné à son public. Elle s’affichait sans filtre, cigarette aux lèvres, verbe haut, riant du patriarcat et des conservatismes. Elle était la “Mère Courage” de l’Algérie moderne, celle qui disait tout haut ce que les autres n’osaient même pas murmurer.

Pourtant, derrière cette transparence radicale, existait une ligne rouge infranchissable, un mur de béton armé contre lequel se sont cassés les dents des paparazzis et des journalistes les plus tenaces : sa vie privée. Pendant 50 ans, Biyouna a répété la même phrase, tel un mantra robotique conçu pour clore toute discussion : “Je vis à Alger avec mon mari et mes quatre enfants.”

C’est tout. Pas de prénoms. Pas d’âges. Et surtout, pas une seule image. À l’ère du numérique, où l’intimité des stars est monnayée ou volée à coup de smartphones, réussir l’exploit de garder quatre enfants dans un anonymat total relève du prodige, voire de l’opération de renseignement. Biyouna a vécu dans la lumière, mais elle a élevé sa progéniture dans un bunker invisible.

L’incident du 12 mars : La faille dans la forteresse

Cette omerta familiale a pourtant vacillé, une seule et unique fois, quelques mois avant le drame. Le 12 mars 2025, la toile algérienne s’enflamme. Une publication apparaît sur une page Facebook locale, signée par une jeune femme prétendant être la fille de la star. Le message est un véritable appel au secours, une bouteille à la mer numérique qui tranche avec le silence habituel : “Je ne sais plus où est ma mère. Aucun appel ne passe, personne ne répond. Aidez-moi.”

Pour la première fois, le mythe de la famille unie et protégée se fissure. S’agissait-il d’un appel réel ? D’une usurpation ? L’espoir de vérité fut aussi violent qu’éphémère. En quelques heures, le message devenait viral avant d’être brutalement effacé le lendemain. Pas d’explications, pas de démenti. Juste le retour du néant. Les journalistes d’investigation qui ont tenté de remonter la piste se sont heurtés à un mur numérique : aucune adresse IP localisable, aucun visage. Cet épisode restera comme l’unique “preuve de vie” publique potentielle de l’un de ses enfants, avant que le rideau ne retombe plus lourdement que jamais.

Une fin de vie sous haute sécurité

Les derniers mois de Biyouna, révélés post-mortem, dessinent le portrait d’une fin de vie organisée comme une opération militaire. Loin des paillettes parisiennes, c’est à l’hôpital de Beni Messous, dans l’ouest d’Alger, que l’artiste a vécu son crépuscule. Admise en octobre dans un état de grande faiblesse, elle aurait, selon des sources médicales, refusé catégoriquement un transfert médical vers la France. Sa volonté était inébranlable : mourir sur sa terre, mais surtout, mourir cachée.

Sa chambre d’hôpital a été transformée en sanctuaire inviolable. Le personnel soignant, soumis à des clauses de confidentialité draconiennes, n’a rien laissé filtrer. Qui lui tenait la main lors de son dernier souffle, le 25 novembre à 5h du matin ? Ses enfants étaient-ils là, encagoulés ou fondus dans l’anonymat des visiteurs ? Le rapport de décès, clinique et froid, ne mentionne aucun témoin familial identifié, seulement la présence de deux agents de sécurité. Même dans la mort, Biyouna a verrouillé l’accès à son intimité.

Des funérailles fantômes

Le moment le plus troublant de cette disparition reste sans doute l’enterrement au cimetière d’El Alia, le panthéon des grandes figures algériennes. On s’attendait à une foule immense, des pleurs, des discours déchirants de la famille. Il n’en fut rien.

La cérémonie s’est déroulée dans une discrétion qui confine à l’effacement. Sur les rares images volées, on distingue à peine une dizaine de silhouettes vêtues de noir, maintenues à distance. Aucun visage ne s’est détaché du groupe pour revendiquer le statut de fils ou de fille. Biyouna a été inhumée à quelques mètres de la légendaire Warda Al-Jazairia, mais le contraste est saisissant. Là où Warda repose dans un mausolée visité par des milliers de pèlerins, Biyouna n’a droit qu’à une simple plaque, sans photo, portant son nom civil : Baya Bouzar.

Comme si, jusqu’au bout, elle avait voulu dissocier la “Biyouna” publique, propriété de tous les Algériens, de la “Baya” privée, propriété exclusive de sa famille invisible.

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Le silence comme héritage

Aujourd’hui, alors que les fleurs commencent à faner sur sa tombe modeste, les questions demeurent. Pourquoi ce mutisme radical ? Les théories foisonnent, du pacte familial scellé pour éviter la pression du show-business, à la peur viscérale héritée de la décennie noire. Une phrase, prononcée par Biyouna elle-même dans une loge il y a des années, résonne désormais avec une force prophétique : “Si je parle d’eux, je les perds.”

Ce silence est peut-être son plus grand chef-d’œuvre. Dans un monde où tout se montre, où tout se vend, Biyouna a offert à ses enfants le luxe suprême : l’anonymat. Ils n’ont pas à porter le poids de son nom, ni à subir les comparaisons ou les critiques. Ils sont libres, fantômes dans la ville, passants inconnus que nous avons peut-être croisés sans le savoir.

Il n’y a pas de guerre d’héritage, pas de déballage sordide chez le notaire. Baya Bouzar ne laisse derrière elle ni empire financier, ni scandale posthume. Elle laisse un appartement modeste à Belouizdad, des chansons éternelles, et ce mystère fascinant.

Finalement, Biyouna n’est pas partie seule. Elle est partie entourée de ce qu’elle chérissait le plus : le secret. Et si ne jamais voir ses enfants était la preuve ultime qu’elle a réussi sa mission de mère ? Adieu l’artiste, et respect éternel à la mère louve qui a su garder son jardin secret inviolé jusqu’à l’éternité.